
Petits hippopotames en selfies.
Choisir l’hippopotame (littéralement : cheval de fleuve) en tant que protagoniste « dramatique » de toutes ses sculptures, grands et petits formats, en polyester oxydé, pour sa nouvelle exposition, à la galerie Machrabiya. Ce n’est pas un choix fait au hasard par l’artiste-sculpteur Ahmed Askalany. Non sans une certaine gaieté, incrustée d’une plaisante ironie, Askalany ressuscite à sa manière au temps moderne l’hippopotame, cet animal « sacré » symbole de « fertilité » dans l’Egypte Ancienne. D’où un doux jeu de contraste, entre le sacré et le moderne, le réel et l’imaginaire, le déplaisant et l’amusant, qui se dégage de l’art de Askalany. Un art visuel contemporain, qui puise étroitement dans le folklore égyptien, comme dans la nature et l’histoire ancestrale de la ville de Qéna en Haute-Egypte, la terre natale de Askalany. « Depuis qu’ils ont été bloqués par le Haut-Barrage d’Assouan, les hippopotames ont disparu. A l’époque antique, ils étaient très abondants sur tout le cours du Nil, partout où les rivages portaient une riche végétation. Pour preuve, au temps des pharaons, les statuettes d’hippopotames étaient déposées près de leurs momies, pour annoncer la renaissance de leurs morts. De nos jours, le sacré d’antan a disparu. Pareillement, les normes de la vie, ainsi que les valeurs de la société, ont changé », relate Ahmed Askalany qui suggère, à travers ses sculptures, un certain parallélisme entre hippopotame et espèces humaines, au temps présent. Et d’ajouter : « Mes hippopotames jouent un rôle similaire à celui de l’homme contemporain : attitudes, états d’âme, et comportement au quotidien, oscillant entre paresse, indifférence et même agression. C’est ce que je touche de près dans la rue, dans les médias et partout en Egypte. D’ailleurs, mes hippopotames à dimension réelle, étroitement conformes au réel avec leurs silhouettes arrondies et généreuses, sont capables d’évoquer et de transmettre au récepteur de mon art un certain sentiment de maladresse, d’indolence et de lourdeur. Comment pour une société qui passe par l’indifférence et le laisser-aller, peut-elle un jour progresser !? ».
Artiste engagé, ce n’est pas la première fois que Askalany ironise sur les « mauvaises » habitudes de la société contemporaine. Déjà en 2012, toujours à Machrabiya, l’artiste sculpte des statues en grands formats, accentuant des hommes à corps obèse, monté d’une « petite » tête. « C’est pour dire que les gens ne veulent se fatiguer ni à penser, ni à agir en société. Après quatre ans de pause, Askalany, cet artiste contemporain du primitif et du local, revient en force à la galerie Machrabiya, pour dénoncer le quotidien, non sans une douce révolte, sans parler politique directement. Avec intelligence et esthétisme, bien soigné et pensé, en couleurs et en formes, les sculptures de Askalany, que je veux davantage qualifier de surnaturelles, délaissent leur sauvagerie, optent pour un caractère doux, pacifique et surtout amusant. Autre manière d’exorciser délicatement les problèmes contemporains », accentue Stéphania Angarano, propriétaire de la galerie Machrabiya.
Côté amusant
Connus pour leur apparence débonnaire qu’affectionnent petits et grands, les « chevaux du fleuve » chez Askalany amusent leur récepteur, à travers des scènes du quotidien. Ce qui est fort clair dans la série des petits hippopotames installés juste face à l’entrée de la galerie Machrabiya, où tout récepteur se sentira comme dans un vrai habitat d’hippopotames. Regroupés la plupart du temps en duo ou en trio, les hippopotames de Askalany placés dans des cadres sociaux sont dépeints tout en dérision. Ils sont des symboles et des miroirs de l’impact de l’évolution des technologies — communication et informatique — sur l’esprit humain. Très sympathiques, les petits hippopotames de Askalany portent des cellulaires, pour prendre des selfies. D’autres sont dans des scènes familiales, très quotidiennes, très amusantes. Voici un couple amoureux. Une mère entourée de ses enfants. Une autre qui dorlote son petit enfant, etc.
L’exposition de Askalany porte en elle un thème monothématique, très bien développé, avec beaucoup de variations. « J’aime expérimenter avec la matière. Le polyester m’est une matière résistante et malléable, capable d’absorber la couleur oxydée que j’ai choisie pour mes hippopotames, très proche de la réalité, entre le lisse et le rude. C’est la vie et ses mutations », déclare Askalany. L’artiste se prépare actuellement à lancer une nouvelle série de sculptures, cette fois en polyester noir. Une série qui met en relief des têtes humaines enveloppées de feuilles de palmiers sous forme de voiles. Autre manière de dénoncer interdits, tabous, et restrictions à la liberté d’expression, imposées par la société ! .
Jusqu’au 14 avril, de 10h à 21h (sauf le vendredi). 8, rue Champollion, centre-ville.
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