Homos, adolescent de 15 ans, est décédé la semaine dernière en traversant une ligne de chemin de fer. Le drame est arrivé à 13h30, tout juste après la sortie de l’école. «
Je l’ai cherché partout, mais en vain. Je n’ai été prévenue qu’à minuit », relate la mère qui habite à 500 mètres de la voie ferrée.
« Le passage emprunté par Homos n’est pas du tout sécurisé. Sans barrière de sécurité, nos enfants sont en danger. Ils risquent la mort tous les jours », déplore-t-elle, bouleversée, en montrant du doigt l’école de son fils, juste en face des rails.
« Deux jours plus tard, le même drame est arrivé à une femme dans la quarantaine qui a glissé sur les rails au moment où le train arrivait. Le conducteur n’a pu freiner à temps et la femme a eu les deux jambes sectionnées », raconte Réda Al-Lessi, directeur de la poste qui se situe à quelques pas de la ligne de chemin de fer d’Al-Ayyate. « On a entendu la sonnerie annonçant le passage du train, et ensuite un grand boum. On a cru que le train avait déraillé », rapporte un témoin. « C’était comme le bruit d’une bombe », raconte un témoin.
Ces drames se sont déroulés la semaine dernière sur la ligne de chemin de fer d’Al-Ayyate, ville située près de Guiza, à environ 40 km au sud-ouest du Caire. De tels accidents arrivent une ou deux fois par mois sur leslignes de chemin de fer réparties selon quatre grands axes : Le Caire-Alexandrie-Al-Alamein-Marsa Matrouh ; Le Caire-Alexandrie-Port-Saïd ; Le Caire-Suez ; Alexandrie-Le Caire-Louqsor-Assouan.
Peu de statistiques
Il n’existe pas de statistiques récentes sur le nombre de personnes qui meurent percutées par un train, mais un bilan du gouvernement sur le réseau ferroviaire, repris par le site d’information Masrawy, affirme que le long des 6 700 km de rails qui transportent 1,4 million de voyageurs par jour, 1 231 personnes sont mortes dans des accidents de train en 2007.
Photo: Nader Ossama
Selon le journal Al-Wafd, ce sont plus de 6 000 citoyens qui ont trouvé la mort lors d’accidents ferroviaires ces dix dernières années, tandis que 21 000 personnes ont été blessées.
Sur la ligne d’Al-Ayyate, le nombre d’accidents de train est en recrudescence. Al-Ayyate a connu les trois accidents les plus mortels du pays au cours des dix dernières années. En 2002, 2006 et 2009, cette localité a été le témoin d’accidents toujours plus tragiques.
Il suffit de se rendre dans cette localité pour comprendre la raison de ces accidents, où un marché ambulant se dresse les jeudis et dimanches sur la voie ferrée. « Un marché sur les rails ! Ce n’est pas normal ! … Cela ne doit pas arriver dans un pays qui se respecte ! », lancent les habitants. Quand le train arrive, il s’annonce par son vrombissement assourdissant et ses grands coups de sirène. Avec une rapidité extraordinaire, les vendeurs ramassent alors leurs marchandises pour laisser passer le convoi. Ils n’ont que trois minutes pour dégager les rails.
Une dame, dans sa course folle, trébuche avec ses boîtes de bonbons. Une autre, impuissante face à l’arrivée du train, perd quelques jouets en cours de chemin. Le train passe, puis tout se remet en place, comme si rien n’était venu perturber le marché. De tels passages, il en existe des dizaines chaque jour : tous les quarts d’heure, un train passe.
« C’est notre gagne-pain »
Le marché est très fréquenté par les villageois qui arrivent en masse de la campagne. Les commerçants assurent, quant à eux, que « le point de vente restera le même. C’est le seul marché d’Al-Ayyate, on est obligé de s’installer là, c’est notre gagne-pain », note Abdine, vendeur de pull-overs, qui étale sa marchandise sur les rails.
Abdine risque chaque jour sa vie sur cette voie ferrée surnommée dans le dialecte de ces villageois « Al-Sebensa ». « Je suis diplômé en lettres depuis 16 ans et jusqu’à présent je n’ai pas trouvé de travail. Au moins, en vendant ces vêtements ici, ma famille ne risque pas de mourir de faim », dit-il d’un ton amer.
« On nous a promis de construire un vrai marché dans un endroit sécurisé ... mais rien n’a été fait », déplore Hamdine, un jeune homme qui vend du poisson sur ce marché, comme l’ont fait avant lui ses grandes sœurs. Hadja Nadia, 52 ans, qui vend des légumes et des fruits, ajoute : « Avant la révolution du 25 janvier, on prenait la fuite dès que la police arrivait, mais aujourd’hui, elle est quasiment absente ».
