«Pendant dix-sept ans, il m’a détruite », témoigne une jeune femme de 29 ans, victime de violence conjugale. Mariée de force à l’âge de 12 ans, à un homme qui avait déjà une épouse, elle a été séquestrée et torturée. Son mari lui a demandé de se prostituer pour rembourser les frais du mariage. Dans sa belle-famille, elle a connu l’enfer. Elle a été enfermée, enchaînée dans les toilettes, privée de nourriture, battue, électrocutée et on lui a même arraché les ongles, mais elle a résisté. Son calvaire a duré des années. Dans une pièce aux murs blancs, elle prend place fébrilement au coin d’un canapé. Son visage crispé traduit une certaine appréhension. Pas facile de parler de ses tourments, de ce tunnel sombre d’où elle a réussi à sortir.
Depuis l’été, elle vit dans un centre d’accueil pour femmes battues. Markaz Hémayet Al-Maräa (centre de protection de la femme) est un refuge discret situé dans la ville du 6 Octobre et qui dépend du ministère de la Solidarité sociale. Il est ouvert 24h sur 24, 7 jours sur 7. Ce centre gratuit peut héberger 10 femmes et 5 enfants. Il a pour vocation d’accueillir toute personne en difficulté pendant une durée de trois mois, mais cette période peut être prolongée jusqu’à deux ans, selon les cas. « Ici, on rencontre des femmes humiliées, insultées, battues et violées, atteintes dans leur intégrité physique, sexuelle ou psychique : gifles, coups de poing, coups de pied, brûlures par cigarettes, coups portés au moyen d’une ceinture, utilisation ou menace d’une arme. Bien souvent, l’agresseur n’est pas un inconnu. C’est leur mari, leur compagnon », confie avec tristesse Manal, la directrice du centre.Depuis 2005, date de l’inauguration du centre, Manal est responsable de cette maison d’accueil. Chaque semaine, elle reçoit des femmes battues qui ont quitté le foyer conjugal.
Une femme sur trois est victime de violence conjugale en Egypte.
« A leur arrivée, toutes les femmes sont placées sous surveillance. Beaucoup sont agressives, muettes ou refusent de se nourrir. Nous déployons de grands efforts pour les aider à surmonter ce traumatisme », affirme la sociologue du centre. « Rares sont celles qui arrivent ici au début des violences. Il y a toujours cet espoir que le mari changera. Question de culture aussi, demander de l’aide n’est pas le premier réflexe des femmes violentées. Les Egyptiennes sont éduquées de manière à être patientes, soumises, afin de préserver leur famille », poursuit la directrice.Manal passe ses vacances et ses week-ends au milieu de ces femmes battues. Ici, toutes les femmes l’appellent « maman ». « Ici, j’ai une vie de famille. Je n’ai jamais eu une telle vie auparavant », dit Manal avec un sourire rayonnant. En dépit du fait qu’elle a été menacée et violentée, Manal donne tout l’amour et la tendresse qu’elle peut aux enfants qui accompagnent leurs mamans au centre. Les enfants l’adorent.Dans ce centre, les femmes se sentient chez elles et se promènent sans voile.
L’une d’entre elles fait la cuisine, l’autre fait la vaisselle, une 3e prépare son linge et celui de son enfant, une 4e joue avec son bébé. Et si certaines ne sont pas au centre, c’est parce qu’elles sont parties à la recherche d’un boulot. Mais avant de sortir, elles doivent avoir la permission de la direction.L’objectif du Centre de protection de la femme est de prendre en charge les femmes victimes de violences et de les orienter, de leur fournir les soins nécessaires, tout en essayant de les initier à leurs droits. En collaboration avec le centre Al-Nadim, le centre propose un service d’information et d’accompagnement aux femmes battues.
On y trouve des professionnels qui sont au service de ces femmes (juristes, psychologues, assistantes sociales, conseillères dans les affaires familiales et conjugales, etc.) Le personnel déploie de grands efforts pour alléger les souffrances de ces femmes victimes de violence. Le Centre de protection de la femme du 6 Octobre est l’un de 9 centres au niveau de la République qui aident les femmes battues. Le 1er centre a été créé à Guiza en 1998. Les autres se trouvent au Caire, Béni-Soueif, Daqahliya, Fayoum, Minya, Qalioubiya et Alexandrie. « Leur nombre est insuffisant. En Egypte, la société égyptienne n’accepte pas que la femme parle de ses problèmes conjugaux ou porte plainte contre son mari.
