Lorsqu’on regarde de loin cette école privée située à Madinet Nasr, on est surpris par la propreté de ses bâtiments. Mais en approchant, on remarque que derrière ces murs d’une blancheur impeccable, un désastre peut arriver à tout moment. «
Le directeur sait que les murs sont lézardés, que le sol est en train de s’affaisser et que le toit menace de s’effondrer sur les têtes de nos enfants, pourtant, il n’a pas bougé le petit doigt ! », se plaint Samira, maman d’un élève en cycle préparatoire.
Cette dernière et d’autres parents d’élèves ont organisé un sit-in devant l’école après avoir découvert un rapport technique établi par la municipalité du quartier. Ce rapport affirme que les fissures des murs représentent un important danger et que l’école aurait dû subir une restauration complète en 1995. Mais rien n’a jamais été fait.
600 écoles présentent d’importantes failles sécuritaires.
(Photo : Chérif Mahmoud)
En attendant qu’un comité technique prenne en charge le dossier, le sort de 2 400 élèves est en jeu. Nesrine, une élève, affirme avoir vu des ouvriers repeindre les murs et boucher les fissures pour que personne ne les remarque.
Pour le moment, la direction de l’école veut éviter toute confrontation avec les parents et refuse de répondre aux questions des médias. Elle a simplement dit aux élèves que si l’école ne leur plaisait pas, ils n’auraient qu’à la quitter.
Toutefois, les responsables à la direction de l’enseignement de Madinet Nasr ont annoncé qu’un comité d’experts allait prochainement s’occuper du dossier et évaluer l’état de l’école.
Problèmes récurrents
(Photo : Abdel-Aziz Al-Nemr)
Mais cet établissement scolaire n’est pas le seul à accueillir des élèves dans des bâtiments présentant des lacunes sécuritaires. Selon l’Organisme général des bâtiments dépendant du ministère de l’Education, 600 écoles présentent d’importants dangers en matière de sécurité. Fissures sur les murs, piliers cassés, bancs brisés, toilettes sans robinets et sans eau… tels sont les aspects les plus fréquents de ces dégradations.
Logiquement, ces problèmes de maintenance et de rénovation auraient dû être réglés durant les vacances d’été. Mais le plus souvent, ces états de délabrement sont dus à un laisser-aller de la part de la direction. Celle-ci préfère ne rien faire si personne ne l’oblige à bouger. Les dossiers remontent donc à la surface avec la rentrée scolaire, quand les parents se rendent sur place et constatent l’importance des dégradations. Mais la plupart du temps, aucune mesure n’est prise pour remettre à neuf ces écoles.
« Le problème c’est que lors de la rentrée des classes, les responsables discutent d’autres préparatifs comme les programmes, les livres, les professeurs, les fournitures scolaires … et on oublie l’essentiel: le bon état des écoles », se plaint Nagui Samir, père d’un élève à l’école Ibrahim Salem, dans le gouvernorat de Gharbiya.
Seuls 92 établissements sur les 373 répertoriés ont subi les rénovations nécessaires.
(Photo : Adel Anis)
Cette école n’a pas de murs d’enceinte: elle est située au milieu d’un terrain vague, tout le monde traverse librement le terrain, y compris le bétail. Les élèves et les professeurs n’ont pas l’impression d’être dans une école. Dès qu’ils quittent leurs classes, ils ne traversent pas de cour de récréation, mais se retrouvent tout de suite au milieu de terres agricoles et en face d’une route. Le matin, lorsque les élèves arrivent, ils doivent se mettre en rang dans la rue. La nuit, l’école est squattée par les sans-abris.
