« Chaque enfant arrive avec ce dont il a besoin » ; « S’il te vainc avec de l’argent, tu le vaincras avec des enfants » ; « Le garçon est un soutien » … De nombreux proverbes sont associés à la procréation. Le désir d’avoir beaucoup d’enfants, surtout des garçons, s’est façonné chez les Egyptiens et a créé une culture qui, au fil du temps, s’est transformée en croyances enracinées. Avec la transition démographique et la baisse de la mortalité, l’Egypte a ainsi connu une explosion démographique qui constitue un véritable frein au développement. « En 1950, l’Egypte comptait 20 millions, en 2021 ce nombre est passé à 102 millions, sans compter les 10 millions d’Egyptiens qui se trouvent en dehors du pays. Un enfant naît toutes les 15 secondes. Il suffit d’un petit calcul pour réaliser que les chiffres sont alarmants: 5760 naissances par jour et environ 2,2 millions par an », explique Talaat Abdel-Qawi, président de l’Union des ONG et institutions et de l’association égyptienne de planification familiale.
Or, il n’est pas facile de freiner la croissance démographique dans un pays où les enfants sont considérés comme une bénédiction, voire une richesse. La société égyptienne vit encore sous le joug des coutumes et traditions héritées de la société agraire, pour qui cultiver la terre est la principale source de revenu. Sans oublier l’interprétation souvent erronée de certains concepts religieux. Avec tous ces facteurs socioculturels combinés, de nombreux Egyptiens, en particulier dans les milieux ruraux, continuent de penser qu’avoir beaucoup d’enfants est une richesse. Et qu’il faut absolument avoir un garçon. Du coup, certains couples continuent à faire des enfants jusqu’à donner naissance à un mâle. Ou tout simplement pour avoir une grande famille, synonyme de prestige et de force.
Malgré les changements de mode de vie, ces croyances sont encore fortement pratiquées. Et pourtant, comme l’indique Réfaat Abdel-Bassit, professeur de sociologie à l’Université de Hélouan, le fait est que la surpopulation constitue un vrai fardeau socioéconomique. Et on ne cesse de le répéter.
Une longue histoire de sensibilisation
Comment, dans ces conditions, convaincre du concept de planification familiale? En fait, la prise de conscience de la gravité de ce phénomène remonte à des décennies. La première fatwa autorisant l’utilisation des méthodes de contrôle des naissances a été publiée en 1938, émise par le grand mufti de l’Egypte à l’époque, Abdel-Majid Salim Al-Bishri. Le Conseil suprême de la planification familiale a été créé en 1965. Les campagnes communautaires et médiatiques appelant au contrôle des naissances n’ont pas cessé. La méthode et le style du message différaient, mais étaient tous d’accord sur l’objectif, qui est la nécessité de réduire le taux de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants par femme, dans un contexte de croissance démographique constant qui ne suit pas le rythme du développement. Aujourd’hui encore, ce taux reste de 2,8 enfants par femme (août 2022), selon la CAPMAS. Il a certes baissé (3,5 en 2014), mais il reste élevé. A tel point que certains tirent la sonnette d’alarme évoquant des scénarios à haut risque : sans changement radical, les indicateurs doubleront à nouveau d’ici 2050, menaçant les plans de développement ambitieux face aux ressources limitées de l’Etat.
D’où la nécessité d’une nouvelle approche. « C’est un problème dont nous souffrons depuis des décennies. L’Etat et les ONG doivent travailler ensemble pour optimiser les résultats des campagnes de natalité », dit Réfaat Abdel-Bassit. Selon lui, le scénario le plus optimiste visé par le gouvernement égyptien serait de réduire le taux de fécondité à 2,11 d’ici 2032, puis à 1,65 d’ici 2052. Mais les estimations publiées par l’agence américaine Bloomberg disent que dans le pire des cas, c’est-à-dire si le taux de fécondité reste à 2,1 d’ici 2052, la population égyptienne atteindra 191,3 millions, une augmentation égale aux populations combinées du Canada, de l’Arabie saoudite et du Portugal.
Un plan qui repose sur plusieurs axes
Pour éviter un tel scénario, le concept même des plans et des campagnes de limitation des naissances ont changé. De nouvelles solutions sont aujourd’hui à l’étude, voire déjà appliquées. Talaat Abdel-Qawi explique qu’il y a des plans et des programmes exécutifs décentralisés, puisque les cultures diffèrent d’un gouvernorat à un autre. Concrètement parlant, on ne peut traiter le planning familial de la même manière en milieu urbain ou rural, à Sohag ou à Alexandrie. « La question du contrôle des naissances exige fondamentalement de changer les méthodes de sensibilisation, afin d’adopter le concept de la petite famille. Et aussi faire comprendre que la richesse économique de l’enfant est son éducation et non pas en le transformant en une source de revenus. Et si la religion encourage la naissance d’enfants, elle pose également des conditions aux parents pour qu’ils soient instruits et qu’ils prennent soin de leur santé », explique Abdel-Qawi.
Pour parvenir aux objectifs voulus, les travaux porteront sur plusieurs axes. En ce qui concerne la législation, le parlement égyptien a récemment eu recours à une législation visant à réduire la valeur des subventions et des services de 50% pour le troisième enfant, tandis que pour le quatrième enfant et plus, ils sont privés de tout service gratuit ou subventionné. Une procédure qui attend toujours un vote et l’avis des institutions religieuses.
Le discours religieux doit également changer en formant des clercs musulmans et chrétiens, afin qu’ils puissent transmettre la véritable idée de l’engendrement aux citoyens. Les femmes aussi ont un rôle très important dans la réussite du plan, elles doivent donc être économiquement autonomes et une attention particulière doit être accordée à leur éducation. Les ONG, les universités et les palais de la culture, tous ces organismes sont des partenaires dans la campagne de sensibilisation. Fournir des incitations positives aux personnes qui s’apprêtent à former une petite famille fait également partie des solutions futures. Les médias doivent également jouer leur rôle comme par exemple diffuser l’idée du lien entre développement et déclin démographique. « En fait, l’Etat se prépare à lancer une nouvelle initiative de développement qui lie la planification familiale au développement, car si les femmes sont économiquement et socialement plus fortes, l’idée d’avoir beaucoup d’enfants diminuera, et elles auront recours au planning familial. Il faut aussi réduire la pauvreté avec des projets de développement, car ce sont les pauvres qui ont le plus d’enfants », achève Abdel-Qawi.
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