Oser parler est encore difficile, surtout pour les femmes battues de Haute-Egypte. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé à créer des centres à l’intérieur de ces gouvernorats. Mais il n’y en a pas toujours au Saïd », confie Hala Mokhtar, directrice des centres contre la violence à l’égard des femmes, qui relèvent du ministère de la Solidarité sociale.Pour une Egyptienne, s’adresser à un centre d’accueil est la première étape pour sortir de la spirale de la peur. En effet, la parole a sauvé des femmes en brisant leur isolement. « En racontant ce que j’ai vécu, je montre à toutes les femmes que partir est une façon de se libérer, mais aussi de libérer ses enfants », dit l’une des occupantes du centre d’une voix douce. Elle a été mariée à un homme de 30 ans plus âgé qu’elle. « Il était jaloux et agressif, quand il piquait une colère, il ne savait pas se maîtriser. Lorsque j’étais enceinte, il me battait, je recevais des coups de pied dans le ventre. Il me traînait dans les escaliers en me tirant par les cheveux. Mon enfant a été choqué, il s’est mis à hurler et les voisins ont assisté à cette scène », raconte-t-elle les larmes aux yeux.D’après le ministre de la Santé, Dr Adel Adawi, la violence contre la femme est en recrudescence en Egypte. Aujourd’hui, une femme sur trois est victime de violence conjugale. 47 % des femmes mariées sont exposées aux violences physiques, dont 33 % sont infligées par le partenaire. Tandis que 57 % des filles sont violentées par leurs pères ou leurs frères.Sabra, la patienteEn général, une femme victime de violence conjugale, qui décide de briser le silence, requiert l’anonymat pour ne pas être reconnue par son conjoint, son ex-conjoint ou son entourage.
S’adresser à un centre d’accueil est la 1re étape pour sortir de la spirale de la peur.
(Photo:Moataz Abdel-Haq)
Parfois aussi, elle refuse d’être photographiée, et si elle l’accepte, elle demande à ce que l’on cache son visage, et ce, pour éviter que son mari ne la retrouve. Dans une pièce où sont entreposés deux lits, X a difficilement accepté de témoigner. Au centre, on l’appelle Sabra, prénom qui veut dire la patiente. Elle a 43 ans, dont 17 passés sous la coupe d’un mari violent et alcoolique. Sa vie était un véritable cauchemar. « Les trois premières années après notre mariage, ça allait. Puis rien n’allait plus. C’était la guerre tous les jours », se souvient cette mère de quatre enfants, vendeuse de fruits et de légumes. Elle reprend : « Au début de notre mariage, il avait pris l’habitude de prendre mon argent, et quand j’ai commencé à protester, il nous frappait, mes enfants et moi. Quand il rentrait à la maison, je l’entendais hurler de loin. On ne savait jamais, mes enfants et moi, ce qui nous attendait. Est-ce qu’il allait nous frapper ? Balancer les chaises et la vaisselle ? Prendre un couteau pour nous faire du mal ? On vivait en permanence dans le stress et la peur », raconte-t-elle.
Sabra a souffert de la violence de son mari. Aujourd’hui, elle prend les choses plus au sérieux. Ce n’est pas la 1re fois qu’elle rend visite à ce centre d’accueil, mais la 4e fois, et elle espère que ce sera la dernière. Cette fois-ci, son mari a saisi un couteau de cuisine pour la frapper, mais Sabra a réussi à le lui arracher. « Ce jour-là, mes filles m’ont dit : Maman, cela ne peut plus durer, ça va mal se terminer entre vous. Et donc, j’ai quitté la maison en compagnie de mes filles », ajoute Sabra, qui appartient à un milieu défavorisé comme la plupart des femmes hébergées dans ce centre.Après quatre tentatives de suicide, une autre femme violentée trouve un jour la force d’appeler les renseignements et de téléphoner à la maison de refuge. Aujourd’hui, elle est divorcée grâce au soutien du centre. Vu qu’elle est discipli-née, cette femme de 27 ans travaille aujourd’hui au centre.Les femmes sont victimes en Egypte de toutes sortes de violences, alors qu’il existe des lois reconnues au niveau international et ratifiées par le gouvernement égyptien se rapportant à la violence à l’égard des femmes, comme la Convention sur l’abolition de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), la Convention de Genève contre le sexisme et la violence à l’égard des femmes. Il y a aussi la nouvelle Constitution égyptienne de 2014, où l’Etat s’engage à protéger la femme contre toutes formes de violence et à la soutenir dans sa vie familiale et professionnelle. « On se bat depuis des années pour protéger les femmes égyptiennes. Mais en vain.
