Le Festival d'Ismaïliya pour le documentaire et les courts métrages, ajourné pour des problèmes
administratifs et logistiques.
Ces derniers temps, les nouvelles concernant la tenue de deux festivals cinématographiques d’été, celui d’Alexandrie et celui d’Ismaïliya, ont suscité pas mal de controverses, notamment parmi les jeunes. Le Festival d’Ismaïliya sur le documentaire et les courts métrages a été remis jusqu’à la deuxième moitié du mois d’octobre, pour des problèmes administratifs et logistiques, et plusieurs mettent en doute la possibilité de le tenir dans les délais escomptés. Et le Festival d’Alexandrie sur le cinéma méditerranéen, actuellement en cours, a eu beaucoup de mal à annoncer sa programmation. Celle-ci révèle plus que jamais que le festival se tourne vers la production locale, déviant de son objectif. Les problèmes qui ont entouré ces deux festivals ainsi que d’autres événements cinématographiques de taille sont assez significatifs quant à la capacité de l’Egypte à organiser des manifestations culturelles, notamment les festivals de cinéma, à l’heure où Dubaï s’attire de plus en plus des cinéphiles et des professionnels à son festival international, et où le Maroc s’affabule de plus de 50 festivals de cinéma par an.
En fait, l’actualité démontre que la crise des festivals bat son plein en Egypte depuis la révolution du 25 janvier 2011. On a beau montrer l’instabilité politique du doigt, mais au bout de quelques années, ce « prétexte révolutionnaire » a été dépassé par les événements et les faits. Les observateurs assurent que la crise des festivals remonte à bien avant, vu l’échec administratif et les carences organisationnelles. Le spectre de la politique et les fins propagandistes ne sont pas loin du tableau, selon d’aucuns. Souvent, ceux qui se mêlent de l’organisation n’ont rien à faire avec le cinéma. Ils s’en occupent vu leurs titres ou postes officiels. Résultat, les festivals perdent de leur aura et de leur identité. Du coup, certains festivals se sont transformés en des fêtes foraines, avec des cérémonies d’ouverture et de clôture, sans contenu. La preuve : la campagne lancée contre l’éminent critique de cinéma, Samir Farid, lequel a été nommé comme président du Festival du film du Caire, à sa dernière édition. Celle-ci a réussi grosso modo à présenter des oeuvres de qualité et à attirer les cinéphiles. Cependant, le président fut invectivé pour le niveau, jugé moyen, de la cérémonie d’ouverture. « Malheureusement, c’est ce qui compte aux yeux de plusieurs », souligne le scénariste Sayed Fouad, président du Festival de Louqsor pour le cinéma africain. Ce dernier festival est lui-même en pleine crise, vu les carences budgétaires devenues habituelles. Son équipe est en train de préparer la 5e édition dans des conditions drastiques. « Jusqu’ici, on n’est pas parvenu à obtenir de subvention financière déterminée de la part du ministère de la Culture, à l’instar des autres festivals. Le budget alloué reste très aléatoire, ne dépassant pas 3 millions de L.E. Pourtant, on est jugé sur un pied d’égalité que les autres. C’est injuste », ajoute Fouad.
Hala Loutfi
Justement, la plupart des spécialistes affirment que les choses sont gérées de manière très « aléatoire », qu’il s’agisse de la date fixée pour tel ou tel événement, de la programmation ou des problèmes techniques qui relèvent parfois du ridicule. Et ce, sans mentionner le changement subi des lieux de projection ou les scandales liés à l’accueil réservé aux invités des festivals. Le critique Ali Abou-Chadi, ancien président du Festival d’Ismaïliya et du Festival national du cinéma, fait le point : « C’est de plus en plus facile de faire la programmation d’un festival. Les films qui font le tour du monde sont accessibles. Adieu les problèmes logistiques d’antan. Seul l’échec administratif persiste. De quoi altérer l’image des festivals. Le public ne fait plus confiance ; on n’est jamais sûr de la qualité des films présentés, parfois sans respecter l’heure ou le lieu de la projection. Ce manque de respect nous fait perdre beaucoup. Cet état de lieux provient du fait qu’il n’y a pas de stratégie claire, officiellement, à l’égard des festivals et du champ culturel dans sa totalité. Le ministère de la Culture est moins flexible ; il n’arrive pas à déléguer du pouvoir au profit des présidents et directeurs des festivals ».
Carence budgétaire et administrative, mais aussi il y a la corruption, même si passive, dit-on dans les coulisses. Certains festivals ressemblent désormais à des agences de voyages, accordant aux favoris et aux responsables le privilège de partir à l’étranger, afin de participer à des événements internationaux et visionner des films nouveaux. « On opère selon la logique du donnant-donnant, on échange les invitations parmi les festivaliers arabes, on nomme les comités du jury selon son coeur, ou on utilise le festival pour faire sa propre propagande », ajoute Abou-Chadi.
Rêves avortés
Sayed Fouad, président du Festival de Louqsor pour le cinéma africain.
Les jeunes cinéastes sont ceux qui ont le plus à reprocher à leurs doyens. Normalement, la tenue d’un festival doit leur permettre plus que d’autres de se faire connaître et d’acquérir une renommée aussi bien sur le plan local qu’international. Cependant, ils ont fini par se sentir à la marge des intérêts des grands. Des festivals comme ceux d’Ismaïliya et d’Alexandrie constituaient à un moment donné des bouées de sauvetage aussi bien pour les cinéastes que les cinéphiles. Progressivement, ils se sont transformés en « ghettos » pour le tourisme cinématographique, ironise-t-on dans ces milieux. Car les directions des festivals écartent les jeunes issus de ces villes, lesquels prennent rarement part à l’organisation. De plus, on choisit des lieux isolés ou peu fréquentés pour les projections, de quoi les rendre inaccessibles au grand public. Par exemple, les films du Festival d’Alexandrie sont souvent projetés dans des hôtels ou centres commerciaux de luxe, parfois situés également en banlieue. Les petites gens ont du mal à pénétrer ces lieux par intimidation. « Originaire de la ville d’Ismaïliya, c’est son festival qui m’a encouragée à faire du cinéma. Je regardais ses films et rêvait d’en faire les miens, depuis que j'étais toute jeune. Malheureusement, ce n’est plus le cas de mes compatriotes. Car le festival s’est transformé en une activité très bureaucratique, que l’on tient pour prouver simplement que le pays est stable et que tout va bien. Les débats entre jeunes discutant leurs problèmes ne sont plus de mise, et l’on n’évoque plus ses déboires avec la censure ou les lois qui régissent l’industrie, assurant le monopole de certaines entités », évoque la réalisatrice Hala Loutfi, qui assure que l’une des pires projections de son film Al-Khoroug lil Nahar (voir le jour) s’est déroulée dans le cadre d’un festival égyptien. « Une mauvaise copie en DVD loin de montrer l’esthétisme de l’image », dit-elle, non sans regret.
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