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Binbane, l’éveil …

Dina Bakr , Dimanche, 02 avril 2023

En 2005, le village de Binbane à Assouan a été le premier en Haute-Egypte à briser le silence et entamer une sensibilisation contre l’excision. 18 ans après, Binbane a célébré sa réussite dans cette importante lutte contre une pratique certes en baisse, mais qui existe toujours. Reportage.

Binbane, l’éveil …
Le Conseil national de l’enfance et de la maternité a mis en vigueur en 2003 un programme et un plan d’action national pour lutter contre l’excision.

Diplômée de la faculté de commerce, Jihane, âgée de 24 ans, a deux frères et une grande soeur. Alors que l’aînée de la famille a été excisée, la benjamine a réussi à échapper à cette expérience traumatisante. C’est à l’âge de 8 ans que sa soeur aînée a subi une excision pratiquée par un médecin. « Ma mère ne cessait de nous donner des conseils, en insistant sur la nécessité de se défendre en cas de harcèlement sexuel et prendre de la distance pour parler avec des étrangers, mais sans donner plus d’explications. Soudain, un jour, une personne inconnue arrive à la maison avec l’accord des parents pour mutiler une partie sensible de son corps, c’est inconcevable et choquant », raconte Jihane. Et d’ajouter que sa soeur n’a pas supporté de rester à la maison. Elle est allée vivre chez sa grand-mère pendant 6 ans. « Ma soeur a été atterrée par le comportement de ma mère qui lui prodiguait des conseils et des recommandations de bonne conduite, mais, le jour de son excision, elle a donné un coup de main au médecin pour pouvoir la déshabiller », souligne Jihane, qui habite Binbane, le premier village à mener une campagne de sensibilisation contre l’excision. Sa maman n’a pas voulu répéter ce calvaire avec elle. Au contraire, elle a commencé à participer aux sessions de sensibilisation pour lutter contre l’excision et a compris que cette pratique barbare, héritée des ancêtres, n’avait aucune relation avec la chasteté et la moralité.

Un combat qui se poursuit

C’est en 2003 que le Conseil national de l’enfance et de la maternité a mis en vigueur un programme et un plan d’action national pour lutter contre l’excision des filles. L’objectif était de coordonner entre les efforts de l’Etat, les sociétés civiles et les organisations internationales pour sensibiliser et alerter les gens sur cette pratique dangereuse ayant des conséquences graves sur la santé des femmes. « Ce programme de lutte contre l’excision a été évalué 2 ans plus tard afin de connaître s’il a eu un impact sur les villages de la Haute-Egypte. Nous avons constaté que la majorité des dirigeants sociaux, populaires et religieux à Binbane étaient contre cette pratique », explique Magdi Helmi, conseiller social du programme Waei (conscience) au ministère de la Solidarité sociale, qui contrôle les activités des ONG. Il ajoute qu’en 2005, une rencontre a eu lieu à Binbane en présence de l’ex-secrétaire général de l’enfance et de la maternité, le maire du village et les hommes de religion (chrétiens et musulmans). Ces derniers ont publié le premier document ayant le nom de Bent Binbane (la fille de Binbane) sur la lutte contre cette pratique. Pour donner de l’ampleur à ce document, toutes les personnes qui étaient contre cette pratique ont apposé leurs signatures.

D’après Mona Amin, conseillère du programme Waei (conscience) au ministère de la Solidarité sociale, des représentants de l’Etat, des Nations-Unies et de l’Union européenne se sont rendus dernièrement à Binbane pour évaluer les efforts de sensibilisation déployés et mesurer les changements en faveur du développement social.

« Les hommes de religion musulmans et chrétiens dans ce village ont aidé les pionnières rurales dans leurs engagements et dans la sensibilisation des familles en précisant que l’excision n’a rien à voir avec une quelconque religion, et que c’est une pratique ancestrale que les descendants se devaient d’observer et de perpétuer d’une génération à une autre », explique Fatma, pionnière rurale. Elle a commencé son travail en 2001. Fatma et ses collaboratrices ont beaucoup souffert au début de leurs engagements, car à l’époque, le sujet était tabou. « Beaucoup de filles ont payé de leur vie à cause de cette pratique. Nous ne cessons pas de raconter leurs histoires aux gens et aux médias afin de protéger les autres filles », déclare-t-elle. Fatma a suivi des stages de formation au sein d’une ONG et elle est parvenue à faire la liaison entre l’éducation positive et la protection réelle des filles pour éviter de les faire souffrir en leur coupant une partie du sexe. « La fille doit faire confiance à ses parents lesquels ne doivent pas l’exposer à une expérience aussi barbare, avec les souffrances et les conséquences qui peuvent résulter de cette pratique, dont certaines maladies associées à la gynécologie et les voies urinaires », déclare Fatma. L’une des maladies les plus courantes en Egypte est l’inflammation chronique de la vessie chez la plupart des femmes.

