Layal (jouée par Maïssa Abdel-Hadi) est une institutrice et militante palestinienne, condamnée à 8 ans de prison en Israël, pour avoir aidé un jeune compatriote engagé dans les rangs de la résistance. Elle souffre terriblement des conditions de sa détention, de l’agressivité et du racisme de ses compagnons de cellule et de la suspicion des autres Palestiniennes. Cerise sur le gâteau, on veut la séparer de l’enfant qu’elle a mis au jour en prison. La raison ? Elle a participé à la grève générale, organisée en signe de protestation contre les massacres de Sabra et Chatila.
Les années s’écoulent et une fois libérée, elle décide de quitter son mari qui l’a abandonnée à son sort et a émigré vers des pays lointains. C’est l’intrigue de Trois mille nuits, le premier long métrage de la réalisatrice palestinienne engagée May Al-Masry, qui a commencé sa carrière dans les années 1980 (voir encadré). Le film s’inspire de faits réels, relatant le sort commun de plusieurs milliers d’enfants palestiniens, nés dans les prisons israéliennes. Al-Masry a d’ailleurs tourné dans une prison militaire abandonnée en Jordanie et a eu recours à de nouvelles comédiennes, dont la principale protagoniste, Maïssa Abdel-Hadi. Cette ambiance de vraie prison a poussé l’une des comédiennes à se retirer du tournage, car ne pouvant plus supporter la pression émotionnelle du lieu. Le reste de l’équipe s’est mis dans l’ambiance du lieu, d’où une prestation assez sincère.
L’écriture du scénario s’est déroulée sur plusieurs années, car la cinéaste a voulu à tout prix ne pas répéter les mêmes clichés qui reviennent inlassablement lorsqu’il s’agit d’histoire de Palestiniens en prison. Al-Masry ne voulait pas que le public parvienne à deviner la suite des événements, puisqu’il a déjà vu des centaines de films abordant la même thématique. Elle a opté alors pour une vision très féminine, contrairement à ses collègues masculins qui perçoivent les choses différemment.
La période passée par Layal en prison semble ainsi assez révoltante : elle défend une juste cause, mais se retrouve dans l’impuissance totale. A plusieurs reprises, on la voit en train de caresser les murs. Elle les touche comme pour les supplier d’être à l’écoute et de la laisser partir. Par moment, la réalisatrice reprend des vidéos du mur de séparation construit par l’Etat hébreu dans lesquelles on voit de simples citoyens toucher également les parois du mur, de la même manière que Layal. Elle a ici voulu montrer qu’ils sont tous emprisonnés.
L’esthétisme de l’image charme, en dépit du caractère horrifiant du sujet traité. Un drame sombre, mais l’image est parfaite : l’éclairage du directeur de la photographie français, Gilles Porte, les soubresauts de la caméra-épaule, les décors nous plongent dans un état d’âme allant de pair avec l’amertume des personnages. Les effets sonores accentuent cette ambiance funeste et pesante, on entend les bruits des chaînes, des menottes, des cadenas, des portes qui se ferment et d’autres plus lourdes à s’ouvrir. La musique parle à la place des personnages, durant les séquences silencieuses.
Une sorte de docu-fiction
May Al-Masry a mélangé les genres fiction et documentaire de manière très habile et avec beaucoup de sensibilité. Désormais, elle s’impose avec un style qui lui est propre. Son long parcours de documentariste a rendu les personnages et leurs dialogues plus véridiques. Elle raconte les détails profondément, tout en changeant les procédés de narration, allant au-delà des mots grâce à l’esthétisme et à la force de l’image. Les personnages, tous plus intéressants les uns que les autres, sont d’une grande sincérité. Ils ne sont pas sans rappeler d’autres qu’elle a rencontrés dans la réalité, en travaillant sur des précédents documentaires sur les prisonnières palestiniennes.
Ainsi elle a présenté le courage de ces femmes à travers une série de personnages, dont Layal. Celle-ci ne cesse de révéler ses diverses facettes : l’épouse abandonnée, la mère tendre, la militante engagée auprès de la résistance, bref, une femme intègre qui refuse de jeter l’éponge, malgré les menaces.
Une cause universelle
En présentant ainsi les rires et les larmes des prisonnières, leurs astuces et leurs supplices, Al-Masry cherche avant tout à communiquer la valeur universelle de la cause palestinienne. Celle-ci peut toucher les citoyens du monde, sans grande pompe ni discours emphatiques. On se trouve souvent face à des êtres nobles qui continuent à résister, même avec les moyens les plus simples. Mais l’on découvre aussi l’avocate israélienne, pro-paix, qui se bat aux côtés des Palestiniens, refusant l’oppression sous toutes ses formes. Cette dernière accuse même les autorités israéliennes d’avoir été responsables de la mort de son fils, en l’envoyant faire la guerre. La cinéaste a voulu ainsi rendre hommage aux personnalités qui, du côté israélien, rejettent la violence, rêvent de vivre en paix.
L’ensemble du film nous plonge dans un état d’âme proche de celui décrit dans une célèbre chanson palestinienne, évoquant « la noirceur des prisons qui règne » (Ya Zalam Al-Ségn Khayem).
Trois mille nuits est une coproduction regroupant le Liban, le Qatar, Les Emirats arabes unis, la Jordanie et la France. Sa première représentation a eu lieu au Festival de Dubaï en décembre dernier, puis a fait le tour de plusieurs autres festivals et rencontres cinématographiques, en Inde, en Corée du Sud, aux Etats-Unis, en Angleterre, etc. Récemment, il vient d’être projeté en Egypte dans le cadre de la dernière édition du Festival de Louqsor pour le cinéma arabe et européen.
Al-Masry,la cinéaste engage
Née en 1959 à Amman (Jordanie) d’un père palestinien et d’une mère américaine, May Al-Masry est issue d’une famille aisée dans laquelle on trouve plusieurs cinéastes. Après avoir suivi des études de cinéma à l’Université San Francisco, au début des années 1980, elle part s’installer au Liban et co-réalise avec son mari, le cinéaste libanais Jean Chamoun, plusieurs films sur les effets de la guerre du Liban ainsi que sur la résistance palestinienne, notamment du point de vue des enfants et des femmes. Leurs documentaires engagés ont fait ainsi le tour des festivals du monde depuis 1984, et May Al-Masry a bien consolidé sa réputation de documentariste chevronnée, avant de lancer son entreprise de production, toujours avec son mari, Nour Productions, en 1994. Parmi ses films : Sous les décombres (1983), Femmes du Sud-Liban (1986), Génération de la guerre (1988), Les Enfants du feu sur l’Intifada (1990), Les Enfants de Chatila (1998).
Souvent, il est question dans ses oeuvres de récits personnels où prime la quête du bien commun .
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