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Expositions : Dialogue masqué de Bahgouri

Névine Lameï, Lundi, 28 janvier 2013

Bahgouri, Ahmad Morsi et Hassan Abdel-Fattah : focus sur trois grandes toiles peintes par trois grands noms de la peinture égyptienne. A ne pas rater !

Exposition

C’est à Paris en 2012, au milieu de la forêt qui entoure son atelier, que le peintre-caricaturiste Georges Bahgouri peint La Fête, un mixed-media sur toile. La Fête (190x250 cm) est, en ce moment, exposée à l’entrée de la galerie Massar. Bahgouri y exprime ainsi à sa manière, sur un ton fougueux et nostalgique, ses sentiments envers l’Egypte.

« On me demande souvent pourquoi je vis à Paris depuis 1969, alors que c’est l’Egypte qui s’impose dans toutes mes peintures. C’est une question de mémoire. Dans mes peintures, rien n’unit la France à l’Egypte, à l’exception du moi de l’artiste », déclare Bahgouri.

Mais ses va-et-vient continus entre l’Egypte et l’Europe ne sont pas sans influence sur ses créations artistiques qui se dotent de référents européens tels Picasso ou Michel-Ange. La Fête ne s’arrête pas aux défauts physiques des personnages. Elle ne déforme pas leurs traits, mais sympathise avec eux, traduisant leur âme et leur mouvement. On dirait que Bahgouri peint par taches. Il n’alourdit pas les formes avec ses couleurs, mais les couvre de taches instinctives, exécutées à la hâte, avec légèreté et spontanéité. Le tout est en mouvement, cohérent et chargé de motifs populaires, créant une sorte d’icône bahgourienne.

Voici donc une fête populaire, avec ses motifs folkloriques et ses ornementations orientales inspirées des tissus de Khiyamiya (un quartier réputé pour ses toiles de tentes). Musiciens populaires avec leur mizmar (flûte orientale), animaux domestiques, chevaux dressés au son de musiques orientales et masse humaine en masques, tout baigne dans un grand bain de fête.

Les protagonistes de La Fête, sans cesse en mouvement, sont immergés dans une palette de couleurs chaudes, criardes et ensoleillées. Ils sont à la recherche d’un gagne-pain. « L’esthétique dans mon art repose sur le masque comme délivrance du visage. A chaque type de masques se rattachent des mythes, qui ont pour objet d’expliquer leur origine légendaire ou surnaturelle ... une comédie humaine dramatique où mensonge et vérité, réalité et illusion se chevauchent », déclare le peintre qui s’inspire aussi des portraits du Fayoum.

Pour lui, « le visage peint, c’est-à-dire masqué, rappelle ceux des masques mortuaires de l’Egypte Ancienne. Ces visages révèlent le secret de la vie et de la mort. Une immortalité au-delà de la chair que l’art seul peut fournir ». Dans La Fête, il se laisse influencer par ses origines de Haute-Egypte, de Bahgoura, à Qéna, et par les ruelles de sa terre pharaonique, à Louqsor. Une oeuvre à voir et à revoir.

Jusqu’au 21 février, à la galerie Massar

Le Vieux-Caire de Hassan Abdel-Fattah

Exposition

C’est dans son atelier du quartier populaire de Wékalet Al-Ghouri, dans le Vieux-Caire, que Hassan Abdel-Fattah a peint La Ruelle, en 2012. C’est le chef-d’oeuvre de son exposition actuelle, à la galerie Picasso. La peinture enregistre les moindres détails d’une cérémonie de mariage populaire, partagée avec gaieté et simplicité entre les habitants du quartier d’Al-Ghouri.

« L’âme égyptienne populaire est à la base de ma peinture. Et comme j’habite dans le quartier d’Al-Hussein, je suis passionné par les textes de Naguib Mahfouz, imprégnés de la vie populaire grouillante. Mahfouz écrit avec son stylo, et moi, je traduis cette ambiance en couleurs gaies et criardes, celles de l’Orient », révèle Abdel-Fattah.