Sensibiliser, encore et toujours

Plusieurs campagnes ont fait écho grâce aux pionnières rurales comme (vous êtes les championnes de votre famille), ainsi que d’autres campagnes qui condamnent toutes formes de violence à l’encontre de la femme. Récemment, un autre outil est entré en jeu, celui du soutien financier du ministère de la Solidarité sociale qui a vu le jour en 2015, Takafol wa Karama (solidarité et dignité) et qui a contribué à la baisse du taux de filles excisées. En fait, une somme d’argent allouée sous condition a incité les familles à respecter les droits de la femme en particulier et ceux de l’homme en général, comme lutter contre l’excision des filles, ne pas les marier avant l’âge de 18 ans et la nécessité de les scolariser à condition que le taux d’absence de l’école ne dépasse pas les 20 %.

Le nombre de « pionnières rurales », des femmes qui font office de guides et du porte-à-porte pour sensibiliser les villageois, s’élève à 427 dans les villages d’Assouan. La plupart d’entre elles font partie de la nouvelle génération. Ces dernières se rendent dans les écoles pour parler de ce sujet afin que les filles comprennent leurs droits et réalisent que leur corps est leur responsabilité et pas un jouet entre les mains de n’importe qui, pas même les personnes les plus proches. « Ma fille Arine a 9 ans, je l’ai protégée de l’excision et j’ai pu même sauver ma jeune soeur. J’ai appris à ma fille ce qu’on veut dire par le mot excision et elle m’accompagne dans les rencontres et les visites de sensibilisation aux familles pour rendre plus crédible ce message de lutte contre l’excision », s’exprime Alaa Allah Salah, 30 ans, pionnière rurale, diplômée de la faculté des sciences sociales. Elle explique aux gens que le meilleur moyen de protéger leurs filles est d’entretenir une bonne communication avec elles. Au cours des différentes étapes de la vie, les mamans doivent tisser une relation amicale avec elles et cela doit commencer au plus jeune âge. Cette relation de respect, de partage et d’échange renforce le lien de confiance entre mère et fillette. Et dans différentes situations, la maman est là pour donner ses conseils.

Une pratique en recul, mais …

D’après l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le taux des filles excisées de l’âge zéro à 19 ans en 2021 a diminué de 14 %, alors qu’en 2014, ce taux était de 21 %. En effet, l’influence des mamans qui étaient favorables à la pratique de l’excision a baissé au cours de ces mêmes années de l’étude, passant de 35 à 13 %. D’autres statistiques indiquent qu’en 2021, le taux des médecins ou des infirmiers qui ont effectué l’excision a baissé pour atteindre 84 %, alors qu’il était de 94 % en 2014. « Conscientiser les gens lorsqu’un médecin pratique lui-même l’excision est plus difficile que lorsqu’on attaque une sage-femme, car on pouvait convaincre en disant que cette dernière est inculte. Malheureusement, les médecins ont donné une légitimité à l’excision », souligne Magdi Helmi.

Pourtant, il arrive parfois que les habitants du village Binbane utilisent des ruses pour contourner la loi. Ahmad, 18 ans, confie que ses 3 soeurs ont été excisées par un médecin. Suite à cela, il a demandé discrètement à ses parents de ne pas inviter les proches et les voisins pour célébrer l’événement comme cela se fait ailleurs, car l’excision est officiellement interdite.

Depuis 2008, l’excision est punie par la loi qui prévoit une amende et une peine de prison allant de 3 mois à 2 ans. Ultérieurement, la loi n° 10 de l’année 2021 a rendu la peine plus sévère pour ceux qui exercent l’excision, médecins ou autres, soit 7 ans de prison. Grâce au durcissement des peines, l’excision est passée d’une coutume ancestrale à un crime susceptible d’emprisonnement à vie au cas où la fille meurt à la suite de cette pratique.

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