Incompétente ? Inexpérimentée ? C’est la vision de la femme que semble avoir Adel Labib, ministre du Développement municipal. Ce dernier vient, en effet, d’affirmer que le poste de gouverneur sera réservé aux hommes. « La femme ne sera pas désignée dans la prochaine valse des gouverneurs. Entre-temps, on va se contenter de la préparer et de lui procurer l’expérience nécessaire pour qu’elle manie les outils de la gouvernance. Actuellement, elle ne pourra être désignée qu’en tant qu’adjointe ou assistante au gouverneur ».
Ces propos ont soulevé un tollé. Le mouvement féministe égyptien, sous le choc, a décidé d’agir. 17 ONG et partis ont affiché leur vif mécontentement face à des propos jugés sexistes et discriminatoires. Ils ont publié un communiqué condamnant fortement la déclaration du ministre.
Pour Azza Kamel, présidente de l’initiative Fouada Watch, la déclaration du ministre met au grand jour les discriminations dont souffre la femme. « Elle prouve que les autorités minimisent la citoyenneté de la femme et révèle que le regard des responsables à l’égard de la femme n’a pas changé. Ils continuent à la considérer comme un être faible, incomplet et incapable de résoudre les problèmes qui touchent et influencent la vie du citoyen au quotidien », s’indigne l’activiste.
Même réaction pour Névine Ebeid, membre du conseil d’administration de l’association Femme nouvelle. « Pourquoi une femme serait-elle incompétente au poste de gouverneur ? Pour quelles rasions ? », s’insurge-t-elle.
La déclaration commune des 17 ONG est dans le même ton : « Il s’avère nécessaire de renforcer la contribution de la femme dans le développement municipal à travers sa désignation au poste de gouverneur. Une femme-gouverneur saura intégrer les priorités de son sexe dans le programme de développement municipal. Ce qui améliorera incontestablement différentes tâches, comme celle de répondre aux besoins des femmes marginalisées. Il est question surtout que les politiques du ministère du Développement municipal embrassent de manière effective les notions d’égalité entre homme et femme ». Une manière de dire que la déclaration du ministre contribue un peu plus à écarter la femme de toute responsabilité publique.
Quant au supposé manque d’expérience, Néhad Aboul-Qomsane, présidente du Centre des droits de la femme, tient à préciser quelques chiffres. « Aujourd’hui, les trois quarts des professeurs d’universités sont des femmes. Celles-ci occupent plus de 70 % des postes administratifs. De tels repères ne sont-ils pas suffisants pour convaincre les responsables que la femme a tout ce qu’il faut pour accéder au poste de gouverneur ? », dénonce-t-elle.
Elle rappelle que l’article 180 de la nouvelle Constitution attribue 25 % des sièges des municipalités aux femmes. « Cela représente environ 13 000 postes réservés aux femmes dans l’ensemble des gouvernorats. Les femmes gèrent déjà les affaires publiques et sont par conséquent des cadres expérimentés et compétents ».
Un pas en avant, un pas en arrière …

Les élections parlementaires seront un bon indice de la présence de la femme dans la vie politique.
Alors que l’article 11 de la Constitution est considéré comme un important pas en avant dans l’accès des femmes aux postes-clés, la déclaration du ministre est, elle, perçue comme un retour en arrière.
Pour tenter d’éteindre la polémique, le ministre du Développement municipal a cherché à se justifier. « On accepte le principe de nommer une femme au poste de gouverneur, mais il faut choisir le moment. Aujourd’hui, il est devenu plus que jamais difficile de garantir la sécurité des gouverneurs. Il est à la merci d’agression, abus verbal et corporel », a ajouté Sabri Al-Gueindi, conseiller en communication auprès du ministre.
« Le ministre aurait cherché à protéger les femmes, affirme Al-Gueindi. Cette période est très dangereuse, et les conjonctures ne nous donnent pas les garanties de sécurité nécessaires pour expérimenter la capacité de la femme à gérer un gouvernorat. Le ministre ne supporte pas qu’une femme puisse être victime d’une agression ». Des justifications qui ne font qu’ajouter davantage de discrimination aux précédentes déclarations.
« Ce n’est pas la première fois que j’entends de tels arguments. Ce sont seulement les noms des responsables qui changent, mais c’est le même esprit qui règne, celui du machisme », dénonce Maha Al-Gazzar, responsable du comité de la femme au parti Egyptien social-démocrate. Elle craint que la nouvelle Constitution approuvée en janvier 2014, et censée lutter contre la discrimination contre les femmes, ne demeure lettre morte.
Mais pour beaucoup, ces déclarations ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le combat doit s’étendre à tous les niveaux. La société civile féministe a milité durant 30 ans et a réalisé de vrais acquis. C’est grâce à ce mouvement que des lois en faveur de la femme ont été promulguées comme celle du kholea (droit de divorce accordé à la femme si elle renonce à certains de ses droits). « C’est un travail de longue haleine mais qui portera ses fruits », continue d’espérer Mervat Abou-Tigue, avocate et présidente de l’association Mère pour les droits et le développement de la femme.
Se faire entendre
« Les féministes doivent profiter de toutes les chaînes d’expression pour protester. Elles doivent faire des sit-in ou manifester. Le Conseil national de la femme et l’Union de la femme égyptienne doivent aussi mettre en relief les femmes actives, notamment dans les différentes sphères de la société civile et politique », souligne, quant à lui, Chérif Gamal, directeur du programme de sensibilisation politique des droits de la femme.
Même idéal pour Farida Al-Naqqach, présidente du Forum de développement de la femme. Si elle se réjouit de certains progrès, elle souhaite voir les choses évoluer plus rapidement. « La grande bataille des mois qui viennent est celle des parlementaires. Nous devons présenter des femmes qualifiées pour qu’elles puissent défendre elles-mêmes leurs droits. Le Parlement sera le vrai tournant qui montrera si les choses vont dans le bon sens ».
Les municipalités ont par exemple témoigné de responsables-femmes particulièrement actives à lutter contre la corruption, à l’instar d’Iva Kirolos, avocate, 53 ans. Elle a été nommée maire en 2002 de son village natal de Kambouha, où vivent 12 000 habitants près d’Assiout en Haute-Egypte.
En 2008, Sanaa Al-Saïd était, elle, membre du Conseil municipal du gouvernorat d’Assiout. « Même la société conservatrice de Haute-Egypte accepte, sans aucune restriction, l’intégration politique de la femme », assurait Al-Saïd.
Observerait-on un retour en arrière ? Pour Nadia Abdou, ingénieur et assistante du gouverneur de Béheira, « la société égyptienne connaît des changements accélérés. Déjà, la plupart des secrétaires généraux des gouvernorats sont des femmes. Mais les tâches du gouverneur sont difficiles. Il doit surveiller le travail municipal, qui consiste par exemple à aménager des routes asphaltées, à maintenir les écoles en bon état, à équiper les hôpitaux publics … Bref, à avoir à faire avec toutes les catégories de citoyens, dont certaines sont encore réticentes à accepter une femme à ce poste ».
Pendant la révolution, de nombreux espoirs avaient pourtant vu le jour. « La femme a joué un rôle incontournable. Nous étions la force motrice de la révolution. Nous avons lutté avec persévérance et maintenant, ils veulent de nouveau nous écarter de la scène ! », s’indigne encore Hoda Badrane, présidente de l’Union de la femme.
Car à défaut d’excuses du ministre et face au peu de dénonciations de responsables politiques face à ces propos, il semble que le chemin reste long. Le combat de Hoda Chaarawi ne fait que commencer .
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