Adliya se dépêche pour arriver le plus tôt possible à la mosquée pour faire la prière du vendredi. Elle a ses astuces pour attirer l’attention. Elle porte le
niqab, et dès qu’elle rentre dans la salle des femmes, elle montre son visage laissant apparaître son maquillage à outrance et ses accessoires. Elle récite quelques versets du Coran. Et en attendant la prière du vendredi, elle s’adresse à Dieu en levant les mains vers le ciel: «
Mon Dieu! Je n’ai que Toi, et je sais que Tu m’écoutes et que Tu m’apporteras de l’aide. Je suis seule dans la vie et j’ai besoin d’un compagnon », dit Adliya, d’une voix à peine audible. Cette habitante de la Haute-Egypte a fait un trajet de plus de 300 km pour visiter cette mosquée. Agée de 38 ans, elle n’est toujours pas mariée. Dans son village du Saïd ainsi que dans le Delta, cette mosquée a une grande renommée. C’est à la mosquée Gamie Al-Banat que Adliya est venue faire son voeu. Elle est convaincue du pouvoir «
surnaturel » de cette mosquée, surtout en ce qui concerne le mariage. «
Toutes les vieilles filles qui ont visité cette mosquée ont vu leur voeu exaussé. Je crois corps et âme que cette mosquée est bénie ». Pour recevoir la grâce de cette mosquée, Adliya a dû se plier à tous les rites requis. Tout d’abord, la visite de la mosquéedoit se faire un vendredi. Il faut arriver tôt afin de faire la prière et rester dans
(Photos: Hassan Chawqi)
la mosquée pour faire la connaissance des autres femmes qui s’y rendent à la recherche de futures épouses pour leurs fils. Adliya est accompagnée de quatre de ses proches. Avant de quitter le lieu, elle n’oublie pas de lire la fatiha. Pour qu’al-mourad (le voeu) se réalise.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle doit se rendre à la mosquée quatre vendredis successifs. Une condition obligatoire, selon la tradition, sinon, tous ses efforts risquent d’être vains. Et selon le rituel, c’est le dernier vendredi que l’heureux événement tant attendu devrait avoir lieu.
Cette mosquée, fondée en 1313, est située au centre de la rue Port-Saïd, à Al-Darb Al-Ahmar, et est considérée comme l’une des plus grandes de la région. De loin, ses fenêtres fabriquées en plâtre sont incrustées de vitraux, et son plafond en bois, richement décoré, frappe l’oeil. Son sol orné de marbre noir et blanc et ses portes en fer forgé sont d’une grande finesse artistique avec leur style d’architecture islamique.
(Photos: Hassan Chawqi)
D’après l’ouvrage Al-Khitat du célèbre historien Ahmad Al-Maqrizi, la mosquée Gamie Al-Banat, ou la mosquée des filles, a été fondée par le Mamelouk Abdel-Ghani Al-Fakhri, ministre des Finances à l’époque mamelouke. La légende dit que ce Mamelouk, qui travaillait dans le commerce, avait 7 filles. Ses filles ont trouvé la mort, l’une après l’autre, juste avant l’âge du mariage. Elles ont été contaminées par la peste à travers des commerçants venus de Syrie. C’est après le décès de sa 7e fille en 1312 qu’il décide de construire cette mosquée, pour commémorer le nom de ses 7 filles. C’est ainsi que la mosquée a été baptisée la « mosquée des filles ».
Mais, chose étonnante, à peine quelques années après la fondation de la mosquée, nombreuses sont les filles qui s’y étaient rendues pour rechercher la bénédiction du lieu et qui ont vu leurs voeux exaucés. Et de bouche à l’oreille, les histoires se sont multipliées et la réputation de la mosquée a grandi, allant même jusqu’aux pays du Golfe. Que ce soit en matière de mariage, de fertilité ou de grossesse, on croit au pouvoir « magique » de cette mosquée.
Trouver un prétendant
Beaucoup croient que ce puits, situé à l’intérieur de la mosquée, est béni.
(Photos: Hassan Chawqi)
Tous les vendredis, de jeunes filles affluent à la mosquée Gamie Al-Banat, invoquant sa bénédiction. En hidjab ou en niqab, étudiantes, employées, femmes au foyer, jeunes filles non mariées, ou encore divorcées avec ou sans enfants, viennent des quatre coins d’Egypte à la recherche d’un époux pour elles-mêmes, pour leurs filles, ou pour l’une de leurs proches.
Elles sont toutes tirées à quatre épingles portant des abayas (longue robe ample) dernier cri. Certaines s’assoient sur le sol et font la prière. D’autres prononcent quelques invocations ou écrivent sur les murs de la mosquée. Les mamans insistent pour que leurs filles les accompagnent. Ainsi, elles sont sûres que les autres mamans vont les voir et choisir parmi elles une mariée pour leurs fils. Les mamans des garçons font de même.
Et ce ne sont pas uniquement les femmes qui croient au pouvoir de cette mosquée. Dans le quartier d’Al-Darb Al-Ahmar, personne ne met en doute la « magie » de Gamie Al-Banat. Pour les habitants du quartier, c’est ce lieu saint qui donne au quartier tout son charme. Certaines femmes viennent en quête d’un prétendant, d’autres rêvent de tomber enceintes.
Manal, 36 ans, a dépassé l’âge du mariage. Elle n’est pas jolie et ses chances de trouver un mari étaient minimes, d’autant qu’elle est issue d’un quartier pauvre. Elle raconte qu’un jour, en se rendant à la mosquée, elle n’a pas hésité à rédiger un morceau de papier sur lequel elle a confié à Dieu son rêve de trouver un prétendant. Elle a collé le bout de papier en silence au mur. Ce jour-là, une femme l’a vue au sein de la mosquée et l’a choisie comme future épouse pour son fils. Aujourd’hui, cela fait 3 ans que Manal est mariée. « Je tiens à visiter la mosquée chaque mois. Je viens avec mon bébé pour remercier Dieu pour son beau cadeau ». Manal ramène avec elle des plats de riz au lait et des biscuits qu’elle distribue aux pauvres.
En effet, ce n’est pas le seul endroit auquel les Egyptiens s’adressent à la recherche de bénédiction. Les récits colportés par beaucoup d’Egyptiens concernant le pouvoir de certains lieux saints remontent à la nuit des temps.
Des mosquées au pouvoir « magique »
D’après le sociologue Ahmad Yéhia, les habitants de l’Egypte Ancienne ont toujours cru à la bénédiction et à la malédiction. D’après lui, les gens ont souvent recours à ce genre de solutions lorsqu’ils ne trouvent pas d’issues à leurs problèmes. « La pauvreté et le manque de ressources ont obligé ces personnes marginalisées à chercher une lueur d’espoir dans ces lieux de culte. Une sorte d’échappatoire à leurs problèmes. Dans ces mosquées, les filles sont surtout à la recherche d’un sentiment de sécurité qui les rassure », commente Dr Yéhia.
Ceci explique pourquoi beaucoup de personnes se rendent dans des mosquées comme Gamie Al-Banat, la mosquée du cheikh Yéhia à Ghouriya, le Sultan Hassan ou la mosquée Al-Réfaï, des mosquées au pouvoir « magique ».
Les récits rapportés par beaucoup d’Egyptiens de toutes les classes révèlent à quel point ils croient au pouvoir de certains saints. Les romans égyptiens mettent également l’accent sur ce genre de croyances. L’écrivain Youssef Idris, dans son roman Al-Haram (l’illicite), a abordé le sujet de la femme stérile, convaincue que ses voeux seront exaucés après la visite d’un lieu béni. Qout Al-Qouloub, écrivaine égyptienne francophone, dans son oeuvre Zannouba parle de la visite d’une femme stérile à un lieu saint qui mène à la naissance d’un garçon.
D’après l’Organisme central de la mobilisation et des statistiques, il existe en Egypte plus de 4 millions de jeunes filles de plus de 33 ans sans mariage.
Dans une société intransigeante, où le mariage est considéré comme une protection pour les filles, les familles s’attachent au moindre espoir pour marier leurs filles.
Pourtant, l’imam de la Mosquée des filles, cheikh Farrag Hassan Abdel-Maaboud, refuse fermement ces croyances. Il répète aux visiteurs de la mosquée que le fait de croire à la bénédiction par l’intermédiaire d’une chose ou d’une personne est une « bidaa » (acte superstitieux et illicite). « Il faut implorer Dieu le miséricordieux sans intercesseur », explique-t-il. Et d’ajouter: « Les filles viennent à la mosquée pour boire dans un puits qu’elles croient béni. Je leur ai dit de ne pas le faire car c’est un acte illicite ».
Mais cet avis ne semble rien changer. Des filles âgées continuent à visiter la mosquée. Hadja Neamat se rend à la mosquée accompagnée de sa fille Marwa. Cette dernière, âgée de 41 ans, attend le moment où le prétendant viendra frapper à sa porte. « Nous venons consulter la mosquée pour qu’elle soit un intermédiaire entre nous et Dieu », explique hadja Neamat. Cette maman désespérée a même eu recours à la sorcellerie pour mettre fin à son drame. « Il y a quelques années, ils étaient des dizaines à se présenter pour demander sa main, mais aucun ne l’intéressait. Aujourd’hui, ils se font de plus en plus rares ». Marwa est déterminée à visiter la mosquée chaque vendredi, jusqu’au jour où elle sortira avec un prétendant en main.
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