« La différence est la nature de la vie, comprends-moi et ne juge pas mon apparence. Aide mes parents qui se méfient de mon intégration ». Ces trois messages sont l’objectif de l’initiative Best Buddies (meilleurs amis). Cette initiative a vu le jour avec l’appui du ministère de la Solidarité sociale, en collaboration avec le ministère de la Jeunesse et du Sport, l’Alliance nationale et l’association Sonnae Al-Hayah Masr (les faiseurs de vie). « Nous voulons tout simplement devenir les amis des personnes en situation de handicap », déclare Ahmad Moussa, président de l’association Sonnae Al-Hayah. Il ajoute que l’initiative revient au fondateur Anthony Kennedy Shriver, qui a créé Best Buddies en 1989, dont l’objectif est de favoriser les relations d’amitié avec les personnes vivant avec un handicap. Best Buddies se consacre donc à l’établissement d’un mouvement mondial de bénévoles qui crée des opportunités d’amitié individuelle, d’emploi intégré et de développement du leadership pour les personnes souffrant de déficiences intellectuelles et de troubles du développement. Elle tente de créer un impact positif dans la vie de plus de 1,3 million de personnes dans 45 pays au niveau du monde.
En Egypte où les personnes en cas de handicap représentent 4,8 % de la population, cette nouvelle initiative tente de briser le ghetto de ces oubliés. D’après Moussa, il s’agit de mettre un terme à l’isolement social et physique des personnes handicapées. Répartis sur 25 gouvernorats, 13 741 bénévoles représentent l’association Sonnae Al-Hayah et travaillent sur terrain pour mettre en place le programme de Best Buddies auquel participent des personnes handicapées et ce, par le biais de différentes activités. En plus des jeux interactifs, du sport, des séances de sensibilisation, d’autres sur des sujets d’actualité, sur l’insertion professionnelle et des outils en matière de développement et de compétences pour favoriser l’inclusion des handicapés dans le monde du travail et faciliter leur intégration dans la société.
S’adapter aux besoins de l’autre
L’objectif est d’élargir le cercle des connaissances des personnes en situation de handicap. « J’ai perdu la vue mais je n’ai pas perdu mon ami, une personne voyante qui est restée fidèle en amitié », affirme Ahmad Hussam, président de l’initiative Boslet Kafif (boussole du non-voyant) qui a aussi bénéficier de l’initiative Best Buddies. Il signale l’importance des amis qui le soutiennent tant au niveau personnel que professionnel. « Dès que j’ai totalement perdu la vue, j’ai commencé à initier mon ami intime en lui indiquant des repères, afin d’éviter les gestes inadéquats qui peuvent me provoquer un problème, comme me bousculer intentionnellement ou me faire trébucher, car je risque de me blesser en tombant par terre », raconte Ahmad. Il précise qu’un ami sans handicap doit apprendre comment se comporter avec son copain atteint de cécité, tenant en considération les besoins de sa compagnie et ce, tout en profitant d’agréables moments passés ensemble. Ahmad souligne par exemple que la canne blanche est l’auxiliaire de base pour aider une personne en situation de handicap visuel à se déplacer de façon autonome et en toute sécurité. Selon lui, l’ami ne doit pas toucher cette canne pour éviter à la personne qui ne voit pas de perdre ses repères en se déplaçant. Côté professionnel, Ahmad, le non-voyant, organise des stages de formation sur les droits juridiques et sociaux des handicapés. Durant les séances, un collègue voyant lui sert d’assistant. Ce dernier lui signale qu’un stagiaire a le doigt levé et veut lui poser une question. « Avec tous mes sens en éveil, je me dirige vers celui qui me sollicite pour répondre à sa question », souligne-t-il, tout en ajoutant que lui et son assistant forment un duo complémentaire.
