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Halte au mariage consanguin

Dina Bakr , Mercredi, 06 novembre 2024

Le mariage consanguin augmente de 15 % le risque de maladies héréditaires. Celui-ci est fortement ancré dans les traditions au sud de l’Egypte et dans les zones rurales. Les spécialistes de la santé productive tirent la sonnette d’alarme.

Halte au mariage consanguin

Kammel Al-Zaghrouda Khally Al-Farha Tekmal (termine le youyou pour parachever notre joie). Tel est le nom d’une initiative lancée par l’Eglise orthodoxe en coopération avec les ministères de la Solidarité sociale, de la Jeunesse et du Sport et des ONG pour prévenir les risques du mariage consanguin et éviter de transmettre des maladies héréditaires. « Lorsque l’Eglise a accepté de financer 23 opérations chirurgicales pour l’installation d’implants cochléaires c’est parce que les enfants en avaient besoin. Ils étaient issus d’unions entre cousins germains », a affirmé le pape Tawadros II. Et d’ajouter qu’il faut mener en permanence des actions de sensibilisation pour éviter les risques des maladies qui touchent les enfants et dont les conséquences sont souvent désastreuses. L’initiative a comme slogan « La santé de la société dépend de la santé de la famille ». « La campagne de sensibilisation se fera en quatre étapes dans tous les gouvernorats d’Egypte. La première débutera dans les gouvernorats où le taux de mariages consanguins est élevé (Le Caire, Assiout, Sud-Sinaï, Minya, Sohag et Assouan) et ainsi de suite jusqu’à couvrir les gouvernorats qui enregistrent le moins de mariages consanguins. Des rencontres auront lieu avec les jeunes qui ne sont pas encore mariés et leurs familles pour les mettre en garde contre les risques des mariages consanguins et les maladies héréditaires qui peuvent être transmises aux enfants », affirme Névine Al-Wahsh, conseillère du bureau du pape pour la sensibilisation. Mawadda (affection), une autre initiative lancée par le ministère de la Solidarité sociale pour réduire le nombre de divorces après la première année de mariage, revient également sur les maladies héréditaires. « Avant le mariage, on recommande aux jeunes de faire un bilan prénuptial qui comprend un certain nombre d’analyses et d’examens, surtout parmi les individus qui présentent un degré élevé de consanguinité et de ne pas se contenter seulement de remplir les formalités préalables au mariage. Ce bilan de santé permet de prévenir les maladies héréditaires et transmissibles, et la naissance d’enfants anormaux », explique Mohamad Fawzi, conseiller technique et de formation à Mawadda.

Risques élevés

Le risque de transmettre à l’enfant une maladie héréditaire due à un gène défectueux s’élève à 3 %, mais lorsque le couple est issu de la même famille, ce taux peut atteindre 6 %. D’après Ghada Al-Husseiny, cheffe du département de la génétique clinique au Centre national des recherches, en cas d’antécédents familiaux, ce taux augmente et varie entre 10 et 15 %, et si un enfant est déjà né avec une maladie héréditaire récessive, le risque d’avoir un autre enfant atteint de la même maladie est de 25 %. « Les maladies génétiques récessives apparaissent en cas de mariage consanguin. Les parents porteurs d’un gène défectueux transmettent chacun une copie de ce gène défectueux à leurs enfants », affirme Ghada Al-Husseiny.

