« Le jour des fiançailles de ma fille a été le tournant de ma vie. Bien que je lui aie promis de ne pas prendre d’héroïne ce jour-là, je n’ai pas pu tenir parole. J’étais faible, incapable de résister à la drogue. En voyant ses larmes alors qu’elle aurait dû être heureuse, j’ai décidé de mettre fin à cette histoire de toxicomanie. Cela faisait plus de 21 ans que j’en consommais, en passant du haschich à la cocaïne, puis à l’héroïne, sans oublier les pilules hallucinogènes. Dès lors, arrêter est devenu pour moi une question de vie ou de mort », confie Mohamed Abdel-Moneim, ancien fonctionnaire de 47 ans. Il ajoute : « Aujourd’hui, alors que je reprends ma vie en main, je réalise à quel point j’ai été coupable envers mes enfants. Comment ai-je pu, par exemple, confisquer la eidiya (cadeau de fête) que mon fils gardait précieusement sous son oreiller pour aller s’amuser avec ses amis le jour de l’Aïd, juste pour acheter de la drogue ? Les mots de mes enfants résonnent encore dans ma tête: Tu es tellement égoïste ... ». Abdel-Moneim, qui a vaincu sa dépendance à la drogue il y a plus de quatre ans, se souvient de ces instants avec une profonde émotion.
Il fait partie des milliers d’Egyptiens qui ont bénéficié des services de soutien psychologique, de réinsertion et d’intégration sociale offerts par le Fonds de lutte et de traitement contre la toxicomanie, relevant du ministère de la Solidarité sociale. 5 % de la population égyptienne souffrent de toxicomanie, dont certains aspirent à un traitement et à une réinsertion sociale. La ligne d’assistance 16023, qui offre des services gratuits et confidentiels, reçoit chaque année environ 80 000 appels d’aide. Parmi eux, près de 170 000 personnes fréquentent les centres de traitement, où beaucoup réussissent à reconstruire leur vie.
Fouad, 32 ans, ancien employé d’une société de télécommunications, explique que la campagne menée par la star de football Mohamed Salah a été le déclic qui l’a mis sur la voie de la guérison. Il était devenu un consommateur régulier de drogue après la mort de sa mère. « Je comptais beaucoup sur elle pour gérer mon quotidien et résoudre mes problèmes. Quand elle est partie, je me suis senti perdu, perturbé et incapable de surmonter la douleur de cette perte. J’avais besoin de parler à quelqu’un, de partager mon fardeau, et la drogue est devenue mon refuge dans cette impasse. J’ai essayé plusieurs fois d’arrêter, d’autant qu’elle absorbait presque toutes mes ressources et me privait d’une grande partie de ma vie ».
Il poursuit : « J’ai appelé la ligne d’assistance, et on m’a proposé deux options : suivre un traitement chez moi, avec des visites régulières à la clinique, ou intégrer le centre Al-Azima (la volonté) situé dans le gouvernorat de Minya. J’ai choisi la deuxième option, car je me sentais trop fragile pour rester seul ». Fouad, qui est abstinent depuis trois ans et un mois, explique : « Au centre, j’ai découvert les véritables raisons qui m’avaient poussé à consommer de la drogue. J’ai été un enfant trop gâté, dépendant de ma mère et habitué à une vie de luxe. Pendant mon processus de rétablissement, j’ai compris la nécessité de changer ma manière de penser, mes émotions, mon mode de vie, mon comportement et mes façons de résoudre les problèmes ».
Aujourd’hui, Fouad travaille comme spécialiste psychologique dans le centre où il a été traité, afin d’aider d’autres toxicomanes à surmonter leur dépendance. « C’est un bénéfice mutuel: en les aidant à relever ce défi, je me sens utile et plus fort. Ce nouveau départ m’a permis de me sentir productif et indépendant. J’ai enfin trouvé la paix intérieure après un long voyage dans le chaos », confie-t-il.
Des efforts en constante évolution
Selon la ministre de la Solidarité sociale, Maya Morsy, plus de 107 000 personnes ont reçu un traitement contre la toxicomanie au cours des huit premiers mois de 2024, grâce au Fonds de lutte et de traitement contre la toxicomanie. Ce chiffre souligne la demande croissante de services d’aide aux toxicomanes à travers le pays. Les études du fonds révèlent que les principales raisons d’entrer dans le cycle de la dépendance sont la curiosité (53 %) et la pression des pairs (33 %). Les difficultés financières ont motivé 35 % des patients, tandis que 26 % ont cité des problèmes de santé physique et mentale.
