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Le cinéma au service de la cause palestinienne

Mohamad Atef, Lundi, 22 février 2016

La cinéaste palestinienne May Al-Masry raconte dans son premier long métrage, Trois mille nuits, l’histoire des prisonnières palestiniennes en Israël. Une vision féminine et esthétique.

Le cinéma au service de la cause palestinienne
Détresse et force d’une prisonnière.

Layal (jouée par Maïssa Abdel-Hadi) est une insti­tutrice et militante palesti­nienne, condamnée à 8 ans de prison en Israël, pour avoir aidé un jeune compatriote engagé dans les rangs de la résistance. Elle souffre terriblement des conditions de sa détention, de l’agressivité et du racisme de ses compagnons de cellule et de la suspicion des autres Palestiniennes. Cerise sur le gâteau, on veut la séparer de l’enfant qu’elle a mis au jour en prison. La raison ? Elle a participé à la grève générale, organisée en signe de pro­testation contre les massacres de Sabra et Chatila.

Les années s’écoulent et une fois libérée, elle décide de quitter son mari qui l’a abandonnée à son sort et a émigré vers des pays lointains. C’est l’intrigue de Trois mille nuits, le premier long métrage de la réali­satrice palestinienne engagée May Al-Masry, qui a commencé sa car­rière dans les années 1980 (voir encadré). Le film s’inspire de faits réels, relatant le sort commun de plusieurs milliers d’enfants palesti­niens, nés dans les prisons israé­liennes. Al-Masry a d’ailleurs tour­né dans une prison militaire aban­donnée en Jordanie et a eu recours à de nouvelles comédiennes, dont la principale protagoniste, Maïssa Abdel-Hadi. Cette ambiance de vraie prison a poussé l’une des comédiennes à se retirer du tour­nage, car ne pouvant plus supporter la pression émotionnelle du lieu. Le reste de l’équipe s’est mis dans l’ambiance du lieu, d’où une pres­tation assez sincère.

L’écriture du scénario s’est déroulée sur plusieurs années, car la cinéaste a voulu à tout prix ne pas répéter les mêmes clichés qui reviennent inlassablement lorsqu’il s’agit d’histoire de Palestiniens en prison. Al-Masry ne voulait pas que le public parvienne à deviner la suite des événements, puisqu’il a déjà vu des centaines de films abor­dant la même thématique. Elle a opté alors pour une vision très féminine, contrairement à ses collè­gues masculins qui perçoivent les choses différemment.

La période passée par Layal en prison semble ainsi assez révol­tante : elle défend une juste cause, mais se retrouve dans l’impuis­sance totale. A plusieurs reprises, on la voit en train de caresser les murs. Elle les touche comme pour les supplier d’être à l’écoute et de la laisser partir. Par moment, la réalisatrice reprend des vidéos du mur de séparation construit par l’Etat hébreu dans lesquelles on voit de simples citoyens toucher également les parois du mur, de la même manière que Layal. Elle a ici voulu montrer qu’ils sont tous emprisonnés.

L’esthétisme de l’image charme, en dépit du caractère horrifiant du sujet traité. Un drame sombre, mais l’image est parfaite : l’éclairage du directeur de la photographie fran­çais, Gilles Porte, les soubresauts de la caméra-épaule, les décors nous plongent dans un état d’âme allant de pair avec l’amertume des personnages. Les effets sonores accentuent cette ambiance funeste et pesante, on entend les bruits des chaînes, des menottes, des cadenas, des portes qui se ferment et d’autres plus lourdes à s’ouvrir. La musique parle à la place des personnages, durant les séquences silencieuses.

Une sorte de docu-fiction

May Al-Masry a mélangé les genres fiction et documentaire de manière très habile et avec beau­coup de sensibilité. Désormais, elle s’impose avec un style qui lui est propre. Son long parcours de docu­mentariste a rendu les personnages et leurs dialogues plus véridiques. Elle raconte les détails profondé­ment, tout en changeant les procé­dés de narration, allant au-delà des mots grâce à l’esthétisme et à la force de l’image. Les personnages, tous plus intéressants les uns que les autres, sont d’une grande sincé­rité. Ils ne sont pas sans rappeler d’autres qu’elle a rencontrés dans la réalité, en travaillant sur des pré­cédents documentaires sur les pri­sonnières palestiniennes.

Ainsi elle a présenté le courage de ces femmes à travers une série de personnages, dont Layal. Celle-ci ne cesse de révéler ses diverses facettes : l’épouse abandonnée, la mère tendre, la militante engagée auprès de la résistance, bref, une femme intègre qui refuse de jeter l’éponge, malgré les menaces.

Une cause universelle

En présentant ainsi les rires et les larmes des prisonnières, leurs astuces et leurs supplices, Al-Masry cherche avant tout à communiquer la valeur universelle de la cause palestinienne. Celle-ci peut toucher les citoyens du monde, sans grande pompe ni dis­cours emphatiques. On se trouve souvent face à des êtres nobles qui continuent à résister, même avec les moyens les plus simples. Mais l’on découvre aussi l’avocate israélienne, pro-paix, qui se bat aux côtés des Palestiniens, refusant l’oppression sous toutes ses formes. Cette der­nière accuse même les autorités israéliennes d’avoir été responsables de la mort de son fils, en l’envoyant faire la guerre. La cinéaste a voulu ainsi rendre hommage aux personna­lités qui, du côté israélien, rejettent la violence, rêvent de vivre en paix.

L’ensemble du film nous plonge dans un état d’âme proche de celui décrit dans une célèbre chanson palestinienne, évoquant « la noir­ceur des prisons qui règne » (Ya Zalam Al-Ségn Khayem).

Trois mille nuits est une coproduc­tion regroupant le Liban, le Qatar, Les Emirats arabes unis, la Jordanie et la France. Sa première représenta­tion a eu lieu au Festival de Dubaï en décembre dernier, puis a fait le tour de plusieurs autres festivals et ren­contres cinématographiques, en Inde, en Corée du Sud, aux Etats-Unis, en Angleterre, etc. Récemment, il vient d’être projeté en Egypte dans le cadre de la dernière édition du Festival de Louqsor pour le cinéma arabe et européen.

Al-Masry,la cinéaste engage

Le cinéma au service de la cause palestinienne

Née en 1959 à Amman (Jordanie) d’un père palestinien et d’une mère américaine, May Al-Masry est issue d’une famille aisée dans laquelle on trouve plusieurs cinéastes. Après avoir suivi des études de cinéma à l’Uni­versité San Francisco, au début des années 1980, elle part s’installer au Liban et co-réalise avec son mari, le cinéaste libanais Jean Chamoun, plu­sieurs films sur les effets de la guerre du Liban ainsi que sur la résistance palestinienne, notamment du point de vue des enfants et des femmes. Leurs documentaires engagés ont fait ainsi le tour des festivals du monde depuis 1984, et May Al-Masry a bien consolidé sa réputation de documentariste chevronnée, avant de lancer son entreprise de production, toujours avec son mari, Nour Productions, en 1994. Parmi ses films : Sous les décombres (1983), Femmes du Sud-Liban (1986), Génération de la guerre (1988), Les Enfants du feu sur l’Intifada (1990), Les Enfants de Chatila (1998).

Souvent, il est question dans ses oeuvres de récits personnels où prime la quête du bien commun .

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