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La dernière hutte de Haïfa

Mohamad Atef, Mardi, 28 avril 2015

Roshmia, documentaire de Salim Abu Jabal, a été donné en première au Caire, à la salle Zawya. Le conflit israélo-palestinien est narré de manière profonde et humaine, sans clichés.

La dernière hutte de Haïfa
Dissidence au sein du couple.

Un vieux couple, deux Palestiniens issus de la nakba de 1948, Youssef Hassan (Aboul-Abd) et Amna Foda (Om Soliman) vivent dans une hutte rudimentaire dans la vallée de Roshmia. D’où le titre du documentaire de Salim Abu Jabal, Roshmia, projeté la semaine dernière au cinéma Zawya, au centre-ville cai­rote, dans le cadre du cycle AFAQ (voir enca­dré).

Le film, dont l’idée a commencé par un repor­tage journalistique, raconte l’histoire du vieux couple solitaire qui menait sa vie « paisible­ment », sans eau ni électricité, jusqu’au jour où la municipalité de la ville de Haïfa décide de les déloger pour tracer une nouvelle route.

Le réalisateur Salim Abu Jabal, né au Golan, a voulu ensuite transformer le reportage en un court métrage, afin de mieux faire connaître l’histoire de ce couple et lancer une campagne médiatique en sa faveur. Puis au fur et à mesure, l’idée du documentaire a progressé, donnant lieu au genre cinéma-vérité, de quoi placer sous les feux du projecteur les deux vrais person­nages de ce drame humain.

Nous assistons aux changements au sein du couple qui vit un dilemme face au choix qu’on lui offre : rester ou partir.

La démolition de leur hutte a été reportée à plusieurs reprises, d’où un rapport étroit qui se tisse entre les protagonistes et le réalisateur. Les ayant connus de près, ce dernier a réussi à leur enlever inhibitions et réserves devant la caméra. Il tournait entre 10 et 12 heures par jour, pen­dant 8 ans environ, et ne gardait que l’essentiel, le plus expressif et le plus authentique. D’où la grande sincérité de cette oeuvre émouvante dont le montage s’est fait par Skype en collaboration avec le monteur égyptien Michel Youssef.

Abu Jabal a dû sacrifier pas mal de ses heures de tournage, jugeant à un moment donné que l’histoire a pris véritablement fin le jour de la destruction de la hutte. Pourtant, hanté par le drame du couple, il a continué à filmer, n’accep­tant pas tout à fait qu’on ait déjà mis un point final à l’histoire.

L’histoire dans toutes ses nuances

L’habileté de la narration dans Roshmia fait qu’on partage les longues heures de silence des protagonistes. Le rythme, souvent assez lent, reflète le conflit interne des personnages et leur quotidien routinier. Durant les séquences silen­cieuses, l’on ne connaît pas un moment d’ennui ou de distraction. Le mouvement de la caméra atténue le poids de la lenteur, déplaçant plutôt notre attention vers de nouveaux recoins de la hutte que l’on découvre progressivement. On découvre aussi, de la même façon, la nature tout autour, la splendeur du paysage et l’écart social entre les Palestiniens vivant en territoires occu­pés et les habitants des colonies israéliennes installés dans des bâtiments modernes.

Les conversations entre le vieux couple et Aouni, le jeune homme qui prend soin d’eux, résument à merveille la lutte contre les autorités de l’occupation qui n’accordent aucun intérêt aux besoins ou demandes de ces gens installés dans le provisoire, sous son joug. Ces conversa­tions reflètent aussi les deux grandes tendances divisant les Palestiniens : Faut-il tenir tête jusqu’au bout ? Ou accepter le compromis comme une fatalité ?

Le mari, Aboul-Abd, refusait catégorique­ment le départ, rejetant l’idée de compensation financière qui aurait pu le sortir de sa détresse. Il était complètement obnubilé par l’idée de rester là où il a toujours vécu, continuer à man­ger de ses orangers, à fumer ses cigarettes rou­lées avec une tasse de café. Pourtant, sa femme, Om Soliman, faisait preuve de pragmatisme : pourquoi ne pas aller faire sa vie ailleurs ?, se disait-elle.

Dans Roshmia, on raconte le drame palesti­nien différemment. On n’est pas du tout dans le même registre que les couvertures médiatiques ou les reportages diffusés sur les chaînes satel­lites. Nous ne sommes pas placés non plus dans une logique de pleurs. Nous touchons de près à un conflit aussi politique qu’humain, un conflit d’autant plus complexe qu’il ne se limite pas au rapport entre l’ennemi juré et le propriétaire pacifique de la terre. La dissidence au sein du couple raconte l’histoire palestinienne en sa totalité, dans toutes ses nuances, depuis plus de 50 ans.

Le documentaire, qui a reçu le prix spécial du jury au Festival de Dubaï en 2014, se termine par une scène fatidique : la hutte est détruite et le couple se sépare. Aboul-Abd s’oppose aux bulldozers et sa femme laisse leur maison der­rière elle. Toutes les options sont ouvertes, sans l’ombre d’un jugement. Simplement, à un moment donné il faut faire un choix et c’est là qu’advient la fin.

Horizons

Organisé par le Fonds arabe pour l’art et la culture, le cycle cinématographique AFAQ (hori­zons) s’est déroulé du 15 au 22 avril, essentiellement au Caire, mais aussi avec quelques pro­jections dans les villes de Tanta (Delta) et de Minya (Moyenne-Egypte). Il s’agit de la deuxième édition de cette manifestation qui a été lancée l’an dernier à Beyrouth, avec comme objectif d’instaurer un événement annuel itinérant, d’une ville arabe à l’autre. Les cinéastes moyen-orientaux peuvent ainsi partager leurs expériences et communiquer avec différents publics, comme ce qui s’est passé cette année, grâce à la projection de 14 nouveaux films, parfois en présence de leurs réalisateurs. Une manière de faire fi aux carcans de la distribution et du marché.

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