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Mohamad Abou-Zekri : Je préfère laisser parler mon luth

Névine Lameï, Lundi, 13 juin 2016

Le jeune luthiste et compositeur, Mohamad Abou-Zekri, est le nouvel enfant prodige de la musique arabe. Avec son ensemble classique Karkadé, il se produit en Egypte à l’occasion du Ramadan, puis poursuit ses tournées de par le monde.

Mohamad Abou-Zekri,
Abou-Zekri, un monstre sacré du luth du bouzouki

Sur scène, le jeune virtuose du luth et du bouzouki a l’air d’un ensorcelé. Mohamad Abou-Zekri, musicien-compositeur égyptien âgé de 25 ans, est comme possédé par le démon de la musique. Il est ici et ailleurs. Avec sa troupe Karkadé (hibiscus), fondée à Grenoble en janvier 2015, il s’est produit récemment sur les planches du théâtre Guéneina, au parc d’Al-Azhar, dans le cadre du festival ramadanesque Hay. Et a joué plusieurs morceaux de son album à paraître, qui s’intitule également Karkadé. Enregistré en mai dernier, au studio Vega, à Avignon, l’album sera lancé au mois de septembre prochain en France où vit Zekri depuis 2010.

Installé à Lyon pour suivre des études en musique classique, à la faculté de musicologie, Abou-Zekri a commencé par fonder, avec son meilleur ami le guitariste français Guillaume Hogan, le groupe Heejaz, appelé selon un mode de musique orientale. Celui-ci offrait un support rythmique et harmonique très varié (oriental, jazz, blues, rock, world, free jazz, manouche, tzigane, latino), alors que sa récente formation Karkadé se présente plutôt comme un takht ou ensemble arabe classique. « Celui qui m’a encouragé à monter le projet Karkadé auquel je pensais depuis trois ans, c’est mon tuteur musical et mon père spirituel, Mahmoud Bayoumi. Ce passionné de musique arabe classique et de poésie soufie possède à Grenoble, en pleine montagne, un restaurant nommé Karkadé, présentant les saveurs de l’Egypte d’autrefois : mets, ambiance musicale, photos en noir et blanc de comédiens, poètes, intellectuels égyptiens, ayant visité le restaurant, dont Ahmad Fouad Negm, Cheikh Imam, et autres. Bayoumi m’a donné la chance de redécouvrir ma culture d’origine à travers son restaurant. En sirotant du thé à la menthe ou en dansant tous les soirs sur les magnifiques enregistrements du chantre soufi, Ahmad Al-Touni, j’ai appris à mieux savourer les poèmes et morceaux classiques et à discuter de livres se situant à droite ou à gauche. Du coup, j’ai lancé le groupe Karkadé qui constitue pour moi un retour aux sources, reprenant l’héritage des diverses écoles musicales arabes », raconte Mohamad Abou-Zekri, portant toujours son luth sur le dos là où il va.

Composée exclusivement de jeunes musiciens égyptiens professionnels : Mohamad Farag (nay), Lotfi Abaza (violon), Medhat Mamdouh (dohola), Hani Bédeir (percussions) et Mohamad Abou-Zekri (luth), la troupe Karkadé s’inspire de la musique arabe classique développée au Caire et dans le Delta égyptien, au nord du pays, du patrimoine soufi et des mélodies populaires du XXe siècle lesquelles rythment la vie paysanne égyptienne tout au long des berges du Nil. « J’essaye à ma manière de mieux introduire la musique classique égyptienne, comme faisant partie des Musiques du monde qui m’intéressent beaucoup. Touchant de près au circuit des Musiques du monde, j’ai constaté que dans leurs réseaux internationaux, il n’existe pratiquement pas de jeunes troupes égyptiennes indépendantes, jouant exclusivement de la musique purement classique et traditionnelle. La plupart des jeunes troupes existantes s’intéressent davantage au pop arabe, à un style beaucoup plus rentable sur le marché musical. Du coup, elles attirent l’attention des producteurs spécialisés dans le pop arabe, mais ne figurent pas du tout sur la carte des Musiques du monde et leurs programmateurs », souligne Abou-Zekri.

Professeur de luth à 14 ans

Interaction avec le public, improvisations et expérimentation de nouveaux styles, c’est ce qui caractérise le jeu « endiablé » d’Abou-Zekri. « Je préfère laisser parler mon luth », lance le jeune musicien qui a étudié, dès l’âge de 11 ans, à la Maison du luth arabe au Caire, avec son maître iraqien Nassir Chamma. Diplômé en tant que soliste et professeur de luth en 2007, c’est-à-dire à l’âge de 14 ans, il est devenu le plus jeune professeur d’oud (luth oriental) dans le monde arabe.

Accompagnant l’Orchestre de l’Orient formé par Chamma, le jeune virtuose fut sélectionné par Rémy Kolpa Kopoul, figure légendaire de Radio Nova et par le compositeur/pianiste lyonnais André Manoukian, afin de se produire au Comedy Club, à Paris, en mars 2013. Il a fait un duo alors avec le beatboxer mondial, Ezra, et ils ont sorti ensemble l’album Chaos, en hommage à la révolution égyptienne. Ensuite, après Chaos, Abou-Zekri lance Ring Road en 2015, soit un recueil passionnant où se lit en filigrane le désir de pousser la tradition, dans des horizons imprégnés de sons et de bruissements de partout dans le monde.

Durant son dernier concert au festival Hay, le 12 juin dernier, Abou-Zekri a dû jouer avec l’un de ses idoles, le compositeur et luthiste libanais Charbel Rouhana, lequel se produisait le soir même. « Jouer sur le même théâtre que Charbel Rouhana et sa troupe Tarab Safar est un honneur pour moi. Rouhana est toujours fidèle à un style arabe oriental, riche en harmonies et ouvert à l’improvisation, alliant nouveauté et érudition. Ceci va de pair avec le style de Karkadé », conclut Abou-Zekri qui a également joué ses propres compositions comme Sur la felouque ou Fi Hadret Sina (inspiré du Sinaï).

Prochain concert de Karkadé le 21 juin, à 20h30, à l’IFE d’Alexandrie. Et le 4 juillet, au festival Jazz à Vienne, en France, avec le pianiste américain, Randy Weston.

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