« A travers ces programmes, nous tentons d’organiser des colloques avec les familles des patients pour créer un environnement qui les aide à soutenir leurs proches, car cet aspect est crucial dans ce parcours », explique Dr Amr Osman, adjoint au ministre de la Solidarité sociale et directeur du fonds. Il précise que ce service est disponible dans 33 centres de traitement répartis dans 19 gouvernorats. L’approche holistique adoptée par le fonds est conforme aux normes internationales et répond aux besoins immédiats et continus des personnes en lutte contre cette maladie.
« L’approche des centres est très efficace », témoigne Essam Khidr, 34 ans, ancien vendeur, qui a commencé à consommer de la drogue à l’âge de 17 ans. « J’ai essayé plusieurs fois d’arrêter, mais en vain. J’ai même tenté de m’éloigner en changeant de lieu. J’ai presque tout perdu : mes parents, mon travail et mes amis. Lorsque je me regardais dans le miroir, je ne reconnaissais plus cette personne, moitié vivante, moitié morte. Au début, je doutais de la qualité des services du fonds, d’autant plus qu’il s’agissait d’un centre gratuit dans une région éloignée de la Haute-Egypte. Mais une fois sur place, j’ai découvert une nouvelle facette de la vie : des terrains de football, de vastes espaces verts et un personnel dévoué à offrir son aide. Cette nouvelle ambiance m’a aidé à transformer mes habitudes quotidiennes : faire du sport, manger sainement et prendre soin de mon apparence ».
Essam poursuit : « Aujourd’hui, j’essaie d’aider les malades. J’ai aussi tissé de nouvelles relations et élargi mes cercles sociaux, qui remplacent ceux qui me poussaient vers la drogue. J’ai assisté à un stage gratuit au centre pour apprendre à réparer les téléphones portables, ce qui m’a permis de trouver un emploi et de gagner ma vie ».
4 % des femmes demandent de l’aide
Selon un récent rapport du fonds, 96 % des personnes qui demandent de l’aide sont des hommes, contre seulement 4 % de femmes. Noha, avocate de 41 ans et mère d’une fille, explique les défis particuliers auxquels les femmes sont confrontées dans ce domaine. « La situation est encore plus complexe pour les femmes, car beaucoup hésitent à demander de l’aide, que ce soit à leur famille ou à leur entourage. Le stigmate attaché à la toxicomanie est plus lourd pour les femmes, car la société est généralement plus tolérante envers les hommes. Pour une femme, on a l’impression qu’elle a tout perdu: sa dignité, voire son honneur. Cela se reflète dans le fait que les centres de traitement offrent moins de lits et de services aux femmes ».
Les femmes ne représentent que 4 % des personnes qui appellent la ligne d’assistance.
Grâce au soutien de son père et de son mari, Noha a pu se rétablir. « J’ai sombré dans la toxicomanie à cause des pressions de ma carrière. Après 20 ans de dévouement, on a nommé un supérieur à ma place. Une collègue m’a alors conseillé d’essayer l’héroïne, et tout a commencé. Mais les yeux terrifiés de ma fille en me voyant renifler cette poudre ont été le déclencheur de ma décision d’arrêter. Aujourd’hui, je continue ma carrière, mais j’ai appris pendant mon traitement à gérer le stress et la déception autrement ».
Emancipation et défis
Le fonds cherche à renforcer la durabilité de ses efforts en favorisant l’émancipation économique des personnes en rétablissement. « Nous facilitons l’accès à des prêts via la Banque Nasser et proposons des formations adaptées aux besoins du marché du travail », explique Dr Amr Osman. Il ajoute : « Nous avons établi un partenariat avec la Banque des vêtements, permettant aux toxicomanes en voie de guérison de fabriquer des habits. Jusqu’à présent, 10 personnes ont produit environ 450 pièces. En plus, plusieurs centres de traitement ont été équipés avec des meubles qu’ils ont fabriqués ».
Au centre Al-Azima à Minya, les toxicomanes retrouvent espoir.
Malgré ces efforts, les toxicomanes en rétablissement continuent de faire face à de grands défis, notamment le stigmate social, qui affecte leur vie professionnelle et personnelle. « Personne ne voudra marier sa fille à un ancien toxicomane ou lui offrir un emploi », déplore Dr Amr Osman. « Obtenir un prêt pour financer un projet est également difficile », confie-t-il
Les médias jouent aussi un rôle négatif, souvent en présentant les toxicomanes comme des criminels plutôt que comme des malades nécessitant un traitement. Les familles, quant à elles, doivent comprendre que les rechutes ne marquent pas la fin du processus, mais peuvent être une étape vers la guérison. Elles doivent garder espoir et offrir une nouvelle chance à leurs proches.
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