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La bataille contre le cancer infantile

Dina Bakr, Dimanche, 20 avril 2014

Soigner un nourrisson atteint d'un cancer est une épreuve traumatisante. Séjours à l'hôpital, traitements lourds et souffrances de l'enfant, les familles et surtout les mères franchissent une série d'obstacles pour une guérison qui n'est jamais garantie.

 La bataille   contre le cancer infantile
(Photo: Abdel-Hamid Eid)

« Quand j’ai appris que mon bébé avait un neuroblastome (cancer du système nerveux), il n’avait que 4 mois. Du coup, lui et moi sommes devenus une seule personne. Je ne le quitte plus. Même en allant aux toilettes, je garde Adam dans mes bras. Pour me rassurer, je le serre très fort contre moi et lui se sent en sécurité en écoutant les battements de mon coeur », raconte Marwa, 28 ans, qui a reçu le plus grand choc de sa vie en apprenant que son deuxième enfant était atteint d’un cancer. Ce duo, bébé et maman, passe plus de temps à l’hôpital qu’à la maison.

Marwa est assise dans la chambre d’hôpital de son enfant. Elle ne le quitte pas des yeux. Le visage enflé, il ne cesse de lancer des cris étouffés. La veille, il a subi une séance de chimiothérapie. Cette mère a passé une nuit blanche, car les effets secondaires de la chimiothérapie ont provoqué une diarrhée et il a fallu lui changer à plusieurs reprises ses couches et le calmer. « Après avoir vu d’autres enfants plus âgés se lamenter, j’ai remercié Dieu, car mon bébé ne parle pas encore. Je n’aurais pas pu supporter qu’il me décrive ses souffrances. Dieu est bon, il m’a épargné cela. Suite à la maladie de mon fils, j’ai exploré Internet pour en savoir plus. C’est dur d’être au courant des moindres détails d’une tumeur maligne d’un bébé de quelques mois, qui est en plus mon fils », poursuit-elle.

De nature peureuse, Marwa ne supportait pas de rester seule chez elle, mais la maladie de son fils lui a donné le courage et la patience d’affronter sa phobie et cette maladie. « Lorsque le médecin nous a annoncé le diagnostic, le taux de risque était faible mais quelques mois plus tard, il s’est montré plus pessimiste », continue Marwa qui a appris que la tumeur est enroulée autour de l’aorte. « Je sais que le traitement va être long et difficile, mais je crois en Dieu et Lui seul peut le sauver. Et donc, il ne me reste plus qu’à prier et attendre qu’il guérisse », dit-elle tristement.

Le centre des recherches de l’hôpital 57357 des enfants cancéreux a enregistré, depuis son inauguration en 2007 jusqu’en 2014, 351 cas de bébés (de moins d’un an) atteints de leucémie, 143 de tumeurs cérébrales et 1 165 atteints d’autres tumeurs malignes. Selon Alaa Haddad, directeur de l’Institut national de cancer, le cancer des nourrissons ne diffère pas de celui des enfants. Il en existe 8 genres : la leucémie, le cancer des os, du système nerveux et autres tumeurs malignes qui peuvent être découvertes dans différentes parties du corps. C’est souvent par hasard et quand les symptômes persistent que l’on découvre ce mal. En général, quand le traitement prescrit pour une fièvre, un mal de ventre, une diarrhée ou une constipation ne donne pas de résultats, les parents veulent en connaître les raisons.

L’atmosphère est tendue

L’hôpital 57357 ressemble à un labyrinthe. Plusieurs portes séparent les chambres des malades, de la salle des médecins, celle des soins et la chambre de garde. Les médecins, la tête plongée dans leurs dossiers, cherchent en même temps quelques informations sur leurs ordinateurs. L’atmosphère est tendue. Ils discutent du protocole de soins convenant à chaque cas de cancer. « Pour les nourrissons, le traitement s’avère plus délicat, car la dose de chimiothérapie doit être bien calculée, soit 3 mg de chimiothérapie pour chaque kilo et suivant le poids des nourrissons », explique Alaa Haddad.

Avant de pénétrer dans la chambre d’un malade, il faut se laver les mains convenablement et porter un masque. Des mesures d’hygiène que respecte tout le monde. Dans la chambre de Nelly, c’est le grand-père qui lui tient compagnie. Une tétine à la bouche, une sonde qui lui permet d’évacuer son urine et un cathéter planté dans la main, maintenu par un sparadrap, on peut voir les larmes couler sur son visage. La télé est branchée sur la chaîne coranique. De temps en temps, le grand-père fait des gestes burlesques pour l’amuser ou la faire sourire malgré elle. « C’est ma première petite-fille, et je ne peux pas la laisser seule après sa première séance de chimiothérapie », lance Hassan, tout en jetant un regard de compassion vers ce bébé de 11 mois. Le problème de santé de Nelly a commencé par une constipation chronique. Le pédiatre a recommandé à la maman de lui faire boire du jus de raisin, d’orange et de prunes pour éviter la prise de médicaments. « On ne pensait pas que c’était aussi grave », dit le grand-père. Il explique que c’est par hasard qu’ils ont découvert la maladie. C’est quand l’infirmière a essayé d’introduire un laxatif par l’anus que le médecin s’est rendu compte qu’il y avait un problème. Une échographie a montré qu’une tumeur était collée à l’anus. « Ma fille n’a pas supporté de voir son bébé dans de telles conditions. Par contre, moi, je suis habitué à affronter les problèmes, j’ai même élevé mon jeune frère avant de me marier », poursuit-il, tout en espérant que sa petite fille guérira rapidement pour qu’elle puisse jouer comme les autres enfants.

