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Coiffeur hommes, un métier de femmes aussi !

Chahinaz Gheith , Mercredi, 07 août 2024

Longtemps l’apanage des hommes, le métier de coiffeur (pour hommes) est investi par des femmes qui défient les clichés sexistes et bravent les regards de la société. Tournée.

Coiffeur hommes, un métier de femmes aussi
Soheir Heikal, une pionnière du métier de femmes barbières.

Les coups de ciseaux s’enchaînent dans un salon de coiffure du centre du Caire. Le client se regarde dans le miroir et semble satisfait de sa coupe de cheveux. Tout semble normal dans ce petit salon pour hommes, sauf un seul détail : le coiffeur est une femme ! « La main d’une femme est différente », lâche Soheir Heikal, la première femme d’Egypte à se spécialiser dans la coiffure pour hommes. Depuis trente ans, elle manie le ciseau et la lame et n’a jamais prêté attention aux regards de la société. La gente masculine lui fait entièrement confiance. Certains ont un peu tiqué au début en confiant leur crâne chevelu à une femme, mais ils ont vite pris le pli. « Tailler une barbe est une affaire sérieuse qui prend du temps. Au préalable, je fais chauffer les serviettes avec de la vapeur d’eau. Une fois chaudes, je les pose sur le visage. Jusqu’à ce que le poil transpire et que la peau soit bien lisse », explique Soheir qui cultive l’art du rasage à l’ancienne. Après le coup de blaireau et l’application de la crème à raser, le rasoir à main entre en jeu. Ensuite, Soheir applique un masque d’argile. Elle le laisse une dizaine de minutes. « C’est un soin du visage naturel qui ouvre les pores et ça donne une peau de bébé ! », affirme-t-elle. Une fois le masque d’argile retiré, d’autres serviettes chaudes sont posées sur le visage du client. Ce n’est pas fini. Le client est invité à une sorte de sauna faciale qui distille des odeurs fraîches et détend la peau. « Je viens ici pour arranger ma barbe. Ma peau est très sensible. Elle rougit quand je me rase seul. Mais ici, on sait très bien s’en occuper », sourit Mostafa, 35 ans, qui apprécie le rasage d’osta (cheffe) Soheir. Il se souvient de la première fois où il est venu et comment il a été pris de panique en voyant le lame entre ses mains. Il a multiplié par la suite les visites. Soheir est très précise, chacun de ses mouvements est très délicat et le client ne sent pas la lame passer sur sa peau. Elle lui retire, à l’aide d’une pince, les cuticules autour de ses ongles avec une précision chirurgicale. Ponçage, gommage, huile nourrissante … Mostafa a droit à tout ou presque. « Surtout pas de vernis, ça, c’est pour les femmes ! », glisse-t-il avec le sourire, en précisant qu’il tient à rester un homme.

Soheir raconte que le hasard l’a menée à cette profession. « J’étais en apprentissage dans un salon de coiffure pour femmes, mais après une dispute avec une cliente, j’ai été renvoyée. Mon beau-frère m’a alors parlé d’une femme étrangère qui travaillait chez un coiffeur. J’ai proposé mes services au propriétaire du salon, qui a accepté. Après une courte période d’apprentissage, j’ai rejoint un autre salon de coiffure pour hommes au centre-ville, où j’ai appris tous les secrets du métier », confie-t-elle en expliquant qu’elle a épousé Saïd, l’homme qui lui a enseigné les techniques de coiffure masculines. Son premier client était un jeune homme du Golfe, qui a été impressionné par son travail et est devenu un habitué, amenant même ses amis.

Briser les stéréotypes

Pour une femme comme Soheir, travailler dans un environnement masculin n’a pas été facile. Elle a dû faire face à un déluge de regards désapprobateurs et de commentaires négatifs. Elle se souvient d’une femme qui a demandé le divorce parce que son mari venait se faire coiffer chez elle. Beaucoup de femmes, par jalousie, accompagnent leurs maris à son salon de coiffure et surveillent chacun de ses mouvements. L’un des moments les plus amusants était quand son propre fils refusait qu’elle lui coupe les cheveux, en disant : « On ne peut pas imiter les hommes dans toute chose ».