D’après l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), 20 à 40 % des mariages en Egypte sont des mariages consanguins. Ceux-ci sont plus fréquents au sud et dans les zones rurales où les coutumes sociales et les traditions jouent un rôle important. Selon Hoda Zakariya, sociologue, la famille dans les zones rurales encourage le mariage consanguin. « C’est une manière de garder les biens de la famille et de ne pas les laisser sortir du cercle familial. On craint souvent que les biens de la famille ne tombent entre les mains d’un étranger dont personne ne peut garantir l’honnêteté », explique-t-elle. En plus, Hoda Zakariya pense que le mariage consanguin est aussi lié à la volonté des familles de garantir à leurs enfants une vie conjugale paisible qui favorise le respect mutuel entre les membres de la famille des deux époux. Malgré les conséquences de ce mariage dans certaines familles, et en dépit de la sensibilisation à ses dangers, les familles poussent leurs enfants à se marier avec des cousins ou des cousines pour des raisons sociales. « Je suis mariée à mon cousin. J’ai déjà cinq frères et soeurs qui sont atteints d’un retard de développement. Mes parents m’ont dit que mon cousin était le meilleur choix car il ne manifesterait jamais de sentiment de rejet à l’égard de mes frères et il pourrait me soutenir », raconte Laïla, originaire de Charqiya. Elle est venue au Centre national des recherches à Doqqi pour faire des analyses de séquençage. Laïla a appris qu’elle n’était pas porteuse de gènes malades, donc, pas de maladies transmissibles, tandis que pour son cousin, les analyses ont indiqué qu’il était porteur de la même déficience génétique que les frères de Laïla. Ce couple est revenu au centre pour s’assurer que le foetus à la sixième semaine de grossesse est normal. Il s’agit d’analyser le liquide amniotique entourant l’embryon. « Cette analyse permet aux parents de choisir entre garder l’enfant malade ou faire un avortement pour éviter d’avoir un bébé qui a besoin de soins particuliers », affirme Héba Ahmad, médecin au département de la génétique clinique au Centre national des recherches. Et d’ajouter : « On peut citer quelques maladies héréditaires comme l’atrophie rétinopathie, la thalassémie, l’hémophilie. Ce sont des exemples de maladies courantes auxquelles on peut survivre ».

Laïla, enceinte de son premier enfant, a eu beaucoup de chance, mais le risque que la maladie se manifeste chez d’autres enfants existe toujours. « Lorsqu’il est question d’un mariage consanguin, on ne parle pas seulement des cousins germains, car les gènes défectueux peuvent se transmettre à travers une lignée qui remonte jusqu’au dixième grand-père », déclare Héba Ahmad.


Le mariage consanguin augmente le risque de voir apparaître des gènes défectueux.

Mona a eu deux enfants, une fille qui est décédée à l’âge de 15 ans suite à une atrophie musculaire et des déformations osseuses. Et le garçon qui se déplace lui aussi sur une chaise roulante souffre de la même maladie. En plus de problèmes respiratoires graves, avec des pneumonies fréquentes. La maman espère avoir un enfant normal pour compenser cette souffrance qui a commencé à la naissance de son premier enfant. Elle va recourir à la fécondation in vitro pour sélectionner les gènes normaux qui vont être introduits dans son utérus. Mais, avant l’insémination artificielle, son fils déjà atteint d’une maladie héréditaire doit faire une analyse de gènes afin d’éviter ceux qui sont porteurs de la maladie durant la fécondation in vitro.

Les souffrances de cette famille tirent la sonnette d’alarme. Sensibiliser les gens aux risques du mariage consanguin est une mesure positive pour les nouvelles générations. Les parents qui n’ont pas eu cette chance d’être informés des conséquences du mariage consanguin et qui parviennent difficilement à s’accommoder aux maladies héréditaires de leurs enfants sont à la recherche d’un équilibre dans leur vie.

Abdel-Hadi et sa femme ont deux filles atteintes de xeroderma pigmentosum (un désordre génétique rare qui conduit à l’apparition d’un cancer de la peau après une exposition même minime aux rayons du soleil). Les filles ont été obligées de mettre le niqab, en plusieurs couches superposées, pour se protéger des rayons du soleil. Le père a équipé sa voiture de vitres fumées pour qu’elles soient protégées des rayons UV durant le trajet école-maison. « Les défis sont nombreux, il faut les amener à l’école très tôt le matin, je dois payer sans cesse des contraventions pour les vitres teintées qui ne sont pas autorisées, et ceci sans compter que notre entourage se demande pourquoi les filles portent le niqab alors que la mère ne le porte pas », raconte le père. Au final, il a inscrit ses filles dans une école de non-voyantes pour suivre les cours du soir. Elles ont appris le braille alors qu’elles ne sont pas aveugles, et elles ont pu s’inscrire à la faculté des langues.

S’adapter aux circonstances est déjà un avantage, mais le mieux est de prévenir les maladies héréditaires le plus tôt possible en s’éloignant du mariage consanguin.

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