La coproduction, soit avec la France ou avec plusieurs autres pays, semble être le mot de passe, permettant aux cinéastes arabes et africains d’avoir accès à la Croisette. Un regard furtif sur les films ayant participé aux diverses sections du Festival de Cannes, cette année, en fournit la preuve. Car aux côtés des habitués du festival dont les seuls noms favorisent la distribution à grande échelle de leurs oeuvres, il y avait aussi de nouveaux venus, avec leurs films coproduits par telle ou telle institution cinématographique. Celles-ci en profitent d’ailleurs pour mettre en avant leurs nouvelles productions et en faire le marketing. L’on découvre qu’il est quasiment impossible, pour un Arabe ou un Africain, de se faire un chemin vers la Croisette sans passer par les carcans de la coproduction étrangère.
Le deuxième constat que l’on peut tirer également, quant à la participation arabe ou africaine, est que la nature des sujets traités n’a parfois rien à voir avec leurs sociétés d’origine. En fait, l’on a souvent affaire à des cinéastes d’origine arabe, des Maghrébins notamment, lesquels portent des noms arabes, mais signent des films en français ou en d’autres langues. Ces films ne sont classés que subsidiairement comme « films arabes », alors que le contenu peut les placer sous n’importe quelle autre étiquette.
L’Egypte et la Tunisie ont été en tête de liste des pays arabes ou nord-africains ayant pris part au festival. La première était représentée par le long métrage Echtebak (clash), projeté à travers la section Un Certain Regard, ainsi que par la pellicule restaurée de Chahine, Adieu Bonaparte (voir la précédente édition de l’Hebdo). Et la Tunisie a été présente avec le court métrage de 15 minutes, Allouch (la laine sur le dos) de Lotfi Achour, traçant le voyage d’un vieil homme et son petit-fils, le long d’une route du désert tunisien. Ils transportent des moutons, à bord d’un camion vétuste, et se font immobiliser par deux gendarmes. Pour qu’ils puissent repartir, la situation débouche sur la proposition d’un curieux marché. Et en Projection spéciale, fut montré le long métrage Chouf du Franco-tunisien, Karim Dreidi, qui met en scène le monde des gros bonnets de la drogue à Marseille, cette ville qui regorge de migrants arabes. Chouf est, en effet, un terme qui désigne les personnes chargées de surveiller les routes empruntées par les narcotrafiquants, afin de mettre ces derniers en alerte en cas de descentes policières.
Affaire peu personnelle
Omour Chakhsiya.
Autre participation arabe qui mérite une mention spéciale : la fiction de la Palestinienne Maha Haj,
Omour Chakhsiya (affaires personnelles), qui raconte des affaires, pas si personnelles que ça, d’une famille vivant à Nazareth. En 90 minutes, le film montre la vie de trois générations palestiniennes, sous le poids de la diaspora. La réalisatrice, née elle-même et vivant à Nazareth, dresse une fois de plus des problèmes vus différemment, mais aussi pose sur le tapis le dilemme des artistes palestiniens vivant sous le joug de l’occupation israélienne. Car le film a été projeté dans
Un Certain Regard en tant que film israélien, alors qu’il aborde un sujet purement palestinien, bien à l’image de sa réalisatrice. Cette dernière, qui en est également l’auteure, a déjà signé plusieurs courts métrages, dont notamment
Oranges, lequel a reçu la mention spéciale du public au Festival de Montpellier en 2012.
Affaires personnelles est donc son premier long métrage, présenté dans la section
Caméra d’Or, avec Maissa Abdel-Hadi et Hanan Helw. Comme bien de films palestiniens, tournés par des Arabes de 48, l’oeuvre est cofinancée par le Fonds du soutien du film israélien, un fonds gouvernemental qui constitue le seul recours à des artistes d’origine palestinienne désireux de faire du cinéma. Ceux-ci sont rarement sollicités par des producteurs israéliens ou des boîtes privées, sachant qu’ils traitent des sujets en rapport avec la Palestine. Et lorsqu’ils ont recours à l’aide gouvernementale, étant officiellement citoyens de l’Etat hébreu, ils sont regardés d’un oeil suspect de part et d’autre. Car ils critiquent l’Etat hébreu, avec son propre argent, et pour s’en sortir, ils ont recours aux symboles et aux sujets allégoriques, afin de faire parvenir leur message, à l’instar des cinéastes iraniens qui cherchent eux-aussi à briser les tabous politiques et religieux, à leur manière.
Problèmes de la banlieue
Rabie.
