La nouvelle vie des enfants d’Al-AsmaraFatma est inscrite à un atelier de cuisine pour découvrir de nouvelles recettes et passer un moment convivial autour d’une bonne table avec ses amies du même âge. Dina participe à l’atelier de fabrication de marionnettes avec l’éducatrice de théâtre. Et Adliya, l’enseignante, anime un atelier collaboratif et ludique. D’autres adolescents aiment s’entraîner dans l’atelier de yoga ou de zumba. D’autres préfèrent l’atelier de peinture pour apprendre à faire des motifs de dessin sur de la porcelaine, et ce, dans une ambiance décontractée. Un club d’été offre plusieurs ateliers de théâtre aux enfants de moins de 18 ans. Et l’atelier d’écriture et de narration ouvre ses portes à midi. Quelques enfants fréquentent celui des nouvelles technologies pour mieux comprendre le monde numérique et développer leur esprit.
Qu’ils soient créatifs, dotés de talent artistique, passionnés de nouvelles technologies ou de sciences, les gamins âgés de 6 à 18 ans font leur choix parmi les différents ateliers proposés tous les jours de 9h à 17h, à Al-Asmarat au quartier de Moqattam au Caire. Au rez-de-chaussée de l’immeuble 230 se trouvent deux appartements dont la superficie est d’environ 60 m² chacun. Ce sont les ateliers du projet Al-Asmarat visités par les enfants du quartier.
Au sein d’un atelier, le cours de zumba va bientôt commencer. C’est le silence complet quand l’entraîneuse entre dans la salle. Elle commence par expliquer aux enfants que la zumba est une danse constituée de mouvements associés à l’aérobic avec un rythme de musique latine. Puis, sur des rythmes latinos, les enfants voyagent dans un univers qui mélange jazz, danse du ventre et swing. Très vite, le concept prend de l’ampleur et contamine le quartier! Aujourd’hui, les enfants sont au nombre de 20. Une heure plus tard, un autre groupe fait irruption dans la salle et se dirige vers le vestiaire pour se changer. Les filles, cheveux noués en chignon, enfilent des justaucorps, certaines des robes de princesses ou des jupes courtes avec des pantalons stretch en dessous. Les garçons portent tout simplement des t-shirts sans manches et des shorts ou pantacourts classiques. Les tenues sont dissemblables, mais l’objectif est le même: apprendre la danse classique. Ils commencent, tous, à adorer cela. « On ne rate aucune séance », lancent en choeur les filles et les garçons. « Tenez la barre d’une seule main. Toujours à droite d’abord, la jambe gauche doit être plus proche de la barre. Faites un demi-tour à gauche, c’est ce qu’on appelle un détourné. Répétez cet exercice deux fois à droite et deux fois à gauche », lance avec rigueur Fawziya, la professeure de danse classique. Les jeunes de 6 et 7 ans sont guidés par cette danseuse expérimentée qui a dû lutter tout comme ses élèves pour s’imposer au sein d’une société conservatrice. A présent, c’est l’expression corporelle. Les filles enchaînent avec des mouvements de base et les garçons tentent de faire un pas de bourrée.
La vie avant et après
Créée au cours de l’année 2020 par l’ONG Masr Al-Guédida, cette initiative unique en son genre a bouleversé les us et coutumes des familles et de leurs enfants venus des bidonvilles (Ezbet Al-Zabbaline, Morabbae Maspero, Estable Antar, Ezbet Bekhit, Doweiqa, etc.) pour habiter le nouveau district Al-Asmarat à la fin de 2015. L’objectif de cette initiative est de permettre à cette nouvelle génération de s’adapter au mode de vie moderne. Il s’agit aussi de renforcer leur sentiment d’appartenance au pays et lutter contre l’analphabétisme. De tels ateliers peuvent avoir un grand impact sur eux: estime de soi, confiance en soi et liberté de choisir son avenir. « N’importe quel atelier n’est qu’un outil qui peut donner de l’espoir. Si tu as suffisamment confiance en toi, tu peux aller où tu veux, devenir qui tu veux. Personne ne pourra te dicter qui tu dois être. C’est à toi de décider. C’est ce que nous enseignons », explique Dr Nabil Helmy, président du Conseil d’administration de l’antenne de l’ONG Masr Al-Guédida, située à Al-Asmarat.
Les enfants font la comparaison entre leur vie d’avant et celle à Al-Asmarat. « Dans les bidonvilles, nous n’avions aucune activité et la vie était très dure. Personne ne se souciait de nous, pas même de notre éducation. Nous n’avons jamais pratiqué de sport et nous n’avons jamais mis les pieds dans un club sportif. Ici, nous avons la possibilité de suivre des cours d’alphabétisation, d’assister à des ateliers, d’apprendre à danser la zumba et faire du yoga, deux activités dont on n’entendait pas parler », racontent les uns et les autres.
L’objectif est de fournir à ces enfants une vie sans danger, un logement sûr et des soins de santé de haute qualité, après avoir quitté les bidonvilles. En coopération avec le ministère de la Production militaire et celui de la Jeunesse et du Sport, le fonds Tahya Misr a construit la Cité de la jeunesse à Al-Asmarat. Elle dispose d’une salle de gym, d’un terrain de football, d’un court de tennis, d’une piscine ordinaire et une autre olympique.
Sortir de la marginalisation
Les enfants âgés entre 6 et 18 ans font leur choix parmi les différentes activités.
Dans ce projet, 7800 familles dont 50% des enfants ont la possibilité de participer à plusieurs activités artistiques, culturelles, sociales et sportives. « L’Etat s’est chargé de trouver les endroits idéaux pour installer les infrastructures et équipements nécessaires, ce qui nous a donné l’opportunité de programmer et organiser les différents cours rapidement », dit Rabab Ramadan. Selon Moustapha Bayoumi, responsable du projet à Al-Asmarat, les ateliers accueillent habituellement 150 enfants par jour, mais durant la pandémie, ce nombre a nettement diminué (30 par jour).
