« J’ai eu la chance de trouver des gens qui m’ont aidé. Alors, il était de mon devoir de rendre ce soutien. Chaque jour, j’assiste une personne à ne plus consommer de drogue, à suivre une cure de désintoxication et une thérapie pour se réinsérer socialement, avant qu’il ne soit trop tard », confie Khaled, 31 ans, ex-toxicomane. C’est aussi le fait de voir des toxicomanes perdre la raison ou mourir sous ses yeux d’une overdose qui l’a poussé à tendre la main à ces êtres en détresse. Hicham Aboul-Fotouh, ex-toxico, lui aussi confie: «
Un ancien toxicomane comme moi comprend la souffrance du drogué, puisqu’il est passé par ces étapes. Le drogué qui vient pour se désintoxiquer est surpris par le degré d’aide, de soutien et d’amour que lui apporte un ex-toxicomane comme lui et qu’il ne connaissait pas auparavant. Cet ex-drogué, exemplaire à ses yeux, lui montre clairement la voie à suivre pour laisser tomber les substances addictives ».

Ces volontaires aident les toxicomanes à exprimer leurs émotions
(Photos : Moustapha Emeira)
Aboul-Fotouh fait aujourd’hui partie du personnel médical du centre de désintoxication de l’hôpital psychiatrique de Abbassiya, au Caire. Sa mission: sauver des vies. Il partage son temps entre son activité à l’hôpital, où il encourage les patients à se désintoxiquer, et ses études universitaires. Il explique aux adolescents prisonniers d’un monde illusoire que la dépendance à la drogue peut mener à la mort. « En thérapie, les spécialistes nous disaient que pour arrêter de consommer, il faut fournir autant d’énergie que si l’on se mettait à la recherche de drogue. Si tous les consommateurs agissaient ainsi, le monde irait mieux », dit-il.
« Des volontaires ex-toxicos aident les drogués à exprimer leurs sentiments, leurs émotions, choisissent des thèmes qui les touchent de près, comme le mensonge, et n’hésitent pas à parler de leur vie. Le toxicomane guéri relate son expérience personnelle, car il est conscient que le drogué peut partager ces mêmes souffrances », explique Dr Abdel-Rahman Hammad, chef du département de lutte contre la drogue à l’hôpital psychiatrique de Abbassiya.

(Photos : Moustapha Emeira)
Etudiants, architectes ou chauffeurs de taxi, peu importe l’environnement socio-culturel, il suffit d’avoir eu un jour affaire à la drogue et d’avoir décidé d’arrêter pour bénéficier de cette aide.
Ces jeunes volontaires ont suivi une formation dans un établissement thérapeutique spécialisé. « Les cours durent un an et demi et sont donnés par des médecins spécialisés », indique Khaled, qui a déboursé 16000 L.E. et fait tous les jours 200 km pour assister aux enseignements à Wadi Al-Natroune, où se situe l’école. Celle-ci délivre une certification de lutte contre la drogue, validée par le ministère de la Santé. Puis, ces jeunes ont assisté à des discussions où ils ont appris à parler de leur expérience personnelle et à aider d’autres comme eux à exposer leurs difficultés. « En tant que thérapeute, leur rôle consiste à faire baisser le taux de rechute des patients, à renforcer leur volonté, à développer la confiance en soi et dans les autres », précise Dr Abdel-Rahman Hammad.
Déceler les carences

16 hôpitaux psychiatriques luttent contre la toxicomanie en Egypte.
(Photos : Moustapha Emeira)
Nombreux sont aujourd’hui les ex-drogués ayant décidé de suivre de près des toxicomanes, leur conseiller et les inciter à se désintoxiquer. Un défi qu’ils relèvent chaque jour depuis qu’ils sont guéris. Par leur expérience, ils sont en mesure de déceler les carences des centres de désintoxication, y compris les écarts de conduite d’infirmiers qui approvisionnent secrètement les patients en drogue, contre rétribution. Selon lui, ce genre de comportement rend la mission ardue, ce qui explique un taux de guérison qui ne dépasse pas les 3 % dans l’ensemble des établissements de ce genre du pays.
Le centre de Abbassiya, spécialisé dans l’addiction, est l’un des plus importants d’Egypte. Inauguré en 2004, il comptait à l’époque seulement 30 lits. Aujourd’hui, ce chiffre est de 150, pour accueillir tous genres d’addictions: alcool, drogue, tabac, et même médicaments. En Egypte, 16 hôpitaux psychiatriques luttent contre la toxicomanie, dépendant du ministère de la Santé, dont le centre de Abbassiya. Ces centres comptent 500 lits pour le traitement des dépendances au niveau national, tandis que le nombre de visites extérieures est de 57000 par an. Et ce, sans compter les centres privés de la capitale, situés dans les quartiers de Moqattam, Madinet Nasr, Héliopolis et du Nouveau Caire.

(Photos : Moustapha Emeira)
Malgré tout, les indices prouvent que le nombre de toxicomanes en Egypte est en hausse. Selon une étude récente du Conseil national pour la lutte contre la toxicomanie, près de 10000 personnes par an s’adressent à un psychiatre en raison de leur addiction, dont 30% vont suivre des cures d’intoxication. D’après le ministère de la Santé, le nombre de toxicomanes en Egypte est estimé entre 2,5 et 3,25 millions d’individus. Le Caire occupe la première place en matière de toxicomanie, suivi des provinces de Haute-Egypte, de la région du Delta et du centre du pays.
D’importants conseils

