« Ce n’est pas une maladie mortelle. Pourtant, elle m’a tuée à petit feu jusqu’à ce que j’aie été enfin diagnostiquée d’endométriose. Cela a débuté lorsque j’avais 14 ans, mes règles étaient devenues un calvaire : douleurs aigües irradiant tout le bassin, baisse de tension, vomissements, impossibilité de s’alimenter et de se déplacer normalement. Pourtant, personne dans mon entourage ne comprenait mes douleurs et mes hémorragies. Même les médecins me disaient que c’était normal et que les règles sont un phénomène douloureux, qu’il n’y a rien à faire ». C’est le témoignage de Nadine, 24 ans, qui a passé une décennie à souffrir. Elle raconte qu’un jour, lors d’une énième crise, les douleurs étaient horribles, et situées au niveau des reins, des lombaires et des aines, à tel point qu’elle a été envoyée aux urgences. Les médecins, qui ne savaient pas détecter ce mal, lui ont établi un diagnostic et elle a subi une opération chirurgicale pour se faire enlever l’appendice. Mais les douleurs n’avaient pas disparu et s’accentuaient encore, de plus en plus. Puis Nadine a découvert qu’elle avait subi une opération pour rien. « J’ai essayé tous les traitements, les méthodes naturelles, les remèdes de grand-mère, les traitements hormonaux, les antidouleurs, etc. mais en vain », souligne-t-elle, tout en ajoutant que certains traitements lui ont fait prendre quelque 30 kg, ce qui lui a fait perdre confiance en elle-même et elle a commencé à détester son corps.
Jusqu’au jour où elle a changé de gynécologue et lui a parlé de ses douleurs. Et le verdict est tombé : elle est atteinte d’endométriose. Depuis, son état s’est empiré de jour en jour. D’abord des douleurs pendant les règles, avant les règles, après les règles, pendant l’ovulation. « Je sais qu’il est très difficile de trouver le traitement le plus approprié. Les douleurs pourraient être limitées en enlevant les principaux foyers d’endométriose, mais il faut pour cela prendre la pilule contraceptive en continu, afin de stopper l’ovulation, ce qui est incompatible avec un projet de grossesse », confie Nadine, fiancée, qui s’apprête à se marier dans quelques mois et qui rêve d’être simplement une femme normale, pas une malade en constante souffrance.
Errance médicale
Idem pour Dana Mazen, 32 ans, ingénieure, qui a subi 15 ans d’errance médicale avant d’avoir un diagnostic d’endométriose. Son parcours du combattant commence dès ses premières règles, à l’âge de 12 ans. Pour elle, se livrer, partager son expérience avec l’endométriose n’est jamais un acte facile. Cela demande du courage. L’endométriose n’est pas une maladie visible, elle ravage le corps silencieusement. Le regard des autres qui ne comprennent pas, les médecins qui minimisent, sans oublier que les règles sont un tabou dans notre société. « J’avais le sentiment d’un déséquilibre hormonal : douleurs régulières et invalidantes, sensation de gêne dans le bas-ventre, acné, migraines fréquentes. Pendant les périodes d’examen, les douleurs et la fatigue chronique peuvent engendrer une baisse de la concentration, qui rend les révisions difficiles à supporter », confie-t-elle, tout en ajoutant que son endométriose a également affecté sa vie professionnelle et qu’elle doit tout planifier autour de ses règles. Encore célibataire, elle vit avec la hantise de la stérilité que peut causer son endométriose.
Douleurs, retard de diagnostic, difficultés à avoir un enfant, le quotidien des femmes atteintes d’endométriose est souvent difficile. Elles sont nombreuses à souffrir de cette maladie causée par la migration et le développement de tissus de la muqueuse utérine hors de l’utérus (ovaires, trompes de Fallope, péritoine, entre autres). Ces localisations anormales provoquent des réactions inflammatoires chroniques et des lésions internes qui causent de violentes douleurs chez les personnes qui en souffrent, notamment pendant les règles et les rapports sexuels, et qui peuvent représenter une cause d’infertilité.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’endométriose concerne 190 millions de personnes dans le monde. Ce chiffre représente une femme menstruée sur 10 qui est diagnostiquée, mais il y a entre 7 et 10 ans en moyenne de retard au diagnostic, donc c’est sûrement beaucoup plus que ce taux. Cette pathologie est souvent méconnue, aux formes multiples et dont l’évolution et l’intensité varient d’une femme à l’autre. Les professionnels de santé restent parfois insuffisamment formés à sa détection et sa prise en charge. Conséquence principale : une errance thérapeutique pour les femmes atteintes, à l’origine d’une évolution silencieuse, et parfois irréversible, de la maladie. 30 à 40 % des femmes seraient concernées par des problèmes de fertilité, comme le précise l’OMS.
