C’est à Mansoura, dans le village Temay Al-Amdide, où vit Hamd Allah Abou-Doh, 82 ans, un ardent collectionneur de livres, de magazines et de toutes sortes de publications périodiques. Il a fallu parcourir une distance de 146 km en 4 heures, en passant par d’autres villes et villages du Delta tout en traversant des champs bordés de ruisseaux et de canaux de drainage. Entre les maisons attenantes, l’endroit est immédiatement reconnaissable : des tas de livres posés de manière désordonnée sous un parasol rectangulaire, afin de les protéger du soleil ou de la pluie. Le visage toujours souriant, cheikh Hamd Allah Abou-Doh ne cesse de nous évoquer des souvenirs qui demeurent gravés dans sa mémoire. « Je suis originaire de la ville d’Assouan où vit ma famille. J’ai lu mon premier livre à l’âge de 15 ans. L’oncle de mon père m’avait offert Ehyaë Oloum Al-Dine (renaissance des sciences religieuses) d’Abou-Hamed Al-Ghazali, suite à une visite à Kom Ombou. Le fait d’avoir entre les mains un ouvrage ancien m’a beaucoup ému. Depuis, je n’ai jamais arrêté de lire, c’est excellent pour la santé mentale, en plus de la culture que l’on acquiert bien sûr », déclare Abou-Doh. La lecture était aussi, pour lui, une façon d’aider les autres. Il l’a fait avec un étudiant à la faculté d’ossoul al-dine (les origines de la religion) non-voyant, car tous les ouvrages ne sont pas transcrits en braille. « Vu les compétences de cet étudiant, Al-Azhar lui offrait, chaque année, plusieurs livres en guise de cadeau », raconte Hamd Allah. Alors, son souhait était de posséder une bibliothèque bien fournie à l’exemple de cet étudiant.
Théologie, littérature et divers magazines
A part ceux exposés en plein air, des milliers de livres sont entreposés au rez-de-chaussée de sa maison et dans une cave. Il dit en détenir 15000. « J’ai mis 50 ans pour rassembler tous ces livres. J’ai commencé à en acheter lorsqu’un livre valait 5 piastres. Le plus cher m’a coûté 30 L.E. Les amis et les fans de lecture m’ont offert le quart de ce trésor culturel que je possède », explique Abou-Doh. Ce féru de lecture a travaillé en tant qu’instituteur au cycle primaire à Al-Azhar. « Les livres m’ont beaucoup aidé à enrichir les connaissances de mes élèves avant de prendre ma retraite. Aujourd’hui, je suis l’orateur de la mosquée et je perçois une prime exceptionnelle émanant du ministère des Waqfs. Les livres continuent d’élargir mes connaissances dans les différents thèmes abordés lors de la prière du vendredi », explique-t-il.
En ce qui concerne les livres exposés à l’extérieur, Hamd Allah les a classés par catégories: les recueils de hadiths, les livres sur la linguistique, les classiques de la littérature, les romans, les magazines et les publications périodiques égyptiens et arabes. Sa formation religieuse à Al-Azhar a contribué à développer ses compétences en matière de culture théologique et religieuse. Durant sa jeunesse, il était séduit par le théâtre au point de rassembler de nombreuses oeuvres adaptées au théâtre. Il dit avoir même joué dans une pièce de théâtre intitulée Maëssat Jamila (le malaise de Jamila). « J’ai joué le rôle d’un figurant dans cette pièce, mise en scène par le grand réalisateur Abdel-Ghaffar Oda. J’ai dit quelques petites phrases, mais cela reste pour moi une expérience fantastique et inoubliable », se souvient-il. Les oeuvres littéraires de Naguib Mahfouz, Abdel-Rahman Al-Charqawi et Mohamad Ragab Al-Bayoumi font partie de l’étalage de Hamd Allah.
Service gratuit
L’âme jeune, ce vieux cheikh bouge avec agilité entre ses livres, s’attarde sur certains titres d’ouvrages tout en passant un chiffon pour essuyer la poussière, retire un bouquin pour raconter une histoire ou la manière dont il l’a obtenu et à quelle occasion. Cette collection de livres rassemblée depuis son séjour à l’étranger et ses courtes visites au Caire à Sour Al-Ezbékiyeh, Damiette et Zagazig, est devenue une référence pour lui, ses petits-fils et ses voisins. En fait, ce village lointain n’a ni club de jeunesse, ni centre culturel. Alors, cette librairie en plein air raccourcit le chemin pour les lecteurs, les chercheurs et les étudiants qui cherchent à avoir des informations dans différents domaines, que ce soit en science ou en littérature. « Il m’est arrivé plus d’une fois de prendre une dizaine de bouquins à titre gratuit pour faire des recherches et répondre aux questions des fidèles qui assistent aux prières et désirent avoir une réponse approfondie et accréditée du Livre sacré », dit cheikh Sabri, 59 ans, imam d’une mosquée au village. Il lisait, notait des passages de recherches et les imprimait pour les distribuer aux intéressés, afin de répondre à leurs interrogations. Etendre la connaissance est déjà un objectif chez Hamd Allah Abou-Doh. Pas de vente et pas de souscription d’emprunt en échange d’argent, Hamd Allah voudrait faire de la lecture une habitude et mériter la récompense divine.
Hamdine Abdel-Aziz, un jeune diplômé de 27 ans, se dit ravi de ne pas avoir besoin de se rendre au Caire pour avoir les livres nécessaires, afin de faire ses recherches universitaires en philosophie. « Avoir un voisin pareil qui encourage l’instauration de la culture est déjà une noble mission, surtout en se trouvant dans un endroit privé des différentes activités culturelles », indique Hamdine.
Un trésor à préserver
Mais actuellement, vu son âge, il ne peut plus sillonner les villes pour acheter des livres d’occasion, alors, il se contente de mettre à jour sa librairie en disposant de nouvelles publications de magazines pour enfants. « Al-Arabi Al-Saghir, Al-Farès et Nour sont des magazines pour enfants qui sont une fenêtre ouverte sur le monde, sur l’histoire, la nouvelle technologie et même la méthode de réflexion », indique Alaa, 17 ans, étudiant en deuxième secondaire.
Hamd Allah a également aidé ses petites-filles à apprendre le Coran tout en se perfectionnant en langue arabe. Une de ses petites-filles a remporté le premier prix lors d’un concours de récitation du Coran organisé par une société privée qui se trouve à la campagne. Le prix gagné était une Omra que la petite fille a offert à son père. Hamd Allah est fier de son parcours et surtout de posséder des livres qui datent de plus d’une centaine d’années.
Cependant, ses enfants et lui sont soucieux de l’état de leurs livres qui s’entassent à même le sol, exposés à l’humidité qui fait des ravages. « Nous faisons de la petite restauration pour les livres en collant les couvertures déchirées ou en les emballant pour les protéger de l’humidité », déclare son fils Mahmoud, le benjamin de la famille, âgé de 27 ans. Le père et ses enfants souhaitent que l’Etat consacre un endroit adéquat au sein de leur village pour exposer cette grande collection de livres et les sauver de la perte à cause des mauvaises conditions de stockage.
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