Patience, persévérance et motivation. C’est par ces mots que les filles du Nil résument leur succès professionnel. 38 femmes de différentes générations qui ont participé à la rédaction de Banat Al-Nil, un livre publié pour la première fois en 2017, en langue anglaise sous le titre Daughters of the Nile. Le Conseil national de la femme vient de fêter la parution de la version arabe, traduite par Ali Abdel Moeti, afin de partager les expériences inspirantes des femmes dans le monde arabe.
C’est d’abord Samia Spencer, professeure émérite de français à l’Université d’Auburn, aux Etats-Unis, qui a eu l’idée de rassembler les histoires de femmes égyptiennes ayant réussi dans leur vie professionnelle afin de changer l’image négative de la femme égyptienne dans les médias occidentaux. « J’ai voulu changer les stéréotypes par des actions positives. Durant la période de la Révolution du 25 janvier 2011, les documentaires diffusés par les médias américains donnaient une très mauvaise image de la femme égyptienne, une ignorante victime de discrimination », souligne Spencer. Vivant depuis plus d’une cinquantaine d’années aux Etats-Unis, elle manquait d’informations réelles, à part les quelques femmes citées dans l’ouvrage. Il s’agit notamment de Soheir Qonswa, ancienne responsable au Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), qui l’a guidée vers un réseau de femmes ayant pu franchir les obstacles et dont la biographie méritait d’être publiée pour servir d’exemple à suivre.
Ainsi est né Banat Al-Nil, qui a cerné les domaines dans lesquels la femme égyptienne a prouvé son excellence : de la politique au service public, des domaines académiques et scientifiques au secteur bancaire et aux affaires.
Un parcours de 100 ans
Le lancement de l’ouvrage de Banat Al-Nil a coïncidé avec la commémoration du centenaire du retrait du voile, signe symbolique d’émancipation lancé aux femmes par Hoda Charaoui qui a ouvert la voie à leur participation dans tous les secteurs de la vie. Le livre narre donc le parcours de plusieurs activistes d’antan et d’aujourd’hui. Il a aussi mis l’accent sur les obstacles rencontrés par ces femmes.
Sania Sharawi Lanfranchi, la petite-fille de Hoda Charaoui, auteur de La Chute du voile, la vie de Hoda Charaoui, une figure centrale du féminisme égyptien du XXe siècle, dit que de retour au pays, après avoir participé au congrès de l’Alliance internationale de la femme en 1923, ayant eu lieu dans la ville de Rome, Hoda Charaoui et Céza Nabaraoui avaient retiré leur voile à la gare du Caire. « Les deux femmes quittent le train sans se couvrir le visage. Elles sont accueillies par un silence stupéfait et les activistes qui les attendent commencent l’une après l’autre à enlever leur voile », dit Sania dans l’ouvrage. Elle analyse cet acte en précisant que le fait de retirer le yachmak (voile) n’était pas de suivre la mode, mais de briser les barrières de la non-participation à la vie publique, car le voile présentait un obstacle à la communication et minimisait leur efficacité au travail.
Des pionnières à l’échelle nationale et internationale
Cent ans après l’acte symbolique de Hoda Charaoui, Banat Al-Nil montre comment les Egyptiennes ont profité des anciens acquis et ont renforcé leur autonomisation. « Certaines Egyptiennes ont même précédé les Américaines et les Canadiennes dans des domaines comme la polytechnique. La première doyenne dans une faculté de polytechnique canadienne était une Egyptienne ! », explique Samia Spencer. Et d’ajouter que parmi les histoires citées dans l’ouvrage Banat Al-Nil, le cas d’une chercheuse qui a occupé un poste dans un centre de recherches au Canada dont le bâtiment ne disposait pas de toilettes pour femme. Car, avant elle, il n’y avait pas eu de femmes travaillant dans ce secteur. Elle fut la première au Canada à se lancer dans une carrière pareille tout en travaillant côte à côte avec les hommes. Chercheuse en nanoparticules dans les laboratoires de la société internationale Procter&Gamble, aux Etats-Unis, où elle commença son travail à l’âge de 40 ans, dans une ambiance hostile aux Arabes et aux musulmans. Au début, on ne lui laissait guère l’occasion d’intervenir lors des réunions. « Avoir une culture différente était pour moi un avantage. J’ai commencé à former les jeunes chercheurs. J’avais de l’intuition et une forme particulière de perception, ce qui m’a beaucoup aidée dans les composés chimiques. Je pouvais conclure les résultats avant même leur apparition. Et j’ai été promue à plusieurs reprises », raconte Magda Al-Nokaly, chimiste et chercheuse en nanoparticules. Surnommée « Magda la légendaire », elle dit n’avoir eu d’autres choix que de réussir, surtout qu’elle est issue d’une famille qui attache beaucoup d’importance à l’éducation et au travail de la femme.
Autre profil, autre parcours. Le fait de vivre dans un foyer qui favorise les rencontres et permet d’entretenir des discussions entre amis, professeurs d’université et politiciens a beaucoup inspiré Rania Al-Mashat, ministre de la Coopération internationale. « J’avais 7 ans à l’époque. Je suivais les conversations en silence et le lendemain je découvrais que nos visiteurs passaient à la télé et leurs photos étaient publiées dans les journaux », raconte-t-elle. « Etre proche de personnes influentes dans la société m’a incitée à travailler dans l’enseignement afin de me frayer une place parmi les politiciens. A l’âge de 25 ans, j’avais déjà terminé de rédiger ma thèse de doctorat car j’avais compris que le savoir est l’arme du changement », explique Rania Al-Mashat. Son travail dans les organisations internationales l’a aidée à participer et à devenir la première femme ministre du Tourisme en Egypte en 2016, faisant aussi partie des personnages de Banat Al-Nil.
Encourager les femmes par tous les moyens
Toutes ces histoires de réussite rappellent un point essentiel : le soutien de l’entourage est primordial pour que la femme parvienne à ses objectifs. « Nous avons eu la chance de trouver des personnes qui nous ont tendu la main. Alors, notre devoir est d’offrir des bourses de formation et d’études à d’autres », précise Tayssir Aboul Nassr, professeur d’ingénierie électrique et présidente du bureau de transfert de la technologie à l’Université du Nil, dont le parcours figure dans le livre. Elle fut aussi doyenne à l’Université d’Ottawa au Canada et à l’Université de British Columbia. Et dernièrement, elle a obtenu des bourses de formation et d’études pour les femmes, actuellement disponibles sur la page Facebook du Conseil national de la femme. Elle a pris contact, par exemple, avec l’Institut de la planification nationale et a reçu en faveur des femmes 10 bourses de thèses pour préparer des magistères, 5 professionnelles et 5 académiques, 4 bourses d’études entièrement financées et 6 bourses financées à 50 %. Le ministère de la Coopération internationale prévoit d’offrir 5 chances de formation pour pouvoir travailler dans un des ministères. Par ailleurs, l’Institut pour la gouvernance et le développement durable offre une formation dans une université européenne pour rehausser les compétences administratives de la femme. Le ministère de la Solidarité sociale présente aussi 5 bourses pour les diplômées de la faculté d’économie et de sciences politiques pour obtenir une formation pratique dans le domaine de la coopération internationale et le financement.
Tayssir Aboul Nassr a aussi obtenu des bourses d’études dans le domaine de l’artisanat, pour les femmes promues des écoles techniques, dans les usines de grandes chaînes de magasins et d’autres. Les Banat Al-Nil sont reconnaissantes pour l’importance accordée à l’autonomisation de la femme. Et c’est pour cette raison qu’une partie du revenu des ventes de Banat Al-Nil est destinée à la fondation Banati (mes filles), une association qui héberge les filles des rues dans des résidences de manière permanente. Le reste de l’argent des ventes est destiné à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs qui vivent dans les lieux de tri et de collecte des déchets.
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