Un solo de violon par Mohamad Nasr, un ancien de la troupe d’Oum Kolsoum. (Photo: Mohamad Moustapha)
Un vendredi soir. Ce n’est peut-être pas par hasard que la Maison du chant arabe a choisi de commémorer, vendredi dernier, la naissance de Zakariya Ahmad, surnommé le vétéran des compositeurs égyptiens, dans un palais mamelouk du XIVe siècle. Car le musicien, né le 7 janvier 1896 et mort le 15 février 1961, avait l’habitude de se réunir avec les amis tous les vendredis soir, dans sa maison ou chez l’un d’entre eux, animant ce qu’il appelait « leilat al-hadra », littéralement « la nuit de la présence ». Il s’agissait d’un cercle de musique et de chant tenu à huis clos par ses compagnons mélomanes, où chacun jouait d’un instrument ou chantait à sa guise. L’ambiance était souvent d’enfer et n’avait rien à envier à la gaieté lyrique de la soirée-hommage qui lui était réservée la semaine dernière, avec au programme trois de ses chansons, interprétées jadis par la diva Oum Kalsoum.
Le violoniste Mohamad Nasr a donné en solo Ana fi entézarak (je t’attends) et la jeune vocaliste Réhab Omar a repris Helm (rêve) et Al-Hawa ghallab (l’amour victorieux). « Les oeuvres composées pour Oum Kalsoum sont normalement très sollicitées ... J’ai pensé qu’il serait intéressant d’en présenter quelques-unes, au lieu de s’aventurer dans le patrimoine de Zakariya Ahmad, parfois peu connu du grand public. Ni le contexte politique, ni l’air du temps ne m’ont encouragé à aller plus loin pour dénicher des morceaux rares. Cela aurait nécessité une démarche tout à fait autre … Or, on n’en a pas les moyens. Notre budget actuel tourne autour de 60 000 L.E., alors qu’à la fondation du centre, on avait prévu environ un million par an. Pas de chance, la Maison du chant a été inaugurée en 2011 au lendemain de la révolution. On est censé enseigner le chant classique, mais aussi le divulguer à travers une programmation assez riche. On essaye de travailler avec les moyens du bord », indique Mohsen Farouq, soliste de l’Opéra et directeur de la Maison du chant, installé au palais de l’émir Béchtak, à l’avenue Al-Moez.
Ecole des cheikhs
Les moucharabiehs de l’ancienne demeure, ses plafonds hauts, le bois incrusté, bref, l’architecture des lieux respire le bon vieux temps, tout comme les compositions de Zakariya Ahmad, reconnu comme étant l’un des plus authentiques. Ce dernier, ayant à son actif 1 075 chansons et 56 livrets d’opéras ou d’opérettes, incarne la démarche du cheikh-musicien rebelle adoptée par plusieurs autres au début du siècle dernier. Car la « musique des cheikhs » (ceux qui ont reçu une éducation religieuse, parfois même à Al-Azhar) a compté pour beaucoup dans l’histoire du chant classique arabe. Plusieurs grands noms qui ont marqué la vie artistique ont commencé par apprendre la récitation du Coran selon les différentes écoles. Ils chantaient les louanges du prophète et racontaient sa sira (histoire) de façon rythmique. Et puis, certains se sont lancés de plain-pied dans le monde musical, s’y consacrant entièrement, alors que d’autres continuaient à mêler le profane et le sacré, tels les cheikhs Abdel-Réhim Al-Masloub, Ali Mahmoud ou Darwich Al-Hariri. En fait, ces deux derniers, notamment le premier, sont considérés comme les maîtres incontestables de Zakariya Ahmad. Il a dû les côtoyer ayant fait partie de leurs troupes ou choeurs, après avoir abandonné l’école. Son père, navré, a confié son fils au cheikh Hariri, avec l’espoir de lui apprendre un peu le Coran et les mille et une ficelles du métier de récitateur. « Le chant des cheikhs constitue l’école la plus accomplie. C’est une méthode d’usage jusqu’à présent, d’ailleurs très efficace pour les niveaux supérieurs, car elle englobe la phonétique, l’articulation, l’incantation, les modes … Tout », explique Mohsen Farouq, qui a effectué il y a 20 ans une recherche à ce sujet.
La voix qui porte de Zakariya Ahmad et sa passion pour la musique l’ont aidé à établir sa légende, non sans entrain. En 1919, il chante pour le leader de la Révolution à l’époque, Saad Zaghloul, transmet les messages des révolutionnaires entre Le Caire et les provinces, épouse sa femme Hanem et rencontre Oum Kalsoum (la diva villageoise encore à ses débuts). Et en 1920, il noue une amitié solide avec un autre compagnon de route, le poète du dialectal, Baïram Al-Tonsi.
Au départ, la plupart de ses chansons étaient d’ordre sociopolitique, comme celle sur la cocaïne, à titre d’exemple, ensuite c’était la veine théâtrale, avec plusieurs pièces musicales, très à la mode dans le temps, car permettant aux artistes engagés de dénoncer l’occupant britannique sans effluves directs. Et si dans les chansons de films, composées plus tard, il passe aisément d’un dialecte à l’autre, c’est parce que Zakariya Ahmad était un fin observateur qui notait sur son carnet les diverses appellations d’un objet donné durant ses voyages. Ainsi il a constitué son propre dictionnaire, raconte l’auteur Sabri Aboul-Magd dans son livre intitulé Zakariya Ahmad (édition Ministère de la Culture). Ce dernier multipliait les voyages dans le monde arabe, pour consolider les liens entre ses peuples, misant sur la musique et le chant. Il avait tout compris : la politique divise, mais l’art a toujours été un élément de cohésion. Et la preuve : le public présent à cette soirée d’hommage du palais Béchtak, laquelle a regroupé l’avocat de tendance islamiste Mohamad Sélim Al-Awa, candidat à la dernière présidentielle, des intellectuels de gauche comme le poète Amin Haddad ou le musicien Hazem Chahine, des membres de sa famille, des gens du quartier ou d’autres femmes voilées venues d’Héliopolis pour célébrer le souvenir de l’artiste disparu il y a plus de cinquante ans.
Au Musée Oum Kalsoum (annexé au palais Manesterli, à Manial Al-Roda). Le 19 janvier à 13h, « Les oeuvres de Zakariya Ahmad », par le professeur Haïssam Nabil. Et le 26, à 13h, « La Chanson Al-Ward gamil », analyse de l’académicienne Nahla Matar.
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