Aujourd’hui, Soheir continue de défier les normes en formant d’autres femmes aux techniques du brushing et de la coiffure masculine. Elle est devenue une source d’inspiration, montrant que le talent et le professionnalisme ne connaissent pas le genre. Après plusieurs années, elle a ouvert son propre salon de coiffure pour hommes, où elle emploie uniquement des femmes. Son ambition est de créer une école pour enseigner les techniques de coiffure pour homme, un engagement à long terme envers cette profession. Soheir n’est pas un cas isolé. Toujours prêtes à relever les défis, les femmes n’ont pas laissé de domaine sans l’explorer. Certaines ont pris la place des coiffeurs masculins traditionnels et ont fait de la coiffure leur passion. Leur principale mission ? Sublimer chaque homme qui passe entre leurs mains. « Pour moi, la plus grande réussite, c’est lorsqu’un client vient … Puis revient ! On a par exemple un monsieur qui vient toutes les semaines pour s’offrir son petit moment de détente tout en entretenant sa barbe », affirme Warda Ahmed, qui a décidé de briser tous les codes et les stéréotypes de la société et de se lancer dans la concrétisation de ses rêves. Cette femme coiffeuse pour hommes, âgée de 24 ans, estime que la beauté n’est plus l’apanage des femmes. Pour l’homme moderne, prendre soin de son apparence a une grande importance. Soins hydratants, massages relaxants, épilation et pédicure sont désormais à la portée des hommes. « Choisis un métier que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie », lance Warda .

Mon coiffeur est une femme !

Et d’ajouter :« Je n’éprouve aucune gêne à dire que je fais de la coiffure pour hommes. Au contraire, je suis fière de mon métier et je n’ai pas à le cacher ou à en avoir honte ».Cette jeune fille qui a commencé comme caissière dans un salon de coiffure et qui a tenté d’apprendre différentes coupes de cheveux et le nettoyage de la peau, avant de travailler comme coiffeuse. Elle explique qu’au début, les hommes ne voulaient pas d’elle, mais grâce à sa pugnacité, elle a réussi à apprivoiser la gent masculine. Son slogan : « Au travail, il n’y a pas de place pour la timidité ».

Idem pour Wafaa Mohamed, qui s’est fait connaître dans les cercles féminins en tant que coiffeuse très talentueuse. Cependant, elle a soudainement décidé de se tourner vers la coiffure masculine, en réservant chaque lundi à cette activité. Son histoire avec la coiffure a commencé très tôt, son premier client étant son père, ce qui l’a encouragée à s’aventurer dans le monde de la coiffure masculine.

« Le salon de coiffure masculin est totalement différent du salon pour femmes. L’ambiance y est beaucoup plus détendue, les hommes sont plus enclins à tenter des expériences avec leurs cheveux et il est beaucoup moins stressant et plus facile de communiquer avec eux qu’avec les femmes », souligne Wafaa, âgée de 45 ans et qui s’occupe de tout : coupe de cheveux, rasage de la barbe, nettoyage de la peau, pédicure et lavage des cheveux. La tâche la plus difficile est, selon elle, le rasage de la barbe, car il faut être proche du client. Cela demande une grande concentration pour éviter les erreurs. Elle maîtrise également une technique épilatoire qui remonte au temps des Mille et Une Nuits. Son seul outil est un fil de coton destiné à la couture, dont elle se sert pour arracher les poils.

En effet, il faut voir Wafaa manipuler son fil. Une vraie chorégraphie. Un bout dans la bouche, l’autre entortillé autour des doigts pour reproduire l’effet du noeud coulissant. On ne le dirait pas, à première vue, mais ce procédé est plus efficace que trois appareils à électrolyse. « Petits poils, gros poils, j’attrape tout », précise-t-elle en s’attaquant successivement aux joues, aux sourcils et aux oreilles. Malgré les critiques initiales, elle a persévéré et a su se faire respecter. Ses enfants, bien que réticents au début, ont finalement accepté et soutenu son choix de carrière. Wafaa adore son métier et ne peut pas vivre sans celui-ci. Elle considère cette profession comme « honorable », allant même jusqu’à rejeter les conseils d’un cheikh qui lui avait suggéré de quitter ce métier. Et ce, en raison des tentations qu’il pourrait engendrer à cause de la proximité « inappropriée » entre hommes et femmes.

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