Malgré toutes les conventions et les lois, les choses n’ont pas encore changé », proteste l’ambassadrice Mervat Al-Talawi, présidente du Conseil national de la femme. « Mais on espère progresser dans les années qui viennent », souhaite Al-Talawi.D’habitude, quand une femme va porter plainte à la police, on lui répond souvent qu’on ne peut rien faire. Quand elle se rend à l’hôpital, on la soigne et on lui demande de rentrer chez elle. Or, le ministère de la Santé, le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Solidarité sociale, avec la coopération du Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) se sont mis d’accord pour élaborer un protocole médical, une sorte de guide qui sera distribué dans tous les hôpitaux publics et privés.
Le but de ce guide est de former les médecins et les infirmières de manière à apporter un soutien aux femmes violentées. « Cette nouvelle méthode va donner la chance au corps médical de recevoir les femmes, de procéder aux premiers examens médicaux, de prendre note de leurs plaintes et de savoir les orienter vers les associations. Ce protocole sera mis en vigueur au début du mois prochain. Les hôpitaux pilotes sont ceux du gouvernorat du Caire, Guiza, Assiout et Sohag. A la fin de l’année 2015, cette même méthode sera appliquée par la suite dans tous les hôpitaux de la République », conclut Dr Bahaa Chawkat, responsable de la formation médicale. Un moyen de faire quelque chose pour ces femmes qui souffrent .
Un phénomène mondial
Manal donne de l’amour et de la tendresse aux enfants qui accompagnent leur maman au centre d’accueil.
Selon les dernières statistiques, entre 21 et 37 % des femmes dans le monde sont victimes de violence quotidienne.
Sans aucun doute, la violence à l’égard des femmes ne se limite ni à une culture, une région ou un pays particulier, ni à un groupe donné de femmes au sein de la société. A travers le monde, des millions de femmes et de filles sont agressées, battues, violées et mutilées, voire assassinées. Les dernières statistiques indiquent d’ailleurs qu’entre 21 et 37 % des femmes ont été victimes de violence au cours de leur vie à travers le monde. 50 % des hommes qui ont violenté leurs femmes ont également frappé leurs enfants. « Les filles dont l’âge varie entre 16 et 24 ans sont les plus exposées à la violence de leurs parents, selon une étude américaine », affirme Germaine Haddad, chef des programmes des affaires des femmes auprès de l’Onu en Egypte.
En fait, les raisons profondes de la violence à l’égard des femmes résident dans le monopole du pouvoir par l’homme et la discrimination persistante à l’égard des femmes. Selon un rapport établi par les Nations-Unies, la moitié des femmes, victimes d’homicide, sont tuées par leur conjoint, ex-conjoint ou compagnon. En Australie, au Canada, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis, 40 à 70 % des femmes, victimes de violence, ont été tuées par leur partenaire. En Colombie, tous les six jours, une femme décède, tuée par son compagnon ou ex-compagnon. Aux Etats-Unis, une femme est battue par son partenaire toutes les 15 secondes alors qu’en Afrique du Sud, une femme est violée toutes les 23 secondes. Au Bangladesh, estime le rapport, près de la moitié des femmes ont subi des abus physiques de la part de leur conjoint.
Depuis 1981, du 25 novembre au 10 décembre, des hommes et des femmes, d’un peu partout dans le monde, unissent leurs voix pour dénoncer les actes de violence dont sont victimes les femmes. Ces deux dates ont été retenues afin de lier, de façon symbolique, la violence faite aux femmes et les droits humains. Le 25 novembre, c'est la Journée internationale pour l’abolition de la violence à l’égard des femmes, le 6 décembre, c’est la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, et le 10 décembre est la date de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948. Cette année, les Nations-Unies placent leur campagne de seize jours sous le thème « De la paix à la maison, à la paix dans le monde ».
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