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Vaincre la vieillesse, vaincre le handicap

Dina Bakr , Samedi, 28 janvier 2023

Une maison de retraite à Madinet Nasr accueille des femmes non-voyantes. Elle ouvre ses portes à des seniors venant de plusieurs gouvernorats. Visite guidée.

Vaincre la vieillesse, vaincre le handicap
(Photo : Ahmad Agami)

« Un refuge devient un foyer quand il abrite le corps et sauve l’âme ». C’est le slogan que l’on peut lire sur un grand panneau accroché au mur du troisième étage de la première maison de retraite pour femmes âgées atteintes de cécité en Egypte. Ce panneau montre également le quotidien des résidentes en photos. Les locaux : des bureaux et des appartements qui donnent accès à un large couloir dont la construction a pris en compte le handicap visuel. Des mesures de sécurité ont été mises en place. Sur le mur du corridor donnant sur la rue est fixée une barre en fer qui sert d’appui, mais aussi d’orientation pour les non-voyantes qui se déplacent sans accompagnateur. Dans cette maison de retraite qui a ouvert ses portes en juillet 2021, il y a 3 pavillons d’une capacité totale de 36 résidentes. Actuellement, 25 femmes seniors et non-voyantes y sont hébergées. Des pancartes en plastique indiquent où se trouvent l’administration, la cafétéria ou le numéro du pavillon en lettres de l’alphabet et en braille. « L’idée de la création de cette maison de retraite est venue de l’association Al-Nour wal Amal, qui prend déjà en charge l’apprentissage des non-voyantes depuis les années 1950 afin de les intégrer dans la société. Quand une femme âgée n’est pas prise en charge par sa famille, elle a besoin d’assistance, d’où la nécessité de la placer en maison de retraite », explique Amira Al-Réfaï, directrice exécutive du fonds Ataa. L’administration du fonds Ataa est gérée par la Banque Nasser. Ce fonds d’investissement caritatif finance tous les services et les salaires du personnel. « On collabore avec les associations actives pour l’autonomie des personnes aveugles. Ce foyer pour femmes seniors est un des projets parmi les 14 autres financés par Ataa », indique Amira Al-Réfaï.


(Photo : Ahmad Agami)

Comme chez soi

Ici, les résidentes se sentent à l’aise comme si elles se trouvaient chez elles. Dans la cafétéria, elles prennent leur petit-déjeuner tranquillement. A table, elles font preuve de prudence en bougeant les mains pour éviter de renverser un verre ou de faire tomber un plat de foul. Au moment des repas, elles prennent tout leur temps et le personnel respecte leur rythme. D’un autre côté, l’administration a mis à leur disposition, 24 heures sur 24, des surveillantes qui veillent aux différents types d’aliments présentés à chacune d’elles et les aident à prendre leurs médicaments à des moments bien précis. Des surveillantes vérifient chaque jour si les agents d’entretien et de nettoyage des locaux ont bien séché les sols pour éviter tout accident. « Notre emploi du temps est chargé du matin jusqu’au soir. Et parfois durant la nuit, on doit répondre aux appels de celles qui ne se sentent pas bien ou simplement celles qui veulent se rendre aux toilettes », raconte Marwa, surveillante. C’est la première fois qu’elle travaille avec des personnes atteintes de cécité. Elle rêve d’ouvrir, un jour, un centre de réhabilitation afin que les personnes non-voyantes puissent compter davantage sur elles-mêmes. Car rehausser la capacité à se déplacer seules leur procure un sentiment de satisfaction. Cette maison présente aussi des soins médicaux réguliers à raison de 2 fois par semaine. Un gériatre est chargé de les examiner et s’assurer que les doses habituelles de médicaments conviennent à leurs états de santé. Et s’il constate une détérioration, la résidente est transférée tout de suite à l’hôpital.


Trouver des loisirs adéquats pour entretenir la santé mentale des résidentes est essentiel. (Photo : Ahmad Agami)

D’anciennes chansons viennent égayer le quotidien des résidentes. Au salon, certaines semblent plongées dans leurs souvenirs. Une des femmes confectionne un collier en perles colorées et sa voisine essaye d’écrire une lettre en braille tout en tenant un papier cartonné et une plaque en plastique conçus pour l’écriture des non-voyants. « J’ai appris l’alphabet braille en 3 cours seulement ; j’espère arriver à enseigner à mes consoeurs les principes de grammaire arabe et comment rédiger des phrases grammaticalement correctes », affirme Zakiya, 68 ans. Elle a perdu la vue en 2011, durant les événements du 25 janvier à Banha. Elle était professeure d’arabe dans un collège d’enseignement secondaire à Qalioubiya. Elle se distingue par son allure. Vêtue de vêtements à la fois confortables et chics, elle porte des bijoux en or : collier, bracelet et bague. Zakiya suit également l’actualité et a un point de vue objectif sur les événements. Elle souhaite recevoir plus de visites pour éviter de sentir qu’elle a perdu ses repères avec sa vie antérieure.

