Pour son deuxième long métrage, le réalisateur égyptien Mohamad Diab imagine un huis clos à l’intérieur d’un fourgon de police devenu cellule, pour cause de prisons surchargées, après la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi.
L’espace temporel : l’été 2013. Le lieu : un fourgon de police, dans les rues du Caire. Quelques jours après la chute du régime des Frères musulmans, violences, manifestations et émeutes enflamment à nouveau les rues de plusieurs villes égyptiennes. Les membres de la confrérie et leurs sympathisants affrontent les forces de l’ordre. Des contre-manifestants, qui ont peur du retour des islamistes au pouvoir, descendent aussi dans les rues. Tous les ingrédients dramatiques sont présents dans le monde réel pour que le jeune cinéaste en tire les éléments de son monde fictionnel.
Favorisant encore une fois le huis clos dramatique dont il a eu recours — avec un certain dosage — dans son premier film, Bus 678, projeté en 2010 et dans lequel il transmettait les maux de certaines femmes égyptiennes victimes de harcèlement sexuel dans les moyens de transport, Diab en intensifie encore plus l’effet cette fois-ci.
Pendant plus de 97 minutes, le public, comme les protagonistes, se retrouvent enfermés dans l’espace clos et étouffant d’un fourgon de police, suivant deux correspondants locaux de l’Associated Press arrêtés par la police. On les soupçonne d’être des provocateurs pro-islamistes. Jetés dans le fourgon antiémeute sans plus de témoins, ils essaient d’attirer l’attention d’un groupe de manifestants à l’extérieur. Ceux-ci, les prenant également pour des Frères musulmans, attaquent le fourgon. Les policiers arrêtent le groupe de jeunes et les forcent à rejoindre les deux reporters. Le fourgon démarre, pour tomber un peu plus loin sur un corral d’anti-révolution du 30 juin. Pour libérer le chemin, une foule d’opposants sont eux aussi embarqués dans le fourgon, qui se transforme en véritable tumulte, avec femmes, vieux, jeunes et enfants, tous entassés les uns sur les autres. Ainsi commence une journée d’enfer, dans ce microcosme blindé où se concrétisent toutes les tensions que traverse la société égyptienne.
Restant fidèle à sa forme favorite, Mohamad Diab signe avec Clash un nouveau film choral, représentant une Egypte tiraillée entre différents idéologies et courants politiques. Le scénario adopte une approche assez déstructurée, tout en essayant de suivre — vainement — une ligne objective.
Sur l’aspect purement narratif, l’oeuvre pêche par son entropie et un penchant parfois lourd vers une déclamation bavarde. Un défaut majeur, qui peut agacer, voire aliéner certains spectateurs. Et c’est profondément dommage, tant Clash possède de grandes qualités cinématographiques et une réverbération solide sur des problématiques actuelles.
Mosaïque d’un chaos social
Toutefois, ce qui est négligé sur le plan scénaristique est compensé par des choix esthétiques audacieux. Alors que la narration passe d’une piste à l’autre, chaque séquence est reliée à celles qui l’entourent par des flash-back enchaînés visuellement ou symboliquement, dont certains s’avèrent d’une grande audace artistique. Au-delà du simple plaisir cinématographique d’un tel exercice de style, cela invite surtout le spectateur à établir des liens bien plus significatifs qu’un simple scénario pourrait le faire. C’est d’ailleurs la grande qualité de
Clash, et peut-être le signe d’un progrès et d’une mutation dans le style narratif de son auteur-réalisateur. Les séquences sont réalisées d’après un point de vue sensible, transmettant symboliquement au spectateur un chaos tant intérieur qu’extérieur. Plus le film avance, plus les séquences se débarrassent de toutes distinctions idéologiques. Elles deviennent communes, intrinsèques à tous les personnages, avant de s’éclaircir vers la fin du film, donnant les dernières clés de compréhension au spectateur.
Film mosaïque, il soulève de nombreuses questions sans pour autant toutes les traiter. Film politique, il effleure le problème mondial de la violence entre régimes et citoyens, et des litiges inter-concitoyens.
Basé avant tout sur les différences de convictions ou d’idéologies qui peuvent parfois unir mais souvent démolir, Clash s’appuie notamment sur les rapports tissés entre les gens, laissant aux images et au jeu des comédiens le soin de figurer les états d’âme de chacun, sans que le dialogue intervienne beaucoup. Une fois la barrière de la différence et des objectifs politiques passée, tous se ressemblent alors.
Le casting en est l’exemple le plus patent. L’affiche de stars Nelly Karim, Hani Adel, Tareq Abdel-Aziz et Ahmad Malek n’a du cachet que grâce à une pléiade d’acteurs non professionnels ou de seconds rôles qui offrent au métrage son aspect différent et souvent frais.
Même si le film Echtebak (clash) pourrait être amplement encensé par la critique occidentale et le public cannois, pour le fait de discuter un thème de violence, d’islamophobie, de terrorisme et de fanatisme idéologique, préoccupant plusieurs sociétés occidentales, ce métrage reste témoin de la spécificité artistique et idéologique de son équipe de travail, et de son jeune réalisateur Mohamad Diab, cosignataire du scénario avec son frère Khaled Diab. Une aventure couronnée d’une participation au goût d’hommage cannois, dont on pourra attendre de belles surprises au palmarès.
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