« Vraiment, un homme sans moustache n’est plus un homme (...) La moustache, ô la moustache est indispensable à une physionomie virile. Une lèvre sans moustache est nue comme un corps sans vêtement », écrivait Guy de Maupassant en 1883. Une phrase toujours d’actualité.
Broussailleuse à la Staline, fine façon Clark Gable, courte, longue, épaisse ou encore à l’américaine, à chacun son style. Comme la coupe de cheveux, la moustache dégage l’identité de celui qui la porte auprès de la société, de ses amis, de sa famille. C’est un véritable reflet de la personnalité, voire un attribut masculin, surtout en Egypte et au Moyen-Orient. Indémodable, elle a traversé le temps et les époques. En effet, ce choix stylistique a longtemps symbolisé l’homme dans la culture populaire. La moustache conférait l’autorité morale latente qu’on attribue souvent aux pères de famille et aux policiers. « On ne plaisante pas avec la moustache. La moustache fait l’homme, comme les cheveux longs représentent la femme », lance Amr Mohamad, 32 ans, originaire de Haute-Egypte, qui a une grosse moustache bien taillée. Pour lui, se raser la moustache signifie une perte de virilité. Impossible pour lui de voir son visage sans moustache, vu qu’il la considère comme une partie de sa personnalité, de qui il est.
Idem pour Hicham Moustapha, technicien de 40 ans, qui voit en l’épaisseur de sa moustache un symbole de virilité et de maturité. « Une moustache complète un homme, dit-il, elle contribue à l’honneur personnel. Autrefois, dans les quartiers populaires, les hommes juraient sur leur moustache, incarnant de la sorte une promesse, un code d’honneur. Si ce dernier est bafoué, la moustache est rasée. Ainsi, un homme déshonoré n’est plus digne de la porter ». C’est d’ailleurs une source de fierté pour Alia, son épouse, comme pour lui.
Car la moustache semble être attirante et capter l’intérêt de la gent féminine. Sa femme, comme plusieurs autres, voit que les hommes moustachus sont virils et sexy. « La moustache ajoute un charme supplémentaire et donne à l’homme du style et du respect », confie Alia.
Toute une histoire
En effet, les pilosités faciales sont désormais au centre de toutes les attentions esthétiques de l’homme. Les hommes prennent grand soin de leur système pileux, en particulier de leur moustache, identifiée à une marque extérieure de virilité. De l’Antiquité, où la moustache et la barbe symbolisaient la puissance et la masculinité, à aujourd’hui, où la moustache est devenue un accessoire de mode, le port — ou le non-port — de la moustache n’est qu’une question de mode. Aussitôt qu’on l’apprécie, on trouve un moyen de la détester.
Mais remontons un peu dans le temps. La barbe et la moustache ont d’abord été réservées aux dieux. Les Egyptiens sont souvent représentés sans poils au visage, mais le pharaon, presque un demi-dieu, porte la barbe postiche. Dans les autres civilisations d’Orient, comme chez les Perses ou les Sumériens, la barbe est aussi synonyme de pouvoir. En Occident, les Grecs et les Romains ne portent pas la moustache. La pilosité hirsute fait référence aux peuples barbares. L’islam est ensuite venu étoffer les rangs des grands hommes à la pilosité abondante, les croyants se conformant pour la plupart à la parole du prophète, retranscrite dans les hadith : « Laissez-vous pousser la barbe abondamment et taillez-vous les moustaches. Différenciez-vous ainsi des polythéistes » (c’est-à-dire, à l’origine, des ennemis perses qui se laissaient pousser la moustache).
La sociologue Samia Saleh estime que dans l’ère moderne, l’attirance pour la moustache s’inscrit dans une tradition séculaire. « Le port de la moustache est sacré et remonte à l’époque ottomane. Les moustaches sont portées fièrement avec épaisseur et longueur, synonymes de virilité et d’assurance », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Un Turc sans moustache est comme une maison sans balcon », dit le proverbe. A noter que le tourisme de la moustache bat son plein en Turquie, devenue le leader mondial dans le domaine de la greffe capillaire (cheveux, moustaches et barbes).
