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L’Histoire ininterrompue de la Terre

Dina Kabil, Lundi, 18 avril 2016

L'exposition de la Libanaise Simone Fattal à Sharjah récapitule la diversité de son oeuvre picturale et de ses sculptures en glaise, en grès et en céramique. La Terre vivante réveille les couches de l’Histoire.

L’Histoire ininterrompue de la Terre
Simone Fattal nous fait relire l’Histoire autrement. (Photo:Dina Kabil)

Au vernissage de son exposition, Simone Fattal se déplaçait telle une vraie vedette. Une tenue énergé­tique et une mèche de cheveux rebelle dansant avec un beau sourire qui garde la beauté syro-libanaise et la coquetterie du bon vieux temps. Dans son escale à Sharjah de sa résidence parisienne, elle répond gentiment à toutes les questions des journalistes et des caméras de télévision : « J’aime mon travail et je souhaite que les gens viennent nombreux le regarder », avance la sculptrice. En fait, la per­sonnalité et l’oeuvre de Simone Fattal exigent que le « sculpteur » soit mis au féminin, sans hésiter.

Et sans doute ce statut d’artiste-femme, bien placée sur la scène artis­tique internationale, a beaucoup compté pour la curatrice Cheikha Hoor Al-Qassimi, directrice de la fon­dation Sharjah pour les arts, en envi­sageant la conception des expositions du programme du printemps. En parallèle avec la rencontre annuelle de mars (MM2016), tenue à Sharjah, le programme du printemps qui se pro­longe jusqu’à fin juin présente des figures emblématiques d’artistes-femmes comme Simone Fattal et une autre artiste influente, qui est l’Ira­nienne Fridah Lashaï (1944-2013). Et ce, outre le couple libanais Joana Hadjithomas et Khalili Joreige, qui présente une importante exposition, toujours dans le cadre du même pro­gramme.

Dans l’une des vastes salles d’expo­sition de SAF, une panoplie d’oeuvres diversifiées présente l’itinéraire de Simone Fattal entre sculptures abs­traites en céramique et glaise, compo­sitions textuelles, peintures et col­lages. Une fleur de chaque bouquet qui reflète chacune la passion de l’ar­tiste qui se plaît à creuser à travers les couches de l’Histoire lointaine. Dès le premier contact avec cette gamme d’oeuvres, l’on est frappé par le senti­ment d’ancienneté, comme si ces oeuvres (une maison primitive, un site historique délaissé, le corps déchi­queté d’un guerrier, etc.) étaient des pièces archéologiques qui remontent à une civilisation méditerranéenne loin­taine.

Née à Damas, Simone Fattal a grandi au Liban, a étudié la philoso­phie et la littérature à l’Ecole des lettres de Beyrouth, puis à Paris, à la Sorbonne. Artiste autodidacte, elle commence à peindre en 1969, puis frappée par les atrocités de la guerre qui ont secoué Beyrouth, elle s’ins­talle aux Etats-Unis dans les années 1980, et réside actuellement en France. Travaillant depuis plus d’une trentaine d’années avec la céramique et le grès, elle trouve dans la première un élément capri­cieux qui mérite le défi, tandis que le grès lui permet de travailler la matière directement sans l’ajout d’un autre élément. Ceci lui offre l’opportunité « de se rattacher à là d’où l’on vient, puisque nous avons tous été créés d’une motte de terre ». A l’image d’Eve, l’artiste module la porcelaine, pétrifie la terre et mani­pule le grès, pour poser de nouveau la question de l’existence. Serait-ce cette recherche existentielle qui ins­pire l’artiste, non musulmane, dans ces compositions textuelles inspi­rées du Coran, de textes soufis, ou de poèmes arabes ? Pour l’une de ses sculptures, elle a recours à un verset coranique, où Dieu s’adresse au prophète Mohamad après la bataille de Badr lui affirmant son soutien pendant les combats.

La cavalière arabe
En fouillant dans les civilisations de Palmyre ou de Sumer, en creusant dans le thème de l’Histoire, ou de la guerre, Simone Fattal ne pense pas qu’elle remonte à des temps anciens. « Parce que le passé ne s’arrête pas pour laisser place au présent, élu­cide-t-elle, mais nous vivons la même histoire, les événements se répètent et le peuple continue à être le même. Il s’agit d’une seule histoire ininterrom­pue ». C’est pourquoi, elle puise ses personnages, illustrés dans sa sculp­ture ou sa peinture, dans le patrimoine littéraire, de Gilgamesh ou d’Al-Ami­rah Zat Al-Hemma wa Ibnaha Abdel-Wahab (la princesse Zat Al-Hemma et son fis Abdel-Wahab). Au-delà des personnages tirés de l’épopée, que ce soit le cheval, les djinns, le guerrier, la princesse, Fattal redécouvre un modèle d’une véritable cavalière dans le conte arabe de Zat Al-Hemma (elle montre celle-ci, en sculpture, avec son fils Abdel-Wahab, sur l’une des oeuvres de la collection privée de la SAF). L’artiste révèle, à travers cette épopée, écrite à la même époque que les Mille et une nuits, mais beaucoup moins connue du grand public, que plus on remonte dans l’Histoire, plus on découvre le vrai sens de l’émanci­pation de la femme, de la liberté. Il s’agit de la figure d’une femme-lea­der qui a réussi là où les hommes ont échoué : elle a pu unifier les voix des tribus rivales et vaincre l’ennemi, venu de l’extérieur. Chaque histoire la mène vers une autre plus frappante et plus contemporaine, comme celle du grand juge, très grande figure de la civilisation islamique, accusé de traî­trise et cachant au sultan ses véri­tables croyances. Simone Fattal conti­nue à feuilleter l’Histoire enfouie d’une main, et à modeler la pâte d’ar­gile de l’autre.

Jusqu’à fin juin. Fattal participe aussi à l’exposition CERAMIX, de Rodin à Schütte.

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