Ces écoles sans murs d’enceinte sont un problème répandu dans le pays. Tout le monde peut entrer et sortir comme il veut, sans le moindre contrôle. Un problème qui dure depuis plus de dix ans, date de la construction de l’école Ibrahim Salem. « Chaque année, on doit faire face à la même situation. On nous fait des promesses qui ne sont jamais tenues », regrette Gamal Awad, parent d’élève. Il ajoute que les parents ont proposé à plusieurs reprises de participer à la construction du mur, mais que les responsables ont toujours refusé sous différents prétextes.
Dans ce village, les parents sont coincés: les autres établissements scolaires ne sont pas dans un meilleur état et sont plus éloignés.
A Ismaïliya, les responsables de l’Organisme des établissements scolaires affirment que 23 écoles de la ville ont besoin d’être restaurées, pour un total de 51 millions de L.E. Les travaux de rénovation viennent de commencer alors que la rentrée scolaire bat son plein. Les maçons et les ouvriers sont encore sur place et les sacs de ciment et de sable envahissent les classes. « Les travaux ont commencé trop tard. Des dizaines d’autres écoles sont dans le même état à cause d’un laisser-aller des responsables », dit Gamal Sayed, père d’une élève à l’école Al-Temsah, à Ismaïliya. Sa fille, ainsi que les autres élèves, ont été transférés provisoirement dans d’autres écoles.
Manque d’hygiène
A ces problèmes s’ajoutent de graves lacunes d’hygiène. Les toilettes sont souvent dans un état lamentable, jamais nettoyées ou rénovées. Saletés et manque d’eau se côtoient dans des robinets crasseux qui ne voient pas une seule goutte d’eau de la journée. « Un environnement pareil nuit à la créativité et à la concentration des enfants. L’école doit être un modèle pour eux. Si les enfants constatent qu’une chaise cassée n’est jamais réparée, ils reproduiront le même schéma plus tard lorsqu’il seront managers ou fonctionnaires », explique le sociologue Achraf Al-Bayoumi.
L’école Deabas, dans le gouvernorat de Béheira, est fermée depuis dix ans. Elle devait subir des travaux de rénovation, travaux qui n’ont jamais commencé. Idem à l’école Om Al-Moëmenin, inondée par les eaux d’égouts. Conséquence? « Beaucoup d’élèves de Béheira ont arrêté d’aller à l’école et travaillent dans les champs ou dans les fermes d’élevage », affirme l’activiste Hani Gharib.
De son côté, le ministre de l’Education se contente de répondre que les établissements scolaires sont dotés d’un système d’alerte pour les incendies et que les classes jouissent toutes d’une bonne aération. Mais certains se permettent des critiques acerbes, comme cette inspectrice de langue arabe à la direction de l’enseignement de Madinet Nasr : « Ils ont gaspillé des millions de L.E. pour acheter des tablettes dernier cri, mais n’ont pas pensé à comment les élèves allaient passer l’année dans des classes surchargées, avec des toits en bois qui risquent de s’effondrer, des murs délabrés et des pupitres cassés ». D’après cette inspectrice, cette situation saugrenue explique pourquoi ces problèmes sont devenus permanents : « Les responsables semblent parler d’écoles qui ne sont pas de chez nous ».
Quant aux responsables de l’Organisme des établissements scolaires, leur mission est de restaurer les anciennes écoles et de construire de nouveaux établissements. Mais le budget alloué par l’Etat ne peut pas inclure toutes les écoles. D’après eux, ils ont achevé cette année la restauration de 92 écoles sur les 373 répertoriées. De plus, 290 nouvelles écoles ont ouvert leurs portes cette année.
Pour Kamal Gheith, expert en enseignement, l’état de délabrement des établissements scolaires reflète de la décadence du système d’enseignement. Il se rappelle l’école Al-Saïdiya, une école publique qui comprenait un grand théâtre, des laboratoires et une grande cour de récréation. « Cette école a fait sortir d’illustres personnes. Aujourd’hui, que peut-on attendre d’élèves qui ne disposent pas de cours de récréation, de classes bien équipées et de toilettes propres ? », s’indigne Gheith.
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