Simone Fattal nous fait relire l’Histoire autrement.
(Photo:Dina Kabil)
Au vernissage de son exposition, Simone Fattal se déplaçait telle une vraie vedette. Une tenue énergétique et une mèche de cheveux rebelle dansant avec un beau sourire qui garde la beauté syro-libanaise et la coquetterie du bon vieux temps. Dans son escale à Sharjah de sa résidence parisienne, elle répond gentiment à toutes les questions des journalistes et des caméras de télévision : « J’aime mon travail et je souhaite que les gens viennent nombreux le regarder », avance la sculptrice. En fait, la personnalité et l’oeuvre de Simone Fattal exigent que le « sculpteur » soit mis au féminin, sans hésiter.
Et sans doute ce statut d’artiste-femme, bien placée sur la scène artistique internationale, a beaucoup compté pour la curatrice Cheikha Hoor Al-Qassimi, directrice de la fondation Sharjah pour les arts, en envisageant la conception des expositions du programme du printemps. En parallèle avec la rencontre annuelle de mars (MM2016), tenue à Sharjah, le programme du printemps qui se prolonge jusqu’à fin juin présente des figures emblématiques d’artistes-femmes comme Simone Fattal et une autre artiste influente, qui est l’Iranienne Fridah Lashaï (1944-2013). Et ce, outre le couple libanais Joana Hadjithomas et Khalili Joreige, qui présente une importante exposition, toujours dans le cadre du même programme.
Dans l’une des vastes salles d’exposition de SAF, une panoplie d’oeuvres diversifiées présente l’itinéraire de Simone Fattal entre sculptures abstraites en céramique et glaise, compositions textuelles, peintures et collages. Une fleur de chaque bouquet qui reflète chacune la passion de l’artiste qui se plaît à creuser à travers les couches de l’Histoire lointaine. Dès le premier contact avec cette gamme d’oeuvres, l’on est frappé par le sentiment d’ancienneté, comme si ces oeuvres (une maison primitive, un site historique délaissé, le corps déchiqueté d’un guerrier, etc.) étaient des pièces archéologiques qui remontent à une civilisation méditerranéenne lointaine.
Née à Damas, Simone Fattal a grandi au Liban, a étudié la philosophie et la littérature à l’Ecole des lettres de Beyrouth, puis à Paris, à la Sorbonne. Artiste autodidacte, elle commence à peindre en 1969, puis frappée par les atrocités de la guerre qui ont secoué Beyrouth, elle s’installe aux Etats-Unis dans les années 1980, et réside actuellement en France. Travaillant depuis plus d’une trentaine d’années avec la céramique et le grès, elle trouve dans la première un élément capricieux qui mérite le défi, tandis que le grès lui permet de travailler la matière directement sans l’ajout d’un autre élément. Ceci lui offre l’opportunité « de se rattacher à là d’où l’on vient, puisque nous avons tous été créés d’une motte de terre ». A l’image d’Eve, l’artiste module la porcelaine, pétrifie la terre et manipule le grès, pour poser de nouveau la question de l’existence. Serait-ce cette recherche existentielle qui inspire l’artiste, non musulmane, dans ces compositions textuelles inspirées du Coran, de textes soufis, ou de poèmes arabes ? Pour l’une de ses sculptures, elle a recours à un verset coranique, où Dieu s’adresse au prophète Mohamad après la bataille de Badr lui affirmant son soutien pendant les combats.
La cavalière arabe
En fouillant dans les civilisations de Palmyre ou de Sumer, en creusant dans le thème de l’Histoire, ou de la guerre, Simone Fattal ne pense pas qu’elle remonte à des temps anciens. « Parce que le passé ne s’arrête pas pour laisser place au présent, élucide-t-elle, mais nous vivons la même histoire, les événements se répètent et le peuple continue à être le même. Il s’agit d’une seule histoire ininterrompue ». C’est pourquoi, elle puise ses personnages, illustrés dans sa sculpture ou sa peinture, dans le patrimoine littéraire, de Gilgamesh ou d’Al-Amirah Zat Al-Hemma wa Ibnaha Abdel-Wahab (la princesse Zat Al-Hemma et son fis Abdel-Wahab). Au-delà des personnages tirés de l’épopée, que ce soit le cheval, les djinns, le guerrier, la princesse, Fattal redécouvre un modèle d’une véritable cavalière dans le conte arabe de Zat Al-Hemma (elle montre celle-ci, en sculpture, avec son fils Abdel-Wahab, sur l’une des oeuvres de la collection privée de la SAF). L’artiste révèle, à travers cette épopée, écrite à la même époque que les Mille et une nuits, mais beaucoup moins connue du grand public, que plus on remonte dans l’Histoire, plus on découvre le vrai sens de l’émancipation de la femme, de la liberté. Il s’agit de la figure d’une femme-leader qui a réussi là où les hommes ont échoué : elle a pu unifier les voix des tribus rivales et vaincre l’ennemi, venu de l’extérieur. Chaque histoire la mène vers une autre plus frappante et plus contemporaine, comme celle du grand juge, très grande figure de la civilisation islamique, accusé de traîtrise et cachant au sultan ses véritables croyances. Simone Fattal continue à feuilleter l’Histoire enfouie d’une main, et à modeler la pâte d’argile de l’autre.
Jusqu’à fin juin. Fattal participe aussi à l’exposition CERAMIX, de Rodin à Schütte.
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