«
Ce geste est un cri qui sort directement du coeur et je ne regrette absolument rien », lance Nour Imam, 22 ans, en se rappelant le bruit sec provoqué par la tondeuse lorsqu’elle a rasé ses cheveux. Des cheveux dont elle prenait soin et qu’elle a laissé pousser durant une vingtaine d’années. Et d’ajouter : «
On se sent traquées de toutes parts. La femme est réduite à un objet de désir, c’est trop humiliant ».
Lassée des agressions verbales quotidiennes qu’elle subissait dans la rue, cette étudiante au GUC (l’Université allemande au Caire) a décidé de se raser le crâne en signe de protestation, supprimant ainsi l’aspect de féminité le plus apparent de sa personne. Une réaction spontanée, sans calcul, pour dire stop à de tels agissements. Le message étant, non pas de ne plus la regarder, mais de la regarder autrement et de la respecter. En fait, l’idée de se faire la boule à zéro germait en elle depuis bien longtemps, mais elle avait peur de franchir ce pas, jusqu’au jour où elle a décidé d’en faire son projet de fin d’études. Un film documentaire sur une femme sans cheveux, sans son diadème.
Elle s’est alors enfermée dans la salle de bains et s’est rasé la tête. Encore émue, elle revient sur son geste. « En voyant mes cheveux tomber, j’ai eu les larmes aux yeux. Je me demandais ce qu’on allait penser de moi et si cela valait la peine de le faire. Ma mère, derrière la porte, me suppliait d’être au-dessus de tout ça, mais j’avais pris ma décision », dit Nour, tout en ajoutant qu’une fois sortie dans la rue avec son crâne rasé, elle a constaté que tous les regards étaient braqués sur elle. Peu à peu, elle s’est habituée à son look et a commencé à trouver que parmi toutes les coiffures, celle-ci lui allait le mieux. En se promenant dans la rue avec sa caméra, elle observait les regards des gens, attendait leur réaction: « Car dans une société comme la nôtre, une femme sans cheveux attire toujours autant les regards que les mauvaises langues ».
De nombreuses personnes connues ou inconnues, qui l’ont croisée dans la rue, n’ont pas hésité à lui lancer un petit sourire de compassion pensant qu’elle souffrait d’un cancer. « J’ai eu droit à des regards désapprobateurs ou inquisiteurs, mais cela ne me dérangeait pas, car je me sentais bien dans ma peau », souligne Nour.
Le regard espiègle et un peu provocateur, Nour constate que, depuis, on ne l’importune plus. Elle peut se promener librement dans la rue et sans aucune crainte. Ce qui l’a poussée à lancer une initiative sur sa page intitulée « Shaved » (rasé). Un geste symbolique pour dire stop au harcèlement et qui permet de mettre en lumière une réalité pénible qui touche toutes les femmes. Aujourd’hui, Nour est plus déterminée que jamais. Elle mène un combat et appelle toutes les femmes à vivre cette expérience au moins une fois dans leur vie. Cette initiative est maintenant ouverte à toutes les femmes qui ressentent ce besoin de retrouver leur féminité au plus profond de leur être et bien au-delà des cheveux.
Ma tête me plaît ainsi
Mais, Nour Imam n’est pas la seule à s’être privée d’une partie importante de sa féminité pour ne plus subir le harcèlement. Mennatallah Al-Husseini a, elle aussi, eu recours à ce symbole fort, pour ne plus avoir l’allure d’une « femme ». Se révoltant contre les préjugés et la dualité de la société, cette étudiante de la faculté de droit a non seulement opté pour la boule à zéro, mais elle s’est également fait tatouer la phrase « Mon aspect me plaît ainsi » sur le cou et a choisi de travailler comme aide-cafetier. « J’essaie de participer au changement, non pas avec mon apparence mais avec mon esprit. Je n’attends pas que les gens me disent que je suis jolie avec mes cheveux longs. C’est à moi d’évaluer les critères de la beauté et de choisir la manière de me montrer », explique Menna, tout en affirmant qu’elle continue pourtant d’être importunée dans la rue par des hommes grossiers. Il lui arrive même de recevoir des coups sur la nuque. Menna ne semble cependant pas regretter ce qu’elle a fait. « La liberté de la femme est bien plus importante que les cheveux », dit-elle. Avec sa boule à zéro, Menna paraît encore belle ! Pour elle, ce n’est pas parce qu’on a le crâne rasé qu’on a perdu de sa grâce et de sa féminité. Au-delà de tout artifice et de tout autre paramètre, la beauté n’est pas juste une question de coiffure ou de look vestimentaire, la beauté transpire de l’essence et de la personnalité de la femme.
« Mon aspect me plaît ainsi », affirme le tatouage sur le cou de Mennatallah Al-Husseini, qui a choisi de défier la société.
