Spots télévisés et panneaux publicitaires, bien avant le début du mois de jeûne, les titres des feuilletons diffusés à la télé nous envahissent et attirent l’attention des Egyptiens. Dans les grandes artères, d’énormes panneaux, des formats d’affiches variés portant des couleurs frappantes, des idées de designs créatifs et annonçant les différents feuilletons qui seront diffusés. A la télé, des spots captivants pour donner envie de suivre telle ou telle série. L’enjeu est de taille, et le taux d’audience est là pour le prouver. Et les feuilletons du Ramadan sont un sujet de discussion qui s’impose. Car au sein des familles et depuis des décennies, une soirée ramadanesque, c’est un thé à la menthe, des pâtisseries orientales et toute la famille face à la télé pour regarder un ou plusieurs feuilletons.
En effet, suivre les feuilletons diffusés est l’un des rituels à respecter comme beaucoup d’autres, d’ailleurs, qui marquent le style de vie des Egyptiens durant ce mois sacré, surtout que l’Egypte est le plus grand pays producteur de feuilletons télévisés dans le monde arabe. Cette année, on en compte 36. Alors, avant l’arrivée du Ramadan, ces pubs, qui nous entourent en allant et venant d’un côté ou d’un autre, nous donnent un aperçu de ce qui va être diffusé et sur telle ou telle chaîne. Ainsi, chacun peut avoir une idée et choisir ce qu’il veut voir durant le Ramadan. Jour après jour, le choix du spectateur se précise lorsque les promos des feuilletons commencent à paraître sur les réseaux sociaux et la télé. Puis, on commence à retenir les horaires de ces feuilletons selon des calendriers publiés partout indiquant les heures de diffusion et de rediffusion, car chaque feuilleton repasse plusieurs fois par jour et sur différentes chaînes. « J’achète les journaux deux jours avant le mois du jeûne, puis je découpe la page sur laquelle sont transcrits tous les horaires », dit Salma Kamal, 44 ans, professeur.
Après l’iftar, l’heure du zapping
Dès que la voix du muezzin se fait entendre annonçant l’heure de la prière du Maghreb, qui est l’heure de la rupture du jeûne, toutes les télés ouvertes sur les versets coraniques et les programmes culinaires cèdent la place aux feuilletons jusqu’à l’aube, l’heure d’entamer à nouveau le jeûne. La télécommande passe d’une main à l’autre, les doigts appuient avec hystérie sur ses boutons pour passer d’une chaîne à l’autre, afin de trouver le feuilleton que l’on cherche.
« On ne sort que rarement après l’iftar, on aime regarder les feuilletons, faire la prière et manger de la konafa et des qatayefs (les gâteaux orientaux les plus appréciés du mois du Ramadan). C’est un divertissement satisfaisant qui ne nous donne pas envie de sortir. Nous aimons vivre ce mode de vie au Ramadan. C’est différent », disent Khaled et sa femme. La romance, l’action, la politique, la religion et différents aspects reflètent ce que la société traverse, tout existe. Une variété de feuilletons qui plaît à tout le monde et c’est au téléspectateur de passer d’une chaîne à l’autre en appuyant sur un bouton pour changer de chaîne. Tout le monde est réuni autour du téléviseur, c’est évident, mais cela va au-delà de la simplicité, car le fait de profiter d’une oeuvre artistique a d’autres dimensions. « N’importe quel feuilleton dans lequel Yousra joue, je dois le suivre », dit l’une des fans de la grande actrice. Ainsi pensent un grand nombre de téléspectateurs. Les tenues vestimentaires, les âges des artistes et les chirurgies esthétiques subies, leurs salaires, leurs mariages et leurs divorces sont tous des sujets de controverses lors des discussions privées, sur les médias sociaux et sur les pages des journaux. 30 jours durant lesquels tous les Egyptiens deviennent les meilleurs experts critiques et analystes.
Avalanche de feuilletons … et de pubs !