Combattre les préjugés
S’ouvrir à la différence et faire tomber les barrières est déjà le message principal de l’initiative. « L’objectif est de sensibiliser la société à l’intégration des personnes handicapées. Il s’agit de créer des activités communes qui réunissent des personnes avec et sans handicap. Ces activités permettent de découvrir les autres, de renforcer la communication et de combattre les préjugés ou les stéréotypes engendrés lorsqu’on aborde le sujet des personnes handicapées », explique Sohaïla Othman, directrice de l’initiative. Elle ajoute que la deuxième phase de l’initiative va continuer avec la nécessité de multiplier les endroits de sensibilisation comme les cafés, les restaurants, les sociétés et les fondations qui mettent à la disposition des personnes handicapées des offres d’emploi pour ceux qui le veulent. Mais actuellement, 694 séances et rencontres d’interaction et de sensibilisation ont été réalisées à Best Buddies.
« C’est la première fois que je participe à des activités avec des personnes qui présentent des déficiences mentales. Ces personnes, surtout celles atteintes de trisomie 21, débordent d’énergie et d’amour et sont capables de créer et réaliser en partie des oeuvres artistiques. En effet, les handicapés ont aussi participé à l’activité de l’agriculture en dispersant les graines ou en plantant les boutures de tige dans le sable », relate Soha Al-Masri, 25 ans, bénévole au gouvernorat du Suez. Elle confie qu’avant sa participation à l’initiative de Best Buddies, elle et d’autres membres de son entourage craignaient d’être en présence de personnes souffrant d’un handicap mental, même si le cas n’est pas sévère.
Bénéfices mutuels
Or, si le bénévolat a permis à Soha de s’ouvrir à la différence et d’approfondir ses connaissances au sujet des personnes handicapées car leur intégration est l’un des objectifs du développement durable 2030, les enfants handicapés et leurs familles semblent récolter aussi le fruit de cette initiative. « Mon fils est inscrit dans une école gouvernementale et je n’ai pas remarqué aucun progrès en ce qui concerne la réalisation de l’objectif d’intégration car les professeurs ne sont pas qualifiés dans le domaine de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Il a fallu s’adresser à des centres privés et spécialisés dans le domaine de la réhabilitation ou de la santé mentale pour essayer de créer un programme et améliorer le quotidien de mon enfant handicapé », indique Samia, maman d’un enfant atteint de déficience mentale. Avant de se rendre à Best Buddies, Samia et beaucoup d’autres familles ayant des enfants handicapés préféraient rester à l’écart des autres pour éviter les regards de compassion. Résultat : au handicap s’ajoutent la crise de confiance et la crainte de faire face à la société. Aujourd’hui, les compétences sociales que son fils a acquises ont eu un impact positif sur son niveau scolaire.
A Best Buddies, les interactions ont permis de mettre l’accent sur l’importance de faire participer les handicapés à la vie quotidienne et de faire comprendre qu’ils ont un rôle à jouer. Mais les bénéfices semblent être mutuels. Khalifa, 21 ans, en 3e année à la faculté d’infirmiers, est bénévole à cette association. Avant de travailler pour l’initiative, il s’entendait bien avec son ami, professeur d’histoire non voyant. « Il m’écoute attentivement et a une vision de la société différente de la mienne. Je lui raconte souvent mes problèmes car il m’aide avec sagesse tout en me donnant les solutions adéquates », souligne Khalifa.
Manar Ahmad, bénévole en 3e année à la faculté de sciences, est sur la même longueur d’onde. Elle pense que l’initiative a eu un impact positif sur les étudiants dans les universités, plusieurs d’entre eux qui ont assisté aux séances de sensibilisation ont cessé d’humilier leurs camarades handicapés ou d’utiliser des propos malveillants ou vexants : « Tu es down », « Tu es autiste » et d’autres termes encore qui pourraient être discriminatoires. Un autre objectif de Best Buddies est de transmettre un message et de prouver que chaque handicap peut être exploité au profit de la société. Selon Medad, Centre des études et des recherches pédagogiques, ce genre d’initiatives stimule les activités qui autonomisent les handicapés en ouvrant des chaînes de communication avec les centres de réhabilitation, les écoles dépendant des ONG pour les personnes handicapées et les familles de ces dernières, afin de créer des relations d’amitié entre des personnes normales et des personnes handicapées, quelle que soit la nature du handicap. Et de conclure que lorsque l’intégration commence avec les plus jeunes (enfants), ces derniers pourront peut-être devenir plus tard des spécialistes du handicap en étudiant la médecine, la sociologie, la psychologie ou la physiothérapie.
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