Du coup, les femmes égyptiennes usent de tous les moyens pour réclamer la liberté et obtenir leurs droits. Il est à rappeler que plusieurs militantes, à l’exemple de Fatma Al-Chérif et Hanan Al-Khouli, ont participé à une manifestation à la place Tahrir, le 25 décembre 2012, avec le crâne rasé, en signe de protestation contre le harcèlement subi au cours du référendum sur la Constitution. « Nous avons fait cela, non pas pour ressembler à des hommes ou aller à l’encontre des valeurs et des normes sociales, mais pour dire que la liberté a un prix, et nous apportons notre modeste participation pour faire valoir nos droits et dire aux gens : Nous existons », a expliqué Al-Chérif.
En effet, les raisons qui motivent les femmes à porter la boule à zéro sont diverses: raisons médicales, manifestation de colère ou tout simplement pour le look. Mais la tête nue, au-delà des différentes raisons précitées, a une dimension différente selon certaines nationalités. Pour les femmes juives par exemple, c’est un synonyme d’humiliation. Ces femmes ont subi cet affront au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Par contre, en Inde, c’est un signe d’humilité, une des caractéristiques de la religion bouddhiste. Cela peut aussi être pour des raisons géographiques. Dans certains pays d’Afrique, il n’est pas rare de voir des femmes avec la boule à zéro, à cause du climat, souvent très chaud. Dans les années 1970, la population skinhead se différenciait par cette particularité. Plus tard, l’absence de cheveux s’est démocratisée, passant de la stigmatisation au côté « hype » de ce choix! L’extravagance peut amener certaines stars à cette extrême, on pense à Demy Moore, Britney Spears et Rihana, qui a choisi de raser les deux parties de la tête en partant des tempes, il en va de même pour la chanteuse française Lââm qui a décidé de changer son apparence pour la sortie de son nouvel album « Au coeur des hommes ». Elle révèle ainsi une facette totalement différente de sa personnalité. Et récemment l’actrice égyptienne Elham Chahine qui s’est fait la boule à zéro pour son rôle d’une femme atteinte d’un cancer dans son nouveau film Rigata.
En fait, le fait de se raser les cheveux n’est pas un acte anodin, il fait suite à une étape personnelle. C’est en effet une métamorphose irrémédiable qui est forcément la suite d’un événement personnel marquant. En fait, c’est souvent lors des mouvements de rébellion que les femmes s’attaquent à ce qu’elles ont, à savoir leur féminité. Et c’est ce que tentent de faire aujourd’hui certaines Egyptiennes. C’est une manière de montrer leur mécontentement à la société, au monde entier. Cet aspect est d’autant plus prouvé que le geste a été réitéré.
Dans la plupart des cas, il faut noter que ce look leur va très bien, et c’est ce qu’a fait Aya Abdel-Réhim surnommée Dora, qui s’est fait la boule à zéro lors de la célébration de la soirée du henné, quelques jours avant son mariage. Chose étrange, son futur mari Emad Green, artiste en arts plastiques, a fait de même. Le but de ce couple est de dire aux gens: « Restez naturels ! votre beauté c’est ce qui émane de vous. Parce que dans une société où l’apparence a pris le dessus sur le sens sacré de la vie, l’action d’oser se raser la tête est l’opportunité d’une grande initiation avec soi-même pour se libérer du poids de l’apparence que représentent les cheveuxet retrouver ainsi petit à petit la liberté d’être soi-même avant tout... avec et sans cheveux... », confie Dora avec un joli sourire et heureuse d’avoir la même coupe que son mari le jour de son mariage.
Défi têtes rasées
Toutefois, c’est une merveilleuse action de soutien et de dévouement aux malades qui souffrent du cancer. Ahmed Al-Sawi, journaliste et directeur de rédaction de l’hebdomadaire Al-Shorouk, s’est rasé le crâne avec sept amis pour faire plaisir à leur ami malade et le soutenir dans son combat contre le cancer. L’élan collectif est touchant. « Il était hors de question de le laisser seul. La perte des cheveux a renforcé la fragilité physique et psychologique ressentie chez notre ami et l’a isolé du reste du monde. Il était en position de faiblesse et disait que la mort était possible », souligne Al-Sawi, tout en attirant l’attention sur les lourdes conséquences de la chimiothérapie et du mal-être des patients qui la subissent. Raison pour laquelle une campagne intitulée « Ihlaeha ziro » (faites la boule à zéro) a été lancée récemment par un groupe de jeunes afin de soutenir les enfants cancéreux. « Nous avons fait ça par solidarité et pour faire sentir à ces enfants qu’ils ne sont pas différents des autres. Si nous avons le choix de nous raser le crâne, il faut surtout penser à ceux qui n’ont pas ce choix. A ceux qui perdent tout, leurs cheveux, leurs cils, leurs sourcils et qui doivent lutter contre la maladie », conclut Marwa Abdel-Maqsoud, coordinatrice de la campagne.
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