En fait, toutes les oeuvres qui ont réalisé un grand succès ont été diffusées durant le Ramadan. Et quand un feuilleton réussit, il reste ancré dans l’esprit des Egyptiens et marque plusieurs générations. Les événements, la musique et les chansons ont tous un impact sur le téléspectateur et se reproduisent dans de nombreuses situations, car ils restent très présents à l’esprit. Certains sont nostalgiques des anciens feuilletons, telle Dina, qui préfère revoir certaines séries télévisées qu’elle aime sur une chaîne qui diffuse tous les classiques.
Et étant donné que ce mois-ci marque les taux d’audience les plus élevés, le Ramadan est considéré comme la poule aux oeufs d’or pour les compagnies des publicités qui se livrent une concurrence acharnée pour diffuser leurs publicités aux heures de grande audience, qui sont celles de la diffusion des feuilletons après l’iftar. En raison des nombreuses publicités, un épisode est interrompu par des publicités et à plusieurs reprises. La durée réelle de ces messages publicitaires passe d’une demi-heure au moins à plus d’une heure et demie, et ils interviennent au moment où les gens sont concentrés sur l’histoire ou sur un événement qui crée du suspense.
« C’est la saison que nous attendons toute l’année et c’est ce à quoi nous nous préparons plusieurs mois à l’avance, et même bien avant le début du Ramadan, car nous sommes sûrs que nos publicités seront regardées au moment où tout le monde suit les feuilletons. Il y a quelques années, et pour ne pas fermer boutique et quitter le domaine de la publicité, nous avons fait appel à des superstars et des chanteurs qui sont aimés par le public pour devenir les héros de nos publicités. Nous essayons également de présenter la publicité sous forme d’une histoire qui accroche, pour que le téléspectateur ne quitte pas son fauteuil lors de sa diffusion », explique Ramy Sobhi, expert en marketing et propriétaire d’une compagnie de publicité. L’idée intelligente utilisée par les producteurs de publicité fait bon écho, parmi les téléspectateurs qui, avant, ne supportaient pas le fait d’interrompre leur concentration. Pour certains, les publicités de ce mois, qui, en général ne manquent pas de créativité, sont elles aussi sujets de discussion. Mais d’autres profitent de ce temps pour faire autre chose. Donner des coups de fil, mettre de l’ordre dans la maison, faire la prière, préparer une tasse de thé, etc. « J’attends le moment des publicités pour faire la vaisselle et nettoyer la salle à manger. Ainsi, je répartis les tâches tout en me reposant quelques minutes à chaque fois que le feuilleton revient à l’écran », dit Dalia.
Le petit écran a toujours la cote
Ce que cette femme dit apprécier le plus, ce ne sont pas seulement les feuilletons diffusés, car même si elle en rate un, elle pourra le voir le lendemain lors de la rediffusion ou même sur son téléphone grâce à de nombreuses applications qui les émettent avec moins de publicités. Mais ce qu’elle apprécie le plus c’est le fait de regarder la télé avec sa famille après l’iftar. D’autres, en revanche, préfèrent les suivre plus tard, comme Nagwa, qui dit préférer se consacrer aux rites religieux et les regarder plus tard sur l’une des applications sur Smartphones.
Mais malgré les nouvelles technologies, les applications Smartphones et les plateformes, la télé a toujours la cote. Selon le sociologue Karim Amer, la télé gagne en popularité durant le mois du Ramadan, car même ceux qui ne la regardent pas toute l’année s’assoient devant l’écran pour suivre les feuilletons, les programmes comiques ou religieux. « Les gens passent leur temps à courir à gauche et à droite tous les autres mois de l’année et se retrouvent rarement pour manger, discuter ou faire la même chose ensemble, et en même temps durant le Ramadan », dit-il. Selon lui, si certains estiment que les thèmes abordés sont parfois sujets à polémique et risquent d’avoir un effet néfaste, les feuilletons du Ramadan ont au moins l’avantage de rassembler les membres d’une même famille, leur permettant de passer du temps ensemble, de discuter et de partager leurs avis sur ce qu’ils ont vu.
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