A travers les sections parallèles à Cannes, ce sont les Français d’origine arabe qui ont la cote, avec des sujets assez épineux. Projeté dans le cadre de
La Quinzaine des réalisateurs,
Divines, premier long métrage de Houda Benyamina, suscite une forte émotion. Il est né d’un sentiment d’injustice, celui des émeutes de 2005 dans la banlieue parisienne, vécues par la réalisatrice. Celle-ci place ses protagonistes dans une banlieue où se côtoient trafic et religion. Dounia (Aoulaya Amamara) a soif de pouvoir et de réussite, elle suit les pas d’une fameuse trafiquante de drogue. A nouveau, il s’agit d’une coproduction, d’une tragédie, mais l’humour et la vie sont au centre du film.
Par ailleurs, Le Tour de France de Rachid Djaïdani (42 ans, de père algérien et de mère soudanaise), avec Gérard Depardieu et le rappeur Sadek, fait une étape remarquée à La Quinzaine. Dans ce road movie, Far’Hook est un rappeur de 20 ans. Suite à un règlement de compte, il est obligé de quitter Paris pour quelque temps. Son producteur Bilal lui propose alors de prendre sa place et d’accompagner son père, Serge, pour faire le tour des ports en France. Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur plein de promesses et ce maçon du Nord de la France.
Le jeune cinéaste algérien, Damien Ounouri, a montré l’excellent court métrage, Kindil, toujours à travers La Quinzaine des réalisateurs. Il aborde le thème de la violence faite aux femmes, par le biais du conte fantastique. Lors d’une sortie à la plage, Nfissa, jeune mère de famille, est agressée par un groupe d’hommes, alors qu’elle se baignait seule au large. Ounouri y pratique un cinéma où se rejoignent l’imaginaire du film monstre et les arts plastiques dans un contexte réaliste. Un réalisateur à suivre.
Dernier film arabe de notre sélection, également une production de la France et des Emirats arabes unis, c’est le long métrage libanais Rabie ou Tramontane, projeté dans le cadre de la Semaine de la critique. Le jeune musicien non-voyant Rabie découvre, en essayant d’obtenir un passeport, que sa carte d’identité est falsifiée. Il part alors à la recherche de son acte de naissance, au fin fond de la campagne libanaise. Il se redécouvre entre-temps et change de destin. C’est la métaphore de tout le Liban
L’Afrique Noire
Le Tour de France.
Si tous les films susmentionnés représentent plutôt l’Afrique du Nord, le continent noir est également représenté par un documentaire :
Hissein Habré, une tragédie tchadienne portant la signature d’un éminent réalisateur, Mahomat-Saleh Haroun. Cet habitué de la Croisette livre, en 82 minutes, des témoignages poignants sur la répression, donnant la parole aux victimes de l’ex-dictateur tchadien Habré, jugé à Dakar pour crimes contre l’humanité. Présenté en séance spéciale, le film emprunte parfois au reportage, il est essentiellement consacré au récit des rescapés du régime Habré, responsable de la mort de près de 40 000 personnes. La tragédie africaine est montrée sans fard ni voyeurisme.
Publicité festivalière
Plusieurs festivals cinématographiques arabes à portée internationale ont saisi l’occasion de ce rendez-vous cannois 2016, afin de promouvoir leurs prochaines éditions. Ce fut le cas des festivals égyptiens, celui du film du Caire, d’Alexandrie et le Festival annuel du cinéma africain à Louqsor. Les responsables de ces manifestations ont tenu une conférence de presse conjointe, au pavillon égyptien installé dans le Village international. Il en était de même pour les Journées cinématographiques de Carthage, prévues du 28 octobre au 5 novembre et le Festival international de Dubaï.
Palmarès
Palme d’or : Moi, Daniel Blake de Ken Loach.
Grand Prix : Juste la fin du monde de Xavier Dolan.
Palme d’or du court métrage : Timecode de Juanjo Gimenez.
Caméra d’or : Divines d’Houda Benyamina.
Prix du jury : American Honey d’Andrea Arnold.
Prix d’interprétation masculine : Shahab Hosseini dans Le Client d’Asghar Farhadi.
Prix d’interprétation féminine : Jaclun Jose dans Ma’Rosa de Brillante Mendoza.
Prix du scénario : Le Client d’Asghar Farhadi.
Prix de la mise en scène ex-aequo : Baccalauréat de Christian Mungiu et Personal Shopper d’Olivier Assayas.
Prix Vulcain de L’artiste-Technicien, décerné par La C.S.T. (Commission supérieure technique de l’image et du son) : Seong-Hie Ryu dans Mademoiselle de Park Chan-Wook.
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