Un diagnostic souvent tardif
Longtemps taboue, l’endométriose a souffert de retard quant à la sensibilisation, l’information et la prise en charge. Depuis quelques années, elle a bénéficié d’un changement de regard au niveau mondial, jusqu’à devenir une question de santé publique. Ainsi, le 28 mars de chaque année est devenue la Journée mondiale de la lutte contre l’endométriose, afin de faire connaître cette maladie au plus grand nombre de personnes. Et pour que celles qui en souffrent ne se disent plus que « c’est normal d’avoir mal ». « Pour certaines femmes, l’endométriose reste sans symptômes jusqu’à ce qu’un bilan de fertilité montre que leurs trompes ou leur utérus sont touchés. D’autres ont, depuis l’adolescence, des douleurs terribles qui les clouent chez elles et les obligent à prendre de lourds traitements antidouleur à chaque nouveau cycle », explique Dr Nahed Gomaa, gynécologue obstétricienne.
Mais pourquoi tant de retard alors que certains alertent sur la maladie depuis tant d’années ? « On a trop longtemps banalisé la douleur de la femme. On disait : Une femme a mal quand elle a ses règles et c’est normal. Non, ce n’est pas normal », argumente Dr Gomaa, tout en ajoutant qu’aujourd’hui, seuls les symptômes de l’endométriose sont traités, pas la maladie en tant que telle. « On ne peut pas guérir la maladie, mais on peut l’empêcher de progresser en prescrivant la pilule oestro-progestative en continu. Et ce, pour bloquer la croissance de l’endomètre, et donc supprimer les règles et les douleurs qui les accompagnent. Il y a également de différentes solutions pour soulager les symptômes, y compris des approches complémentaires, comme l’acupuncture, l’ostéopathie, le yoga ou la relaxation », souligne-t-elle.
Nouvel espoir
Dalia Mostafa, 35 ans, affirme qu’elle avait appris à vivre avec. Les médicaments anti-inflammatoires sont devenus ses meilleurs amis. Une fois mariée, le médecin lui a posé un stérilet en cuivre, qu’elle a gardé durant deux ans. A partir de là, la maladie s’est aggravée et elle a eu une énorme inflammation. Des adhérences se sont développées entre ses organes à partir des fragments d’endomètre, ainsi que des kystes à un ovaire et plusieurs nodules, notamment dans la vessie. Uriner lui donnait parfois envie de hurler. Elle avait des douleurs vaginales, notamment lors de la relation sexuelle. Son médecin avait tout enlevé et nettoyé pour réduire ses douleurs et lui offrir toutes les chances de tomber enceinte. Cependant, elle a découvert qu’elle avait beaucoup de mal à avoir un enfant. « Après un premier échec, la vie continue, on réessaye. Cela ne fonctionne pas, on réessaye encore. On n’y arrive pas. C’est très difficile », lance Dalia, qui a fait deux tentatives de Fécondation In Vitro (FIV) et deux fausses couches. Et l’année dernière, le médecin lui a retiré l’utérus. « Même si l’endométriose est toujours là, elle progresse moins vite. Et puis, là j’ai tiré, définitivement, un trait sur la possibilité d’avoir un enfant », raconte Dalia, qui essaie de tenir en faisant du sport et du yoga, afin de ne pas laisser la douleur s’incruster mentalement et de focaliser sur son bien-être.
Mais pour elle comme pour les autres femmes atteintes d’endométriose, un espoir est tout de même là : des scientifiques japonais viennent de présenter les résultats de leurs recherches au sujet de cette pathologie lors de la 44e réunion annuelle de la Société japonaise de l’endométriose, qui s’est tenu le 21 février à Kochi (Japon), puis publiés dans la revue Science Translational Medicine. Selon les chercheurs, la présence d’une bactérie pro-inflammatoire au niveau de la muqueuse utérine pourrait jouer un rôle crucial dans le développement de l’endométriose. Une découverte qui pourrait donner lieu à un potentiel traitement prometteur.
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