Voir le train passer à quelques centimètres est devenu banal pour les commerçants de ce petit marché. Mais impossible de passer l’année sans qu’un accident sur la ligne ait lieu. La plus grave catastrophe enregistrée en 150 ans d’histoire des chemins de fer en Egypte a eu lieu le 20 février 2002. Bondé, le train 832 reliant Le Caire à Assouan a pris feu après une collision avec un autre train. Le bilan a dénombré 370 morts. Un responsable des services de sécurité a indiqué que les deux trains circulaient sur la même voie.
A l’époque, l’ancien premier ministre, Atef Ebeid, actuellement en prison, a écarté l’hypothèse d’une erreur technique des cheminots et du conducteur du train, qui était en communication sur son téléphone portable.
Une autre collision s’est produite en 2009 près du village de Guerzah, à 70 km au sud du Caire. Des traces de stupéfiants ont été retrouvées dans le sang de l’un des conducteurs de train impliqués dans cette collision qui a coûté la vie à 18 personnes et fait 36 blessés. Cette catastrophe ferroviaire a mené à la démission de l’ancien ministre des Transports, Mohamad Mansour. Le conducteur de train a été traduit en justice, mais a été condamné uniquement pour consommation de stupéfiants et non pour négligence professionnelle.
Le plus récent accident de chemin de fer a eu lieu le 17 novembre 2012. Le train d'Assiout no 3054 a percuté de plein fouet un bus de transport scolaire, avec 49 enfants et 2 adultes à bord, tous décédés lors de la collision.
Peu avant, au Fayoum, non loin d’Al-Ayyate, une collision s’est produite lorsque deux trains, l’un en provenance du Caire et le deuxième en provenance du sud, sont arrivés face à face sur la même voie. « Une erreur du chef de cabine aurait provoqué l’accident », a déclaré un responsable officiel de la sécurité qui a requis l’anonymat. L’accident a coûté la vie à 6 personnes et a fait des dizaines de blessés.
Ces accidents de train ont notamment inspiré le scénariste Ahmad Abdallah qui a choisi le train d’Al-Ayyate pour filmer Saa wi nos (une heure et demie), actuellement diffusé dans les salles de cinéma. Dans le wagon 678, une dizaine d’acteurs montrent les souffrances du modeste citoyen égyptien lors d’un voyage d’une heure et demie.
Moderniser le réseau : une priorité
Pour en finir avec ces drames à répétition, une modernisation du réseau de chemin de fer est indispensable. Mais « les responsables insistent sur le fait de dire que tout va bien, qu’ils accomplissent leur travail consciencieusement et qu’il n’y a pas de corruption dans ce secteur. Ils n’ont qu’à se déplacer pour constater dans quelles conditions nous travaillons », dit Gaber, aiguilleur à Al-Ayyate. L’Organisme général des chemins de fer égyptien a dépensé 5,6 millions de L.E. pour moderniser 1 725 portes coulissantes entre les wagons, venant remédier modestement à l’absence de maintenance et au manque de gestion.
Et que penser de l’idée du gouvernement actuel de mettre en circulation un train de style « TGV »français pour relier les principales villes et provinces ? « Ce n’est pas logique. Au lieu de créer une seconde génération de trains, il vaut mieux commencer par entretenir l’ancienne », se plaint un passager à la station d’Al-Ayyate.
Le gouvernement du président Moubarak avait promis de lancer un programme de modernisation des chemins de fer, mais rien n’a été fait. La réalisation du programme a été suspendue après la révolution. « Les trains sont d’une lenteur exaspérante, car ils s’arrêtent dans toutes les petites localités. Les portes ne se ferment jamais. Les toilettes sont inutilisables : il n’y a pas d’eau et les odeurs qui en sortent sont répugnantes. Souvent les wagons ne sont même pas éclairés », regrette Réda, femme au foyer, qui a l’habitude de prendre le train Assiout-Le Caire avec ses deux enfants pour rendre visite à ses grands-parents à Assiout.
« Il n’y a pas de service de sécurité. Il n’est pas rare que des bagarres éclatent parce qu’un type a dragué la fille ou la sœur d’un autre, ou pour des broutilles du même genre. Les gens cassent alors les lampes pour s’en servir comme arme », ajoute-t-elle.
En attendant que l’Etat se penche sur le problème du réseau ferroviaire, les accidents de train continuent de faire des morts et l’actualité.
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