« Si la cécité de naissance est une amie d’enfance, s’y accommoder quand on a perdu la vue à un âge mûr demande beaucoup d’efforts pour arriver à s’adapter à sa nouvelle vie », déclare Sayed Hamed, psychologue et recruté à la maison de retraite pour aider les résidentes qui ont des soucis psychologiques. Sur les 25 non-voyantes, 4 ont perdu la vue dans leur vieil âge. Des images sont restées gravées dans leur mémoire.

Rendre le quotidien plus agréable

La maison de retraite a mis à leur disposition un poste de télévision. Un moyen de divertissement à partager entre les résidentes ou à rafraîchir la mémoire de certaines. « Ecouter des films anciens et des chansons qui rappellent leur jeunesse est déjà une séance très appréciée par toutes les résidentes. J’essaye de faire la description physique des comédiens à mes consoeurs et je leur demande d’imaginer la fin du film. Il m’arrive parfois de raconter mes propres souvenirs quand le film était diffusé durant une des périodes du Ramadan », décrit Maha, 55 ans. Trois des résidentes n’ayant pas encore atteint l’âge de 60 ans ont demandé une autorisation d’entrée en maison de retraite au ministère de la Solidarité sociale qui est chargé d’accorder l’autorisation. « Il y a des exceptions pour celles qui n’ont pas de logement, car elles peuvent rencontrer des problèmes sérieux liés à leur cécité », explique Fatma Hanafi, assistante sociale à la maison de retraite des non-voyantes. Elle ajoute qu’en plus du grand handicap visuel, la maison de retraite prend soin non seulement de leur santé physique, mais aussi de leur santé mentale tout en évitant toute sorte de dégradation de leur état. Des activités diverses sont mises à leur disposition, comme le jeu de cartes, l’apprentissage d’un artisanat et les excursions. « Gagner la confiance d’une personne âgée non-voyante est beaucoup plus difficile qu’avec une personne âgée sans handicap », affirme Sayed Hamed. Il explique que les personnes non-voyantes utilisent les perceptions, sonores, tactiles ou olfactives. Elles ont une ouïe fine et sont très sensibles à l’intonation de la voix qui transmet de nombreuses informations et laisse transparaître des émotions. Alors, elles veulent toujours connaître à leur manière la vérité et répètent sans relâche lors de leurs discussions l’expression « Je vois ». Le travail psychologique avec une personne âgée atteinte de cécité consiste à lui porter soutien, l’aider à s’orienter et prendre soin de sa santé. Sayed Hamed leur a étalé le jeu de cartes en perçant un trou pour la carte numéro 1 et deux pour le numéro 2, et pour les cartes en images comme le roi, la reine et le valet, il a enfoncé sur chacune un nombre précis de punaises. « Il faut pallier le manque de moyens. On espère trouver d’autres alternatives et idées de passe-temps pour adultes afin de satisfaire les résidentes, dont les cultures sont différentes. Notre objectif est d’améliorer leur qualité de vie », explique Hamed.


La vie en communauté allège les souffrances, notamment le sentiment de solitude. (Photo : Ahmad Agami)

Certaines des résidentes qui ont été formées à Al-Nour wal Amal ont acquis des savoir-faire dans des métiers artisanaux et confectionnent des accessoires et des nappes. Saly, 62 ans, enfile les perles colorées à une vitesse remarquable. Elle plonge sa main dans une petite boîte pour les retirer et les enfile l’une après l’autre. Une petite demi-heure de travail et le collier multicolore est prêt. « J’essaye de remplir mon temps libre durant la journée. La matinée, je fais de l’artisanat tandis que l’après-midi, je lis le Coran en braille. Le livre sacré est imprimé en braille et 6 volumes. Je les place par ordre sur ma commode. Une fois la lecture terminée, je les remets dans le même ordre », déclare Saly. Selon elle, lire le Coran est beaucoup plus intéressant que d’écouter la radio. Elle se concentre davantage sur le sens des mots et éprouve un sentiment de sérénité en lisant le livre saint.

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