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Voie vers l’indépendance

Dina Bakr , Mercredi, 21 août 2024

Les services proposés aux non-voyants améliorent leur quotidien et favorisent leur intégration sociale. Focus.

Voie vers l’indépendance

« Une personne avec un handicap visuel ne doit pas se sentir exclue », souligne Dina Ourabi, directrice du Centre d’égalité des chances de l’Université d’Al-Galala, en parlant du projet de fin d’études de la faculté de production médiatique. Ce projet vise à introduire l’audiodescription dans les oeuvres télévisées ou cinématographiques, telles que les films, les feuilletons et autres. Il s’agit par exemple de décrire le cadre du film, les mouvements des acteurs et les expressions des comédiens lorsqu’ils ne parlent pas. La voix du descripteur ne doit pas interférer avec le dialogue des acteurs ; elle doit compléter la scène silencieuse pour permettre aux non-voyants de mieux apprécier l’oeuvre artistique. Cette description leur permet alors de comprendre pleinement les films et d’atteindre le même niveau de satisfaction que les voyants. « L’audiodescription est un travail de longue haleine. Les étudiants ont décrit des extraits de films de 10 à 15 minutes au maximum », explique Ourabi. « La performance vocale doit résumer les faits de manière détaillée en un temps précis », ajoute-t-elle. D’autres protocoles de coopération seront établis avec les producteurs de films et les ministères concernés pour favoriser l’intégration totale des non-voyants.

Cette initiative n’est pas la première du genre. D’autres efforts ont été auparavant réalisés pour améliorer l’intégration des non-voyants, des efforts qui remontent à plus de sept décennies. Le Centre modèle pour les soins et l’orientation des aveugles (Qasr Al-Nour) existe depuis 1953. Fruit d’une coopération entre la Ligue arabe, l’UNESCO et l’Egypte, ce centre a formé plus de 100 000 personnes. D’après Ayman Al-Dahchan, président du centre, celui-ci a formé les non-voyants à la lecture en braille, à l’artisanat et à l’impression de livres en braille. Cependant, le centre souffre actuellement de problèmes financiers et techniques, ce qui a conduit à la création d’autres initiatives visant à intégrer les non-voyants dans la société.

1,8 million de non-voyants

Selon Ahmed Al-Maraghi, rédacteur en chef du magazine égyptien en braille Al-Akhbar, l’Egypte est le pays arabe comptant le plus grand nombre de non-voyants, avec 1,8 million de personnes, sur 8 millions dans le monde arabe et 38 millions dans le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 80 % des non-voyants se trouvent dans les pays en développement. Le handicap visuel augmente avec l’âge et dans les pays souffrant d’un manque de soins médicaux, car les frais d’intégration ne sont pas toujours à la portée de tous. C’est pourquoi la société civile tente de combler cette lacune et de tendre la main à cette catégorie de personnes.

La fondation Baseera est l’une des ONG travaillant sur l’intégration des personnes non-voyantes. « J’ai créé cette fondation en 2004 pour améliorer les services offerts aux non-voyants et, en parallèle, pour faire comprendre aux parents qu’une personne non-voyante peut être compétente si elle est bien orientée et formée », raconte Doaa Mabrouk, présidente de la fondation Baseera. Cette militante des droits des non-voyants fournit aux enfants non-voyants divers types de soutien, notamment l’utilisation de tablettes et d’ordinateurs conçus spécialement pour eux. Elle estime que la détection précoce du handicap et de son degré chez l’enfant aide les parents à mieux le préparer. « Par exemple, un père est venu se plaindre de la paresse de son fils, qui devait passer le bac. Après un examen oculaire, nous avons découvert qu’il souffrait d’une faiblesse de la vue. Il lui fallait une heure pour lire une seule page dans un livre. Cela expliquait son niveau scolaire relativement bas et ses notes faibles, bien qu’il soit un élève studieux », explique Mabrouk, ajoutant que les nouvelles technologies ont beaucoup aidé ces personnes, notamment dans la lecture.

L’ONG s’efforce donc de former les non-voyants à utiliser diverses applications visant à rendre leur quotidien plus facile. Aujourd’hui, il existe plusieurs applications pour smartphones et programmes pour ordinateurs qui aident les non-voyants à mieux s’intégrer. Selon Mabrouk, les applications largement utilisées en Egypte pour garantir plus d’autonomie aux non-voyants sont : Be My Eyes (application qui aide les malvoyants à reconnaître des objets et à faire face à des situations quotidiennes), Seeing AI (application d’intelligence artificielle qui utilise un appareil photo pour identifier et décrire les personnes et les objets de manière audible pour les personnes malvoyantes), Voice Dream Reader (application qui lit n’importe quel texte), KNFB Reader (lecteur électronique portable pour les aveugles), Seeing Assistant Move (application fournissant des informations sur l’endroit où vous vous trouvez, recherchant une adresse et donnant des repères), Google Lookout (application détectant le texte et les objets dans une image).