Le fait de décider d’installer les anciens habitants des bidonvilles dans une nouvelle cité donne énormément de chance à ces citoyens qui vivaient autrefois dans la pauvreté et la misère. Ces nouvelles agglomérations impliquent essentiellement l’amélioration de l’environnement physique, comme par exemple l’approvisionnement en eau, l’hygiène publique, la collecte des déchets, l’alimentation en électricité, les systèmes d’égouts, l’éclairage urbain, etc. Tout en y incluant des stratégies supplémentaires visant à augmenter le revenu de chacun pour éliminer la pauvreté et donner accès à l’éducation et aux soins de santé.
Aussi, dans le but d’initier les enfants à la lecture et l’écriture, des cours d’alphabétisation hebdomadaires sont organisés pour les enfants illettrés âgés de 6 à 12 ans. Ces séances rencontrent un succès auprès de ces chérubins assoiffés de savoir et de connaissances. Une nouvelle journée de classe va commencer. Des enfants, très souriants et pleins d’énergie, arrivent des immeubles avoisinants. Ils n’ont pas l’allure des élèves qu’on a l’habitude de voir. Ils ne sont pas vêtus en uniforme et ne transportent pas de cartables. Tout est singulier dans cette classe pas comme les autres. A 9h30 pile, tous les élèves sont présents. Chaque jour, le thème diffère. « Les sujets tournent parfois autour d’une leçon faisant partie du programme enseigné dans les écoles primaires ou parfois de thèmes d’ordre général comme la vie sociale ou la religion », explique Soad, institutrice de la classe. Cette classe est destinée à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de s’inscrire à temps dans une école primaire ou ceux qui n’ont pas été inscrits à l’école par leurs parents, faute de moyens ou par ignorance. Ici, l’âge des élèves ne pose aucun problème, et selon Soad, c’est le niveau qui fait la différence. La présence de ces élèves dans la classe d’alphabétisation à Al-Asmarat a permis non seulement d’améliorer leur niveau scolaire, mais aussi de développer leur personnalité. « A présent, ils accordent plus d’intérêt à leur tenue vestimentaire et leur hygiène. Et leur manière de parler a même changé », confie Maha, une autre enseignante.
Inviter les parents pour les rassurer
Ce genre d’atelier encourage les enfants et les ados à se réunir.
Et c’est un des défis que les directeurs de l’ONG ont dû braver dès le lancement du projet. Ils ont déployé de grands efforts afin de changer les habitudes de ces personnes et de leurs enfants qui viennent des bidonvilles. Au départ, il était hors de question pour les parents d’accepter que leurs enfants fréquentent une classe de zumba, de yoga, un atelier de peinture, de dessin et d’autres encore. Des familles conservatrices dont les moeurs et traditions sont bien ancrées dans les esprits. « C’est un scandale, un péché, plus grave que celui de l’ivresse. Vous êtes complètement fou de vouloir lancer un projet pareil pour des gens qui ont habité des bidonvilles. Quelle femme va sortir de chez elle pour accompagner sa fille à un cours de danse? Quel papa va accepter que sa fille fasse du ballet ou du yoga et porte des tenues aussi courtes ? », lançaient les parents en se moquant de ceux qui projetaient de le faire.
Et pour dépasser ce genre de problèmes, les professeurs et les animateurs ont accepté la présence des parents lors des diverses activités de leurs enfants. Les tout petits jouent autour de leurs mamans qui papotent, assises sur les bancs, tandis que leurs enfants peignent ou dansent. Les séances se déroulent à un endroit stratégique au coeur de la cité, en face ou à proximité du terrain de foot. « Tout se passe sous le regard des parents, et les enfants peuvent les rejoindre après leur entraînement », explique Aleya, animatrice, tout en aidant l’équipe.
Cette initiative a bouleversé les us et coutumes des familles.
A l’atelier de cuisine, l’ambiance est aussi bon enfant. « Notre récompense est de pouvoir transmettre aux enfants le plaisir du goût et le fait d’apprendre à cuisiner. C’est pourquoi nous avons mis en place, dès l’ouverture de notre atelier culinaire, des cours pour les enfants, afin qu’ils puissent apprendre à concocter de bons plats en utilisant des ingrédients de qualité et de saison », explique Rabab Ramadan, responsable de cet atelier. Dans une ambiance conviviale et bon enfant où le plaisir et le rire rythment les journées, l’atelier cuisine permet aux chérubins de réaliser une, deux ou trois recettes très simples en suivant les conseils des chefs. L’appétit vient en mangeant mais le goût est essentiel. Grâce à l’atelier culinaire, la découverte de nouveaux produits a tendance à aiguiser la curiosité des enfants. Faire la cuisine devient alors un jeu au cours duquel ils ont la possibilité de goûter une palette d’aliments différents. Les apprentis cuisiniers goûtent volontiers au plat qu’ils ont préparé. Les appréhensions et les rejets tombent plus facilement dès qu’ils s’approprient les produits et les manipulent pour pouvoir les déguster ensuite. « A la fin du cours, c’est la satisfaction générale. En une heure et demie, nous avons réalisé une recette que nous emporterons chez nous pour la déguster en famille ou avec nos copains. Et, nous en sommes très fiers », lance Ahmad, 16 ans.
Autant d’activités qui nécessitent l’engagement, l’apprentissage de l’autonomie, le lien avec autrui et la solidarité. Et c’est justement ce que les enfants venant des différents bidonvilles ont besoin d’apprendre .
Lien court: