Nous avons tous peur de subir une perte. Cette appréhension qui a de tout temps hanté les hommes est mise en avant dans le film Al-Monaataf (le tournant), premier long métrage du réalisateur jordanien d’origine palestinienne, Rifqi Assaf, également auteur du scénario. Projeté au dernier Festival cinématographique de Dubaï, le film est une production commune entre l’Egypte, la Jordanie, la France et les Emirats. Il offre une vision philosophique sur le citoyen arabe habité par la peur de perdre un parent cher, en ces temps tumultueux, ou de perdre un acquis qu’il s’est attribué à un tournant de sa vie. On est face à des personnages qui font chacun son petit bonhomme de chemin, non sans chagrin : un Jordanien choisit de s’isoler dans une petite voiture, après la mort de son père (campé par Achraf Barhoum). Il est rejoint par une Syrienne (interprétée par Faténa Leïla) qui fait soudainement apparition dans sa vie et la bouleverse, un policier jordanien mystérieux (Achraf Talfah) et un artiste libanais (Mazen Moadham). La clique se présente alors comme un microcosme où se miroitent toutes les peurs, celles de l’avenir, mais aussi celles refoulées depuis un passé lointain. En route, dans leur petite voiture, les personnages découvrent ce qu’ils ont en commun. Ils se mettent à nu, devant la caméra habile du réalisateur. Et à la fin du périple, ils parviennent à comprendre comment surmonter les peurs et les pertes. Le secret est simple : l’acceptation, c’est le mot magique qui nous permet de tout expliquer, tout surmonter. Avec le temps, tout s’efface, nos joies, nos chagrins, nos amours. Seuls quelques souvenirs restent gravés dans notre mémoire.
Tous en voiture
Le fait de se trouver dans un endroit précis, la voiture, a mis ainsi les acteurs face à un espace étriqué. Ces derniers n’avaient pas la liberté de s’exprimer, suffisamment. Les phrases qu’ils échangeaient entre eux étaient relativement rares, mais ils sont parvenus quand même à faire part de leur détresse morale et émotionnelle.
Sur le plan visuel, nous passons d’un milieu à l’autre, du désert aride, aux ateliers de garagistes, à la forêt aussi étroite qu’une prison ou encore à la ville. Et enfin, les personnages arrivent dans une plaine, assez large et verte, soulignant la réconciliation avec soi et avec son entourage. Bref, la nature accompagne le voyage interne et externe des personnages. Elle traduit leur évolution, puis leur métamorphose. On passe d’une phase à l’autre, de manière progressive, les tons et la lumière adoptés évoquent ces changements, même si l’on est toujours enfermé à l’intérieur de la voiture. Celle-ci nous promène dans les pays arabes voisins : la Palestine, le Liban, la Jordanie et la Syrie, à l’histoire mouvementée. Les citoyens de ces pays, tout comme les personnages du film, sont en quête de salut, d’une tranquillité de vie. A un moment donné de leur histoire, ils rencontrent une âme soeur ou font une rencontre qui constitue un tournant dans leur existence. D’où le titre du film.
Celui-ci fait référence au cinéma de la nouvelle vague, des années 1960, qui a marqué de nombreux cinéastes arabes, notamment en Egypte, en Syrie et en Iraq. Le réalisateur se montre en quelque sorte comme l’héritier de ces derniers. Il adopte un style visuel et narratif qui lui est propre. Certaines séquences nous rappellent ainsi de vieux films égyptiens des années 1960-70, comme Oghniya Ala Al-Mamar (un chant sur le passage) de Ali Abdel-Khaleq ou Al-Makhdooune (les trompés) de Tewfiq Saleh, d’après le roman éponyme de l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani. A nouveau, on semble être à une heure où les tragédies et les drames du monde arabe semblent rapprocher ses individus, même s’ils sont soudés par la peur et la perte .
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