Les grèves sont quotidiennement présentes dans les médias ces derniers temps. Médecins, ouvriers, professeurs, chauffeurs ou étudiants tous font valoir leurs revendications. Chaque jour, les Egyptiens se réveillent avec l’annonce d’une grève et, à chaque fois, un nouveau secteur s’ajoute à la liste.
On voit alors travailleurs postés devant les syndicats, les ministères ou le palais présidentiel brandissant des pancartes et scandant leur refus de reprendre le travail s’ils n’obtiennent pas gain de cause. « On travaille dans des conditions difficiles et sans primes en échange. Alors, on a décidé de se mettre en grève : c’est la seule manière de se faire entendre ou d’attirer l’attention des responsables, puisque les autres moyens n’ont pas donné de résultat »,explique Ragui Nabil, chauffeur dans l’Organisme du transport public. Il affirme qu’avec ses collègues, ils ne veulent plus se contenter de miettes comme ce fut le cas les années précédentes.
Ils réclament une augmentation de salaires, pouvoir travailler par roulements et que leur organisme ne dépende plus du ministère du Transport qui abuse de leurs droits.« Nous avons fait la révolution pour obtenir des libertés et la justice sociale. Alors, on veut du changement », lance Nabil.
Avant la révolution, seuls les ouvriers se mettaient en grève. L’exemple des débrayages dans les usines de textiles de Ghazl Al-Mahalla en 2006 en sont la preuve. Car, en général, les Egyptiens n’usaient pas de ce droit, de peur d’être licenciés. C’est l’un des acquis de la révolution que les grévistes mettent en avant aujourd’hui : ils ont fini par briser le mur de la peur.
Selon le sociologue Yéhia Abdallah, la révolution a été au départ déclenchée par les intellectuels et la classe moyenne. Mais aujourd’hui, les citoyens de toutes les classes sociales se révoltent contre l’injustice et l’oppression. « La relation entre le directeur ou le propriétaire et l’employé est faite de réprimandes et d’offenses. N’importe quel travailleur sait que même s’il existe des lois, elles ne sont pas respectées. Depuis la révolution, le peuple croit à la légitimité de réclamer ses droits, dont il a été privé depuis longtemps, et use de tous les moyens possibles pour les obtenir », explique-t-il.
Traiter les problèmes comme l’ancien régime

Les médecins se mobilisent pour faire valoir leurs droits.
En effet, près de 2 ans après la révolution, aucun projet consistant n’a été proposé par le gouvernement, qui continue de traiter les problèmes comme l’ancien régime. La réaction contre la grève des conducteurs de bus l’atteste. Au lieu de discuter, les responsables ont opté pour le chantage : offrir des primes à ceux qui se remettront au travail. Mais les problèmes n’ont pas été résolus de manière définitive et les rues continuent d’accueillir quotidiennement des protestataires de différents secteurs.
Chacune de ces grèves révèle une injustice en plus des conditions de travail difficiles et des salaires dérisoires. Des problèmes qui se sont accumulés au fil des ans et qui ont mené à l’explosion.
Ces grèves aux quatre coins du pays sont devenues un cauchemar pour le gouvernement. Leurs conséquences sont dévastatrices puisqu’elles touchent directement le citoyen : il ne trouvera ni médecin pour le soigner, ni transport pour le rendre au travail, et ses enfants n’iront pas non plus en classe, faute d’enseignant.
« Ma fille a failli mourir il y a quelques jours. J’ai été obligé de prendre un taxi pour l’emmener à l’hôpital et il a fallu en plus galérer pour trouver un médecin », se plaint Khaled Gamal, fonctionnaire. Ce dernier, comme la majorité des citoyens, compte sur les moyens de transport public, sur les hôpitaux et les écoles publics, vu son salaire modeste. Et donc, quand certains organismes se mettent en grève, il dépense plus d’argent.
Pertes colossales pour l’économie
Les responsables ne cessent de faire état de pertes colossales pour l’économie du pays à cause de ces grèves. Mais rien n’y fait. « Comment les croire ? Chaque jour, on entend parler de ces sommes colossales qui ont été gaspillées pour des voyages ou des cortèges présidentiels, ou ces salaires énormes que gagnent des conseillers et des hauts fonctionnaires de l’Etat », déclare Magdi, l’un des 2 700 grévistes du port d’Al-Aïn Al-Sokhna, sur la mer Rouge. Ces derniers, en plus des revendications courantes, protestent contre les directeurs étrangers travaillant au port et qui ont licencié 8 de leurs collègues sans motif. « Les choses se passent exactement comme au temps de l’ancien régime : gouvernement incompétent, impassible, ne pouvant protéger les droits des ouvriers », explique l’un des organisateurs de la grève. Pour lui, le travail ne reprendra que lorsque leurs collègues renvoyés reprendront leur activité.
Magdi explique qu’ils vivent sous pression avec, d’un côté, les responsables qui les menacent et, de l’autre, les citoyens dont les vies sont liées à leur travail tels les chauffeurs de camions, au chômage forcé à cause de cette grève.
Ce rejet populaire grandissant vis-à-vis des grèves est justifié : rues bloquées et manque de services sont un handicap pour tous. Les citoyens, déjà épuisés, en ont assez d’entendre les travailleurs en grève assurant que s’ils obtiennent gain de cause, ce sera pour le bien de tout le monde.
Selon Sameh Fathi, médecin, les gens qui se plaignent du manque de médecins doivent comprendre que si leurs conditions s’améliorent, ceux du corps médical suivront. « Et donc, on présentera le meilleur des services aux citoyens. La même chose pour les enseignants, les chauffeurs et les ouvriers », ajoute-t-il.
Manque de conscience

« 100 jours de grève, où est le gouvernement ? ». La réaction officielle n'est jamais à la hauteur des revendications.
«
Encore une fois, ce phénomène montre le manque de conscience des Egyptiens, le manque de confiance entre les citoyens et leur gouvernement, et les citoyens eux-mêmes », analyse la sociologue Nadia Radwane. D’après elle, ces mouvements de grèves ne sont pas la solution pour obtenir des droits. «
Bien au contraire, on est en train de détruire le pays », dit-elle.
Quant aux responsables, ils ne respectent pas les droits des citoyens et ne tentent pas de leur expliquer la situation par un discours franc. Alors, poursuit Radwane, « la solution est du côté du gouvernement élu qui doit modifier son attitude et ses discours, admettre que les citoyens ont des droits, puis élaborer des plans et ne pas faire de promesses en l’air. Ainsi, les gens se remettront au travail en confiance ».
Pour les grévistes, cet avis n’est « qu’une solution théorique impossible à appliquer ».C’est l’avis de Gaber Ahmad, ouvrier à l’usine de textile de Ghazl Al-Mahalla, qui réagit aux propos de la sociologue. D’après lui, rien n’a changé et les conditions de travail des ouvriers ne font qu’empirer alors que les promesses des responsables se font de plus en plus mielleuses.« Nous avons été les premiers à avoir brisé le mur de la peur et à organiser des grèves sous l’ancien régime. On essayait de nous calmer, de nous présenter des solutions momentanées, mais jamais sur le long terme. Aujourd’hui, après la révolution, rien n’a changé. Il est temps de faire pression et les grèves sont le seul moyen d’y parvenir ! », estime Ahmad.
Ce dernier et les autres refusent de mettre fin à la grève tant qu’ils n’auront pas obtenu gain de cause. On les voit dans les médias déchirant les posters du Parti Liberté et justice. Des images qui rappellent celles des grévistes déchirant les photos de Moubarak, il y a à peine 2 ans.
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