L’histoire de la danse contemporaine en Egypte est liée à l’arrivée au Caire du chorégraphe d’origine libanaise Walid Aouni. Metteur en scène et chorégraphe au talent incommensurable, Aouni a fondé deux troupes de danse-théâtre et une école de danse contemporaine qu’il dirigeait lui-même. L’année dernière, soit un an après la révolution, l’artiste avait dû céder sa place à la tête de ces trois entités à une nouvelle génération de jeunes artistes.
C’est en 1988 qu’Aouni fonde la première compagnie de danse-théâtre à l’Opéra du Caire. Il en sera responsable jusqu’en 2011. A son départ, la direction de l’Opéra nomme l’académicienne et ex-ballerine Lamïa Mohamad à sa place. Cette dernière n’a présenté qu’un seul spectacle qui ne remporte pas le succès espéré. On déplore la chute du niveau, à comparer avec les spectacles précédents. Monadel Antar, l’un des élèves d’Aouni et le plus ancien danseur de la compagnie, prend alors la relève en août 2012.
La compagnie connaît une hiérarchisation positive, avec son entraîneur et danseuse étoile, Sally Ahmad. « Avant la révolution, les plus talentueux étaient toujours placés au deuxième rang. Les jeunes danseurs n’avaient pas la chance de faire leurs preuves », souligne Antar, directeur de la compagnie de danse-théâtre. Après la représentation de son premier show « Plus profond que ce qui apparaît à la surface », le nouveau directeur avance plus sûrement : il adopte un langage chorégraphique varié et cherche à cibler un public plus large.
Mais si la compagnie de danse-théâtre marche bien, ce n’est pas tout à fait la situation de l’autre compagnie fondée plus récemment par Walid Aouni, Forsan Al-Charq (les chevaliers de l’Orient) lancée en 2008. Cette compagnie est spécialisée dans les danses traditionnelles. Le folklore pluriel de l’Egypte est notamment mis en avant grâce à une chorégraphie d’Aouni intitulée La Grande rue, qui évoque le passé glorieux de la rue Al-Moez.
Au départ, la troupe était subventionnée par le Fonds du développement culturel, un organisme dépendant du ministère de la Culture. Mais suite à l’instabilité administrative liée à la révolution, le statut de la compagnie devient trouble.
Désormais, la troupe des Chevaliers de l’Orient est sous la tutelle de l’Opéra du Caire et du Fonds du développement culturel. Le premier assure les productions des spectacles et le deuxième fournit les salaires de ses trente membres.
« Selon les règlements du Fonds du développement culturel, je n’ai pas le droit d’accroître le nombre de danseurs. J’ai uniquement droit à faire des substitutions, donc de faire sortir un danseur pour le remplacer par un autre. Je me sens ligoté », avoue Karima Bédeir, ex-assistante d’Aouni et actuellement directrice des Chevaliers de l’Orient.
« En juillet 2013, la compagnie devrait dépendre complètement de l’Opéra du Caire. Il faudra réarranger le budget pour y inclure les coûts des productions et les salaires », précise-t-elle.
Mais vu les restrictions actuelles, Bédeir ne peut pas embaucher d’entraîneurs. Les répétitions se déroulent donc souvent sous sa propre direction. En dépit du contexte difficile, la directrice ne cache pas ses plans pour l’avenir. Elle souhaite notamment mettre en place un partenariat avec des compagnies internationales et offrir aux danseurs l’occasion des bourses pour des stages professionnels à l’étranger.
Elle espère aussi présenter davantage de spectacles s’inspirant des histoires et mythes populaires d’Egypte. Puiser dans les contes oraux, les adapter textuellement et en faire une chorégraphie contemporaine la hantent. Son premier spectacle Bahiya a connu un grand succès. Dans quelques jours, elle donnera : Elle s’appelle Naassa, en espérant un succès similaire.
Entre les Chevaliers de l’Orient et la compagnie de l’Opéra, la rivalité a depuis longtemps été mise de côté. « Les thèmes abordés par les deux compagnies sont très différents. Et la concurrence incite à mieux travailler », estime Monadel Antar.
La troisième création de Walid Aouni est l’école de danse moderne. En 2011, un an après la révolution, elle s’est métamorphosée sous la direction de Karima Mansour.
Fondée en 2003 au Centre de la créativité artistique et financée par le Fonds du développement culturel, l’école est censée offrir une formation professionnelle à de jeunes danseurs. Mais en 2009, après deux promotions, elle ferme ses portes.
En 2011, le ministre de la Culture, Emad Abou-Ghazi, fait appel à la chorégraphe Karima Mansour, fondatrice de la compagnie indépendante Maat, pour reprendre la direction de l’école.
Karima Mansour la transforme alors en Centre du Caire pour la danse contemporaine. « La danse moderne traduit une phase historique précise par rapport à la danse classique et néoclassique. La danse contemporaine est une discipline plus large », explique Mansour.
Elle met en place un programme professionnel de trois ans, cinq jours par semaine. Les étudiants suivent des cours de ballet, de danse contemporaine, d’histoire de la danse, de yoga, d’anatomie, de Pilates, d’aïkido, de somatique et de body-mind.
Mansour adopte l’esprit d’une instance indépendante. La salle de répétition du centre ouvre désormais ses portes au public pour faire découvrir le monde de la danse à travers des classes matinales, trois jours par semaine.
Le centre offre aux artistes des ateliers variés, mettant à leur disposition une salle de répétition qu’ils peuvent louer lorsqu’il n’y a pas de cours. Dans l’avenir proche, Karima Mansour compte donner aussi des cours de danse pour enfants. L’aventure continue de plus belle .
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