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Regard multiple sur le monde arabe

Novine Movarekhi, Lundi, 04 janvier 2016

La première biennale des photographes du monde arabe contemporain à Paris accueille des artistes originaires des pays arabes et d’ailleurs, qui dévoilent un monde dans sa complexité et sa diversité. Une exposition qui déconstruit les clichés et présente des visions fortes et engagées sur la région.

Regard multiple sur le monde arabe

Organisée par deux institutions culturelles majeures, l’Institut du Monde Arabe (IMA) et la Maison Européenne de la Photographie (MEP), la première édition de la biennale a ouvert ses portes en novembre dernier. Sous la forme d’un parcours d’une rive à l’autre de la Seine, cette manifestation réunit les oeuvres d’une cinquantaine d’artistes émergents et confirmés, travaillant dans la région. Elles sont exposées dans huit lieux culturels, dont trois galeries d’art, la Cité internationale des arts et la mairie du 4e arrondissement, l’IMA et la MEP constituant les deux pôles de l’événement.

C’est à l’initiative de Jack Lang, ancien ministre de la Culture et président de l’IMA depuis deux ans, que ce projet institutionnel de grande ampleur est né. Prenant acte d’une éclosion extraordinaire de la photographie dans le monde arabe, il a souhaité que cet art particulier soit à l’honneur pour se faire l’écho de l’actualité du monde arabe, avec des objectifs bien précis : « sortir des clichés les plus éculés », « révéler des réalités cachées », et « améliorer la compréhension entre les peuples ». Des mots qui résonnent avec justesse en ces temps de confusions et d’amalgames.

Regard multiple sur le monde arabe
Les Naufragés, par Samuel Gratacap.

Dans le souci aussi de créer un événement qui rend compte des mutations et des progrès en cours dans cette partie du monde. « L’enjeu est d’apporter des points de vue différents, sans doute contrastés, mais finalement positifs sur le monde arabe, d’en révéler la richesse et les difficultés, les transformations trop peu connues, les confrontations de ses habitants à des événements, parfois chaotiques, dont ils sont victimes : la biennale doit être une sorte de radioscopie du monde arabe », explique Jack Lang. Face à une saturation de toute l’iconographie guerrière qui s’offre à nos yeux, cette biennale naît également d’une volonté de chercher et de présenter un autre discours, loin des visions médiatiques. Même si certaines oeuvres touchent aux questions actuelles, telles que le flux migratoire ou le conflit syrien, elles les abordent à travers un langage poétique et métaphorique plutôt que de front. « Il s’agit avant tout ici d’un projet privilégiant l’approche artistique, ce qui implique un certain recul ainsi que du temps donné à la réflexion », précise Gabriel Bauret, commissaire général de cette biennale. De son côté, le maire du 4e arrondissement, Christophe Girard, reconnaît les liens historiques et géographiques forts qui existent entre la France et le monde arabe. Selon lui, bien plus que politique, cette biennale est un acte essentiellement symbolique, « elle éveille nos sens sur la conscience, la responsabilité et la destruction du savoir et du patrimoine. Le but est de développer un sens critique ».

Un monde pluriel

Regard multiple sur le monde arabe
L’Habit fait le moine, par Nabil Boutros.

L’enjeu, tout comme l’originalité de cette biennale, réside donc dans la multiplicité du regard : des créateurs arabes opérant tant de l’intérieur que de l’extérieur de leur pays et des photographes européens passionnés par cette région confrontent leurs visions. C’est essentiellement sur la mobilité et la diversité des auteurs que repose ce projet. « Il s’agit de construire en s’ouvrant à différentes écritures visuelles du monde arabe. La géographie de la biennale est un peu la métaphysique du monde arabe. Une mosaïque de cultures différentes, une pluralité d’univers mais aussi d’intentions. Les photographes nous aident à comprendre cette diversité culturelle », indique Gabriel Bauret. Des photographes qui se penchent sur un bout de territoire, d’histoire, une culture, ou une problématique propre à la région, chacun selon une approche singulière — documentaire, anthropologique, métaphysique ou autre.

L’exposition convie le visiteur à voyager à travers Paysages, Mondes intérieurs, Cultures/identités et Printemps, des axes privilégiés pour raconter cette entité plurielle. Les photographes franco-italiens Andrea et Magda explorent l’impact de la mondialisation et du tourisme dans les pays arabes. Leur série Sinaï Park met subtilement en lumière la fragilité de l’économie de la péninsule égyptienne. Les Naufragés de Samuel Gratacap évoque avec pudeur, mais puissance, le sort des migrants sur le territoire libyen, en attente de travail dans les centres de détention de Zaouia.

Mohamed Lazare Djeddaoui, photographe franco-algérien, vise à promouvoir la culture et l’histoire de la Syrie à travers ses Contes syriens : une approche particulière qui se détache de la vision commune de la guerre. Dans Egyptiens ou l’habit fait le moine, Nabil Boutros dresse un panorama de la société égyptienne en utilisant son propre visage. Une façon humoristique d’interroger le rapport entre l’apparence et le statut social. D’autres photographes s’attachent plus à une réflexion autour du médium. L’artiste palestinien Steve Sabella questionne le concept de l’unicité de la photographie, en écho à l’histoire de Jérusalem. 38 Days of Re-Collection part de l’idée de créer des oeuvres uniques qui ne peuvent être répliquées : des débris de peinture qu’il récolte sur les murs d’anciennes demeures palestiniennes, et sur lesquels il superpose des images en tant que traces laissées par l’artiste. Echo #1 et Radiance #2 de Moustapha Azeroual explorent, sous une forme abstraite, la lumière comme « condition sine qua non de la photographie », c’est aussi une allusion symbolique au rayonnement culturel et spirituel du monde arabe.

Vision de femmes

Regard multiple sur le monde arabe
Les Marocains, par Leila Alaoui.

Regard accompagné également de celui des femmes photographes dont l’émergence dans la région est l’un des traits remarquables de cette première édition : des créatrices qui s’emparent de la caméra pour décrire leur monde et traiter de sujets sensibles à caractère social ou culturel. La Jordanienne Tanya Habjouqa porte un regard intimiste sur les luttes des femmes veuves syriennes, prisonnières de la pauvreté et de l’isolement dans une ville frontière de la Jordanie. Dans Le Monde coule, l’artiste émiratie, Farah Al-Qassimi, décrit avec humour l’évolution du paysage de Dubaï au nom de la croissance. La série intitulée Les Marocains de Leila Alaoui se détache de toute image de folklore à l’orientaliste ; l’objectif de l’artiste est de constituer « une archive visuelle des traditions et des univers esthétiques marocains qui tendent à disparaître sous les effets de la mondialisation ». La MEP consacre aussi une belle rétrospective à deux grandes personnalités de l’image : Daoud Aoulad-Syad, considéré comme le père de la photographie contemporaine marocaine, et Bruno Barbey, de l’agence Magnum dont le travail photographique est fortement imprégné d’humanité et de poésie.

Cette première édition de la biennale démontre la dynamique créatrice du monde arabe durant les quinze dernières années. A la fois poètes, créateurs et témoins de grandes mutations, les photographes invités sont des messagers précieux, en mesure de lire avec lucidité et de transmettre avec sensibilité la profondeur, les spécificités et les réalités changeantes de ce monde arabe pluriel. Une grande ampleur de vision s’exprime à travers une nouvelle génération de photographes qui incarnent un regard contemporain sur la singularité, la petite histoire, le présent, mais aussi la mémoire.

Jusqu’au 17 janvier à Paris http://biennalephotomondearabe.com

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