Bien plus qu’un attribut esthétique
Selon le psychiatre Ahmed Abdallah, la moustache signifie, en psychologie, le rapport à l’autorité. Elle renvoie au statut du gendarme, du savant ou du maître, elle est essentiellement associée à une figure paternaliste. A partir de là, on peut avancer qu’un dictateur ou un despote marque davantage les esprits et impressionne d’une manière plus efficace s’il est doté d’une moustache. Essayez d’imaginer Staline rasé ou encore Si Sayed (héros de la trilogie de l’écrivain Naguib Mahfouz qui était un père de famille autoritaire) ! Le résultat serait peu probant. C’est pour cela que de nombreux dirigeants arboraient la moustache comme étant un signe culturel de masculinité, de pouvoir et prestige. Le plus célèbre des leaders arabes n’est autre que Saddam Hussein, dont l’épaisse pilosité était indissociable de son image de chef suprême. Mais il y a aussi Nasser, Sadate, Erdogan ou encore Bachar Al-Assad. A cause de la fierté tirée de sa présence, la moustache devient une affaire politique de choix. En 2003, un assistant de Saddam Hussein a insulté le ministre d’Etat koweïtien en s’exclamant : « Que votre moustache soit maudite ! », rapporte Abdallah, tout en assurant que quoi qu’il en soit, la domination masculine semble être liée à la pilosité, l’idée que les hommes de pouvoir et les despotes soient moustachus est ancrée dans l’inconscient collectif et dans nos représentations mentales, qu’il s’agisse de littérature, de cinéma, et même de jeux vidéo, les méchants et les tyrans la portent souvent.
Un marqueur social et générationnel
Cependant, la sociologue Samia Saleh pense que la masculinité est une construction culturelle qui varie d’une époque à l’autre et d’un lieu à l’autre. « Le fait de savoir si la moustache fait paraître un homme plus viril ou non est une appréciation subjective qui peut dépendre d’une multitude de facteurs, y compris les préférences personnelles et les normes culturelles », explique-t-elle, tout en affirmant que la moustache indique aussi, par les formes qu’elle prend, divers engagements religieux et appartenances politiques : fournie mais bien taillée au-dessus de la lèvre, elle est sunnite (les poils ne doivent pas empiéter sur la lèvre supérieure, afin d’éviter que les aliments ou les boissons n’entrent en contact avec eux, ce qui pourrait être générateur d’une impureté rituelle). C’est l’attribut normal du pieux. Il y a aussi les Frères musulmans qui ont tendance à porter la barbe et la moustache bien entretenues. Quant aux salafistes, ceux-ci se laissent pousser la barbe très en longueur, lèvre supérieure rasée. Les prêtres et moines coptes portent aussi la moustache et la barbe longue (à tel point qu’un observateur non aguerri ne verrait pas la différence physique entre le patriarche copte Tawadros II et le salafiste Emad Abdel-Ghafour). En revanche, la moustache abondante, couvrant la lèvre supérieure, dite « à la Staline », est l’attribut fréquent des chiites traditionnellement alliés aux communistes.
Loin de ces choses sérieuses, pour les jeunes d’aujourd’hui, c’est une affaire d’esthétique et de mode. Hicham Rabie, gérant d’une célèbre chaîne de salons de coiffure pour hommes, explique que la moustache est aujourd’hui une manière d’affirmer le look. « Il y a des jeunes qui viennent me voir pour se faire raccourcir leurs moustaches tout en se laissant pousser les cheveux dans la nuque. Tout ça, c’est de l’imitation des chanteurs à la mode et des youtubers », confie-t-il.
Cependant, cet ornement viril, passé du signe de masculinité à l’affirmation d’un look, est encore bien vu. Chaque année au mois de novembre, la moustache revient sur le devant de la scène avec le « Movember », un événement caritatif international de 30 jours durant lequel des hommes du monde entier se laissent pousser la moustache. Le but de cette initiative lancée depuis 2003 est de sensibiliser l’opinion publique aux maladies masculines, telles que le cancer de la prostate et des testicules, et de lever des fonds pour la recherche.
Reste à dire que chacun choisit de porter la moustache ou la barbe pour ses propres raisons. Ce ne sont plus vraiment des marqueurs sociaux, mais plutôt des marqueurs culturels, religieux ou tout simplement des accessoires de mode qui agrémentent le style des hommes.
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