D’ailleurs, plusieurs bibliothèques, comme celles de l’Association des soins intégraux, des Universités de Hélouan, de Aïn-Chams et d’Al-Azhar, ainsi que d’autres bibliothèques spécialisées comme celle de Taha Hussein (figure de proue de la littérature arabe et non-voyant) à Alexandrie adoptent de nouvelles technologies telles que Job Access With Speech (JAWS), apparu avec Windows 95. Ce programme aide les personnes non-voyantes à utiliser Word, Access et Excel.

L’apport de la technologie

Il est toutefois nécessaire de connaître le véritable potentiel des personnes non-voyantes (âge, niveau d’éducation, degré de handicap) pour évaluer leur capacité à utiliser ces dispositifs, qui pourraient sans doute changer leur vie. C’est le cas de Jowaïria, étudiante non-voyante à l’Université américaine du Caire (AUC), qui a pu obtenir une bourse grâce à ses bonnes notes au baccalauréat international. « A ma naissance, j’avais une vision réduite. A l’âge de 3 ans, j’ai perdu totalement la vue. Cependant, j’ai bénéficié d’un programme de formation pour développer mes autres sens, ainsi que d’exercices d’éveil. L’entraînement comprend aussi le perfectionnement de l’utilisation des doigts pour lire et écrire en braille et dessiner avec des matériaux tridimensionnels comme le pistolet à cire, en plus de la mousse et l’argile pour comprendre, par exemple, les cartes géographiques », précise-t-elle. La technologie moderne lui a donc donné un élan dans sa carrière. Elle utilise un téléphone portable et un ordinateur portable équipés de paramètres conçus pour les non-voyants, comme un logiciel de lecture d’écran. Tout ce qu’elle écrit sur une machine braille connectée à l’ordinateur est interprété en voix qui lit les phrases écrites à l’écran, facilitant ainsi son parcours vers l’obtention de son master.

Un autre exemple est celui de Mohamad Emad, étudiant non-voyant, qui assure : « J’avais utilisé de nombreux dispositifs visuels comme les loupes numériques (Digital Magnifier) et la télévision agrandie (Max TV) jusqu’à la 2e année préparatoire. La tablette est devenue mon compagnon idéal jusqu’à aujourd’hui ». A l’époque, l’administration de l’école l’a beaucoup aidé en lui fournissant des études et évaluations sur tablette. « Avant l’utilisation de la technologie, l’impression d’examens en police 48 nécessitait 120 pages au lieu de 20. Résultat : je me sentais distrait et ratais des réponses en raison de l’absence de concentration », raconte Mohamad. La tablette a facilité la navigation entre les pages. En plus, la flexibilité de l’administration scolaire lui a permis d’arriver une heure plus tôt pour bénéficier de plus de temps, en raison de sa capacité visuelle réduite à moins de 20 %.

Pour plus d’indépendance, l’utilisation du bâton blanc pour se déplacer n’était pas laissée au hasard. Mohamad avait recours à un accompagnateur voyant qui l’avait guidé à plusieurs reprises jusqu’à l’école ou au club. A cet égard, Mohamad a créé des repères comme des arbres, des fontaines ou des panneaux pour l’aider à se repérer sans se perdre ou trébucher dans la rue. Aujourd’hui, Mohamad participe à des campagnes de sensibilisation concernant le handicap visuel dans les universités et les écoles. Il raconte son expérience, ses sentiments et les défis qu’il a surmontés durant sa vie, chaque détail étant un problème à résoudre.

Quant à Jowaïria, elle est devenue responsable de soutien aux personnes nouvellement touchées par la perte de vue. Elle partage son histoire avec enthousiasme et fierté, incitant les personnes non-voyantes à un entraînement continu en matière de déplacement, de travail en braille et même d’utilisation des nouvelles applications expliquant les images. Cependant, si la technologie a ce pouvoir magique de changer la vie des personnes handicapées, Doaa Mabrouk lance un appel à l’Etat pour ne pas imposer de taxes sur les dispositifs importés afin de mieux soutenir les non-voyants et maximiser les bénéfices de tout ce qui aide à leur intégration.

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