Le peintre sature sa Ruelle de motifs populaires égyptiens : des siwanes (tentes multicolores) à motifs géométriques et floraux répondent à l’esprit de l’esthétique musulmane. Des fiacres et des calèches accompagnent les nouveaux mariés dans un cortège magnifique. Des arabesques, un pigeonnier, une citadelle perchée là-haut, une bicyclette munie d’un haut-parleur, un chanteur populaire, une danseuse du ventre et une autre qui fait la danse aux candélabres : autant de symboles que partagent les habitants d’Al-Ghouri, une ruelle aux balcons multicolores.

La Ruelle est divisée en trois niveaux. « L’idée des trois niveaux est inspirée par le style architectural pharaonique. De quoi mettre en évidence l’identité égyptienne selon une vision contemporaine », déclare l’artiste, ex-doyen des beaux-arts de Louqsor l

Jusqu’au 9 février, à la galerie Picasso.

Métaphysique d’Ahmad Morsi

Exposition

Peinte en 2012, à New York, l’acrylique Le Pigeon blanc, un grand format d’Ahmad Morsi, attire l’attention à la galerie Misr. Parsemée de personnages mythiques, d’oiseaux géants en noir et blanc, symboles du bien et du mal et de motifs populaires, elle révèle l’attachement de l’artiste à son pays natal.

Le peintre alexandrin a, en effet, quitté son pays pour New York en 1974. Bien qu’il soit à la retraite, Morsi continue de vivre dans cette ville dont le cosmopolitisme ressemble un peu à celui de l’Alexandrie des années 1940 et 1950. D’où la dominance des tonalités bleues sur la surface du Pigeon blanc. « C’est la couleur de la mer de la ville d’Alexandrie à laquelle je pense souvent avec beaucoup de nostalgie », dit l’artiste.

Son départ aux Etats-Unis n’a jamais représenté pour Morsi un choc profond. « En dépit de toute influence, j’ai continué à approfondir ma propre vision et mon style, éprouvant une sorte d’antipathie envers les tendances minimalistes qui étaient à la mode à mon arrivée à New York. Et quand le néo-expressionnisme a fait apparition vers la fin des années 1970, les critiques m’ont fait remarquer que mon art puisait déjà dans les conceptions de cette tendance », poursuit l’artiste.

Ce qui distingue l’art de ce vétéran des autres artistes néo-expressionnistes, c’est avant tout sa profonde spiritualité et sa traduction mystique de la valeur du temps. Des aspects que Morsi appellent « L’âme égyptienne unique ». Une âme qui se retrouve notamment dans l’oeil taché de rouge de son Pigeon blanc. Selon la symbolique de l’Egypte antique, l’oeil est un symbole protecteur qui éloigne l’envie et la malédiction. C’est à l’origine l’oeil du dieu Horus.

Cet oeil est un mélange d’oeil humain et de faucon : l’oeil bleu de « l’envie » dans la tradition populaire égyptienne. Le tout s’immerge dans un certain lyrisme qui reflète une tristesse née de la solitude.

Le fait de vivre depuis 1974 à New York a détaché Morsi du sentiment d’appartenance à un lieu particulier. Les protagonistes humains de son Pigeon blanc, dépeints dans un énorme champ vide, sont inspirés de son recueil de poésie intitulé Prova bil malabés al-kaméla li fasl fil gahim (répétition générale en enfer) où Morsi cherche sa voix dans un enfer imaginé, l’enfer de New York avec ses vitrines « froides » et ses mannequins nus.

Les personnages du Pigeon blanc, aux traits égyptiens et aux regards détournés, s’échangent des regards amoureux mais inquiets. Les protagonistes traduisent la solitude de l’artiste, à la fois calme et inquiétante. Hommes et femmes, romantiquement dépeints, sont dépourvus de front, leurs yeux se confondent avec le ciel. Ils sont en quête de l’amour absolu dans une ambiance « accablante » et « aliénée », presque « cauchemardesque ».

L’essence dramatique du Pigeon blanc est en rapport avec l’endurance psychologique et spirituelle de l’artiste, qu’il qualifie de métaphysique. La peinture qui se situe entre un surréalisme et un expressionnisme conceptuel est contrebalancée par un autre souci, celui de rendre à l’homme son humanité.

Jusqu’au 14 février, à la galerie Misr.

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