« Les forces de combat contre le froid », « Protégez les sans-abri contre le froid de l’hiver », « L’église de Qasr Al-Dobara combat le froid », « Satr we ghata » (couverture et protection), « Massar Egbari contre le froid » sont quelques exemples parmi les innombrables campagnes qui incitent les gens, dans la rue ou sur les réseaux sociaux, à tendre la main aux personnes dans le besoin en leur présentant une couverture, un repas chaud ou un vêtement épais pour les sauver du froid glacial.
Selon le Centre égyptien pour le droit au logement, il y a environ 3 millions de sans-abri en Egypte.
L’Egypte vit un hiver pas comme les autres, enregistrant d’importantes baisses de température. Le froid pouvait atteindre moins de 2 degrés pendant certaines nuits. Chose difficile pour les Egyptiens, dont les maisons sont dépourvues de chauffage. Mais avoir un domicile pour se protéger du froid est déjà un privilège par rapport aux sans-abri.
Ahmad, Islam et Amr ressemblent à des soldats chargés d’une mission militaire. Ce sont des bénévoles auprès de l’association Ressala pour distribuer couvertures, repas chauds et vêtements lourds (pull-overs, vestes ou foulards en laine) aux sans-abri. Cette campagne est intitulée Les Forces de combat contre le froid. « On passe d’abord des journées entières à trier les vêtements d’hiver, car les donations qui arrivent à l’association sont un mélange de vêtements de toutes les saisons », précise Islam, étudiant à la faculté de droit. Il jette un coup d’oeil et vérifie qu’il a tout le nécessaire dans le bus avant de se déplacer de la rue Fayçal pour arriver sur la place de Guiza. Il donne quelques conseils à son équipe qui doit distribuer les couvertures. « Il faut vous assurer que la personne à qui vous accordez de l’aide est vraiment dans le besoin. Il ne s’agit pas de donner des couvertures à n’importe qui dans la rue », lance-t-il. Chérif, le chauffeur, roule lentement, car il peut s’arrêter à tout moment. « Souvent, on descend découvrir à pied les endroits des sans-abri. On détermine leurs besoins pour pouvoir leur ramener ce qu’il faut lors d’une seconde visite. Mais il arrive souvent qu’ils changent de place ou même de quartier sans prévenir », explique Youssef, bénévole à Ressala.
Selon les statistiques effectuées en 2014 par le Centre égyptien pour le droit au logement, il existe en Egypte quelque 3 millions de sans-abri. Le blog de l’Initiative égyptienne pour le droit au logement précise, quant à lui, que durant les dix dernières années, plus de 28 000 familles ont perdu leur domicile à cause des effondrements d’immeubles. « J’avais un appartement dans les années 1990. Puis, j’ai travaillé dans un café où je passais la nuit. Mais cela fait 6 ans maintenant que je vis sur ce trottoir. Je me sens en paix loin des tracas. Mais cet hiver n’est pas comme les autres. C’est grâce aux aides des passants que j’arrive à survivre », dit Am Mahdi, qui n’a ni boulot, ni domicile. Son visage a rayonné de joie lorsque l’association lui a servi un repas chaud. La générosité des campagnes contre le froid semble la seule issue pour ces personnes. Am Mahdi a deux couvertures, et son coussin de pierre est remplacé par une couverture toute neuve encore enveloppée dans un sac en plastique.
« Je ne sais comment vous remercier »
A quelques pas de lui, Am Hamza a l’air satisfait. Il y a 40 ans qu’il vit dans la rue. Etouffé par les larmes, il répond par des signes approbateurs de la tête sans dire un mot. Et lorsqu’on lui demande comment il fait durant les nuits de grand froid et comment il échappe aux pluies et aux vents, Am Hamza répond tout simplement par un Dieu merci. Ali, un autre sans-abri de Madinet Nasr, entretient un petit feu de camp avec des tiges cassées. « Ce feu a plusieurs fonctions. Il me tient au chaud. Il sert à chauffer de l’eau pour préparer un verre de thé, et il effraie les animaux », dit-il. Pour les bénévoles, il signale surtout l’existence d’un être humain sans-abri.
En effet, cette campagne de distribution de couvertures se prolongera jusqu’à la fin du mois de février. « Jusqu’à présent, nous avons distribué plus de 8 000 couvertures, 50 000 repas et 750 000 vêtements dans toute l’Egypte », précise Chérine Abou-Zeid, responsable des relations publiques à Ressala.