Pour venir en aide, il faut suivre une formation dans une école spécialisée.
(Photos : Moustapha Emeira)
Une fois admis dans un centre, le patient intègre un groupe collectif de soutien, avec un responsable désigné. Chaque membre assume la responsabilité d’une tâche, comme le nettoyage, la cuisine, le jardinage … « Ce groupe se compose de 12 à 15 anciens toxicomanes, et on écoute le patient, tout en discutant de ses problèmes de santé, conjugaux ou familiaux, on tente de déceler les risques de rechute », ajoute Khaled, thérapeute très apprécié du centre. Dans une petite salle, il est entouré de jeunes toxicomanes. Ils parlent de leurs expériences et donnent d’importants conseils. Les discussions vont bon train. « Avant tout, il faut couper les liens avec tout autre toxico dans votre entourage. Autre point important : occuper l’esprit par des activités ou du sport. Il faut apprendre à économiser, ne plus dépenser d’argent dans la drogue. A la place, offrez-vous quelque chose que vous n’avez pas l’habitude d’acheter. Enfin, annoncez à votre entourage que vous avez décidé d’arrêter et de changer vos habitudes. L’important est de savoir que vous n’êtes pas seuls et que nous serons toujours là pour vous écouter et vous guider », lance Khaled.

Une forte dose d'énergie est nécessaire pour se sortir de la drogue.
(Photos : Moustapha Emeira)
C’est à 10 ans qu’il a commencé à fumer de la drogue. Au fil des années, il a tout essayé: haschisch, héroïne, cocaïne… et tramadol, un puissant analgésique. « Son prix dérisoire convient à un chauffeur comme moi, les 10 cachets coûtent environ 30 L.E. J’avalais jusqu’à 20 par jour, dosés entre 50 et 500 mg. Cela a duré deux ans. Puis, j’ai commencé à avoir très mal à l’estomac, à vomir du sang. C’est là que j’ai réalisé que le tramadol détruisait le foie, l’estomac, et faisait perdre la mémoire », ajoute-t-il, en parlant de son expérience aux patients. L’objectif de ces centres est simple: faire retrouver aux toxicomanes les vrais plaisirs de la vie. Le patient doit réapprendre ce qu’est une amitié, une solidarité, réapprendre à se nourrir convenablement et à devenir autonome dans la gestion de sa vie quotidienne. Il doit parler des effets nocifs de la drogue avec les autres patients, puisqu’il en a fait l’expérience. Dans ces centres anti-drogue, les traitements sont suivis avec rigueur. Au début, le malade prend des médicaments qui soulagent les douleurs musculaires, les maux de tête et les troubles du sommeil dus au sevrage du matin au soir, il doit participer à des activités culturelles, artistiques et sportives lors des 3 premiers mois de son séjour. « Sortir de la toxicomanie s’apparente à un entraînement sportif de haut niveau. Cela demande d’importants efforts, du temps, de la volonté et une persévérance à toute épreuve. Et donc, ce thérapeute va servir de coach. Il va l’aider à ne pas baisser les bras, à garder le moral, à le motiver pour faire les efforts nécessaires », ajoute Dr Abdel-Rahman Hammad.
Guérison entre 25 et 35 ans
Selon Dr Ayman Khodeira, chef du département anti-drogue dans un hôpital privé, un toxicomane guéri laisse découvrir des qualités que l’on ne retrouve pas chez un individu saint. Toutefois, les chances de guérison sont plus évidentes entre 25 et 35 ans. La guérison avant l’âge de 25 ans n’est pas évidente, car la personne est immature. En général, après 35 ans, le malade commence à perdre espoir à refaire sa vie. Mais il n’y a pas de règle sans exception.
A 45 ans, Moustapha Hassan n’en peut plus de l’héroïne. Il pensait au début pouvoir contrôler sa consommation et arrêter de sniffer. Il a tout essayé, mais sa dépendance à la drogue était plus forte que tout. « En 2000, j’avais déjà perdu femme et maison. Mais je continuais à sniffer. En 2004, le même scénario était en train de se répéter avec ma 2e femme. Elle ne me supportait plus. Mais une voix intérieure me répétait qu’il était temps de commencer une cure de désintoxication », raconte Moustapha. C’est en réalité l’amour de sa femme qui l’a sauvé. C’est elle qui a pris un rendez-vous avec des spécialistes. Après avoir achevé sa cure, Moustapha a suivi des séances de soutien pour ne pas rechuter. Aujourd’hui, il aide des jeunes toxicomanes à définitivement tourner cette page de leur vie. « On leur parle des changements qui se sont opérés dans nos vies, tout en mettant en oeuvre des tactiques de défense pour ne pas rechuter », explique Hamed, 28 ans, qui est aujourd’hui assistant social dans un centre privé. Ce jeune a dû suivre différents ateliers dans une clinique psychiatrique privée. Entouré de jeunes dans la même situation que lui, il n’a aucune honte à relater son expérience. « J’avais pour habitude de passer mes soirées avec deux amis intimes. On prenait la voiture et on allait sniffer de l’héroïne quelque part dans un coin désert. Un soir, alors que j’avais tardé à les rejoindre, ils sont partis sans moi, et en cours de route, ils ont eu un accident qui leur a coûté la vie. Ce drame est arrivé en 2009 », raconte-t-il. Pour ce jeune homme, cet accident a été un signal pour mettre fin à sa dépendance.
Sept ans sous l’emprise de la drogue ont eu un impact sur la vie de Hamed. Ses parents, ses proches et ses voisins le considéraient comme un pestiféré ; personne ne voulait l’approcher ou discuter avec lui. Aujourd’hui, sa vie a complètement changé. Chaque jour, il relève ce défi, celui de convaincre une personne droguée à tourner cette page. Avec ce message sans ambiguïté, qu’il répète encore et encore: « En réalité, aucun médicament ni personne ne peut aider à sortir de la drogue. Seule sa propre détermination fera la différence ».
Lien court: