De nos jours, le monde arabe baigne sans doute dans un tumulte de bouillonnements et d’instabilité. Néanmoins, loin de montrer des scènes de sang, des corps déchiquetés, des enfants pleurant la guerre, nés jour après jour, à l’ombre de crises proches ou lointaines, les 165 jeunes artistes qui participent au festival organisé par la galerie Daï ont choisi de présenter des visions plus contemplatives quant à la guerre qui sévit dans leur pays. Etant tous de jeunes artistes arabes de moins de 35 ans, ils parviennent à toucher brillamment les visiteurs de la galerie, leur offrant une belle charge émotive. Leurs oeuvres se dotent, dans l’ensemble, d’une douce et sage révolte, traitant sans drame la question de l’identité, sous ses différents aspects. C’est le thème central autour duquel pivote la première édition du Festival des jeunes arabes, tenue jusqu’au 16 juin à la galerie privée Daï (lumière) à Mohandessine.
« On a voulu s’impliquer dans cette aventure créative en nous plaçant loin du déjà-vu et de l’isolement culturel. En tant qu’artistes arabes, nous vivons presque les mêmes épreuves dans une géographie faite de douleurs et d’espoirs », déclare le peintre égyptien, Ahmad Saber, lauréat du Grand Prix du Festival. Usant d’un stylo à bille, Saber croque plusieurs scènes du quotidien. Il dépeint le chaos et le désordre au sein desquels on distingue le bien et le mal. Dans un vieux souk, un immense poisson du Nil — symbole de la fertilité — gît sur une charrette, mais c’est un poisson muni de plusieurs cadenas. Le tout baigne dans un environnement saïdi, propre à la Haute-Egypte et à ses habitants typés en djellaba. « Le poisson enchaîné transmet bien le message que les valeurs de la charité et de la bienveillance n’existent plus. Dans le monde arabe, il n’y a que conflit politique, culturel ou religieux », souligne Saber, lequel a recours à tant d’autres motifs populaires comme le cheval en bois, les chats noirs, etc. afin de pimenter ses oeuvres d’une ironie acerbe et désacralisante.
L’on retrouve le même monde chaotique, de manière plus abstraite dans la peinture de Moustapha Al-Azraq, avec ses taureaux blessés sur le champ de bataille, en dépit de leur côté robuste. Puis chez l’Egyptien Karim Mohamadi, un corbeau sauvage à plumes éparpillées est attaché à un homme sans tête. La guerre bat son plein et la victoire exige un combat de longue haleine et beaucoup de résistance.
L’ambiance légendaire et surréaliste frappe encore plus fort dans l’oeuvre de Hossameddine Moustapha, primé par le jury du festival. De son monde en brouillard se dégagent des femmes-anges, des cerveaux ligotés par des chaînes, des hélicoptères, etc. « Paradis ou enfer, comment peut-on savoir auquel des deux on appartient ? J’ai l’impression que nous vivons dans l’abîme absurde », lance Moustapha.
Les symboles prennent le dessus chez Moawiya Hilal, fils de la ville de Minya, ayant reçu le Grand prix ex æquo du festival, pour sa sculpture en bois. Celle-ci représente un homme assis les bras croisés sur la tête, dans une posture rappelant les statues africaines. Puissant et résistant, il est aussi détenu et blessé ! Des fils en cuir font office de blessures cicatrisées. C’est l’Egypte « blessée », laquelle fait face aux défis. « Comme le Printemps arabe a pris tout le monde de court et les oeuvres de tous ces jeunes artistes arabes grondent la révolte ou le mécontentement », indique le patron de la galerie Daï, Hicham Qandil.
La calligraphie arabe, marque identitaire
La calligraphie arabe est une belle marque identitaire. Les artistes se servent parfois des lettres de la langue arabe, afin de confirmer une appartenance. L’Egyptien Naguib Moein exprime son Egypte à l’allure svelte, en toute finesse, sous la forme d’une sculpture en bois, incrustée d’ornementations islamiques, de motifs populaires, de calligraphies arabes, d’arcades et de minarets. C’est une Egypte qui appartient plus que jamais à ce monde arabe en détresse.
Mahmoud Mareï, un autre jeune artiste égyptien, peint une figure humaine en couleur dorée et marron, telle une flamme flamboyante. Elle tient un bouclier entre les mains, afin de protéger son identité. L’ensemble est orné de calligraphies arabes, pour mieux faire passer le message.
S’inspirant du poème chanté par la diva Oum Kalsoum, Sawret al-chak (la révolution du doute), écrit par l’émir saoudien Abdallah Al-Fayçal, le peintre égyptien Al-Sayed Atta place au milieu de sa toile un corps de femme nue, en position accroupie, inondée de calligraphies arabes. C’est une identité que l’on porte à fleur de peau. Et Fatma Al-Fadli, du Qatar, reprend elle aussi un poème Taht Al-Mattar Al-Ramadi (sous la pluie grisâtre) de Souad Al-Sabbah, afin d’évoquer tout un monde arabe en effritement. Les couleurs chaudes et la calligraphie arabe rendent au message tout son sens.
Ce n’est pas parce qu’il s’agit de l’Iraq que la peinture deviendra plus lugubre. Une panoplie de personnages gais, notamment des musiciens, aux visages déformés, l’artiste iraqien Tewfiq Al-Allousi exprime tout le mal-être de son peuple et la violence qui le ravage. Pourtant, le tableau n’a rien de triste. Il met en scène un monde animé par les musiciens, comme celui dépeint par sa compatriote Zeinab Jaburi. Les deux artistes se réfugient dans un univers hautement coloré, fait de musique et de joie, mais il y a quand même quelque chose de déformé, quelque chose qui ne va pas ou qui va très mal .
Jusqu’au 16 juin, de 10h à 17h et de 21h à 23h (sauf le vendredi). 14, rue Al-Ahrar, Mohandessine.
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