Autre scène, autre image. Après le service du vendredi, les fidèles de l’église Qasr Al-Dobara se pressent pour faire l’aumône qui s’avère d’une grande importance. Aujourd’hui, une équipe a déterminé 12 quartiers et demande aux fidèles venus en voiture de prendre les couvertures et de les distribuer aux pauvres. Cette fois, le père Wahib s’occupe de l’orientation des bénévoles. Il demande à certains de se diriger vers Qasr Al-Aïni et à d’autres de se rendre plutôt à Sayida Aïcha, deux quartiers surpeuplés et où les sans-abri peuvent dormir sans crainte. « C’est un devoir de tendre la main aux sans-abri dans ces conditions difficiles. Nous sommes bien au chaud, alors que eux, ils sont constamment exposés au froid », lance Sylvie, enseignante. Elle prend place dans la voiture avec Samer, pharmacien, en direction de Ezbet Al-Haggana, bidonville situé à l’est du Caire. Tout le monde se dépêche et range les couvertures dans les voitures particulières. « Enfin, une couverture, on dirait que le froid a percé mes os ... je ne sais comment vous remercier », leur lance une jeune femme assise sur un carton et tenant sa fille dans ses bras. Lorraine, pharmacienne, a fini la distribution de 20 couvertures en moins d’une heure. « Il y a toujours des sans-abri dans le besoin et les couvertures s’épuisent vite. Chaque vendredi, je renouvelle l’appel. Je demande à chaque fidèle de prendre une vingtaine de couvertures pour les distribuer aux sans-abri dans tel ou tel quartier », souligne le prêtre.
Des villages retirés dont on parle peu
« Si on ne trouve pas le confort dans la rue, où va-t-on le trouver ? », dit Hassan, tout en souriant avec ironie. « En hiver, il faut choisir une rue où les courants d’air sont faibles, et en été, une rue bien ombragée pour se protéger du soleil », dit-il. Mais ces quelques précautions n’empêchent pas la sécheresse de leur peau et la crasse qui s’y accumule.
« Nous avons commencé notre campagne en distribuant 130 000 couvertures dans tous les gouvernorats. Puis, le nombre a augmenté à 300 000. Il s’agit d’une coopération entre plusieurs ONG afin de préciser les endroits des sans-abri dans les différents gouvernorats pour qu’un maximum de gens profitent des dons de l’hiver », confie Magdi Sélim, responsable à l’association Misr Al-Kheir.
En effet, ce n’est pas la première fois que les associations humanitaires en Egypte se penchent sur les besoins des sans-abri, notamment pour les aider à faire face au froid. « En 1953, des pluies torrentielles ont frappé la Haute-Egypte et un grand nombre de logements se sont effondrés. Une grande campagne avait alors été lancée par des acteurs et des célébrités, dont le but est de rassembler des dons pour ces sinistrés », se souvient Salah Issa, journaliste. Il ajoute que l’Egypte a toujours connu les campagnes de soutien aux marginalisés. « Zeinab Al-Wakil, épouse de l’ancien premier ministre Moustapha Al-Nahhas, a lancé au début du XXe siècle une campagne de collecte de dons baptisée Soutien aux nus pieds. A l’époque, elle avait réussi à mobiliser la classe aristocrate à verser des sommes exorbitantes en faveur des plus déshérités », rappelle Issa.
Les bénévoles de Ressala font une enquête sur les sans-abri avant de faire la donation d'hiver.
Aujourd’hui, nombreuses sont les associations qui font de l’humanitaire. Outre les institutions religieuses et les ONG, certains médias lancent leurs propres campagnes, et beaucoup de jeunes organisent des initiatives sur les réseaux sociaux. A la télévision, des publicités sont passées en boucle pour inciter les citoyens à faire des donations. La campagne du jeune prédicateur Moustapha Hosni, Satr we ghata, a réussi à collecter des milliers de couvertures. Le présentateur Amr Adib vient de lancer la campagne Un million de couvertures.
Pour sa part, l’association Moustapha Mahmoud a choisi d’apporter ses aides aux villages des zones retirées dont on parle peu. Celle-ci va envoyer un convoi à destination de la Nouvelle-Vallée dans le sud-ouest, pour distribuer 1 000 couvertures, et un autre à l’oasis de Siwa. « Outre le manque d’infrastructures et de services dans ces villages, beaucoup de logements y ont été touchés par les catastrophes naturelles. Beaucoup de personnes vivent à ciel ouvert », explique Hani Abdel-Razeq, porte-parole de l’association. « Dans ces villages lointains, les habitants vivent dans des conditions précaires. Souvent, les vents détruisent les fenêtres de leurs habitations fragiles », ajoute-t-il.
A Alexandrie, l’association Haqqaq ahlamhom (réalise leurs rêves) a mis sur Facebook des contacts pour ramener les couvertures à des bénévoles qui, à leur tour, vont les distribuer aux sans-abri. La campagne couvre de nombreux quartiers, comme Mahattet Al-Raml, Al-Mandara, Al-Saa ou Moharram Bey.
Un autre mouvement « Bard al-zanazine » (le froid des cellules) s’intéresse plutôt aux prisonniers. Elle offre des sous-vêtements à manches longues, des pull-overs bleu marine, des chaussettes blanches et une couverture, à chaque prisonnier. Exception faite à ceux inculpés dans des procès criminels. « Nous achetons les couvertures dans les quartiers comme Attaba, où les prix sont modérés », confie Abdel-Rahman, bénévole, qui fait le lien entre les donateurs et les familles des prisonniers. « Les prisons en Egypte se trouvent souvent dans des régions désertiques où le froid est fortement ressenti », note-t-il, précisant que le montant des dons a atteint 12 000 L.E.
Autant d’initiatives destinées à alléger les souffrances des pauvres sans prétendre mettre fin à leur misère .
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