La maladie de Yara, 6 mois, a pris d’autres dimensions. Originaire de Charqiya au nord-est du Caire, elle a une tumeur qui part de la rate et coince son estomac. La petite s’est retrouvée en soins intensifs car son coeur s’est arrêté de battre soudainement. « 17 jours en soins intensifs pour un bébé de cet âge, c’est pénible à supporter. Rien de plus déchirant que de voir son propre enfant branché à un électrocardiogramme pour surveiller les battements de son coeur, un tensiomètre pour contrôler sa tension toutes les quinze minutes, avec un tube dans le nez pour l’alimenter et un morceau de gaze mouillée sur le front pour baisser la fièvre », décrit sa mère, en essuyant ses larmes. Elle ajoute qu’elle continue de lui donner le sein : « Lorsque je l’allaite, je ressens ses souffrances comme si elle me parlait ». Cette femme parle de son bébé comme s’il s’agissait d’un adulte et elle est persuadée que sa souffrance ne va pas durer. Pour elle, Dieu est grand et miséricordieux.

Pas d’accointances

Au sein de l’hôpital 57357, le personnel tente de remonter le moral aux parents. Le seul avantage pour ces nourrissons, c’est le fait qu’ils n’ont pas encore établi d’accointances avec le monde extérieur. Alors, la mission du département social et psychologique est de se concentrer sur les parents. « On va leur expliquer chaque détail de la maladie, tout en cherchant les causes sociales qui peuvent entraver le traitement de leurs enfants et leur convalescence, à savoir: problème conjugal, résidence éloignée dans un autre gouvernorat, manque de moyens, difficultés de transport », confie Mohamad Al-Chami, chef du département psychologique.

Ce département social s’assure également que la famille jouit du minimum de confort à la maison pour éviter que le bébé ne rechute durant le traitement, comme s’assurer que le bébé dispose d’un lit pour passer des nuits paisibles. Cet hôpital reçoit des enfants de tous les coins d’Egypte et même des pays frontaliers. Les enfants sont toujours les bienvenus et la gratuité des soins est assurée pour tous.

Oum Ahmad est venue du Soudan. Son bébé de 9 mois est atteint d’un cancer de l’oeil droit. Une intervention urgente est nécessaire pour lui retirer la cornée. Pour l’oeil gauche, il subira quelques séances de chimiothérapie pour éviter sa perte. Ce beau garçon ne cesse de pleurer aux urgences. Un tensiomètre attaché à son bras gauche, un thermomètre sous son aisselle, ses cris déchirent le coeur. « Nous sommes là depuis un mois. Nous avons loué un appartement à Abdine et nous ne savons pas combien de temps nous allons rester », dit Oum Ahmad entourée de ses proches qui ont tenu à l’accompagner.

Dans cet hôpital, les enfants sont accompagnés de leurs parents. Ces derniers ne semblent pas voir les gens qui passent devant eux. Les regards hagards, ils semblent perdus. Le département de psychologie se penche sur l’état émotif des parents dont les enfants sont atteints de cancer, surtout lors de la période de soins et de convalescence. « On s’intéresse beaucoup plus aux parents des nourrissons, car les enfants à cet âge-là font la distinction entre un sourire naturel et un sourire forcé. La mission des parents, surtout la maman, est de créer une atmosphère apaisante, relaxante et douce au bébé », explique Mohamed Al-Chami. Il ajoute que parfois il doit prescrire un tranquillisant à la mère, souvent déboussolée.

« Trop petit pour son âge »

Au milieu de ce décor moderne et lumineux grâce aux baies vitrées, l’inquiétude ronge les familles. Même si les médecins disent que l’enfant va mieux ou que son état s’améliore, les parents ne sont pas rassurés. Ils craignent la rechute car avec une tumeur maligne, rien n’est garanti. « Je me suis rendue à l’unité médicale de Minya pour lui donner son premier vaccin, les infirmières m’ont annoncé que mon fils Moaz est trop petit pour son âge. J’ai pensé que cela était dû à la césarienne que j’ai subie lors de l’accouchement », explique Asmaa, qui ajoute qu’à 11 mois le ventre de son bébé a commencé à grossir de manière anormale. « C’est notre premier garçon après une fille. Et chez nous, en Haute-Egypte, c’est une fierté que d’avoir un enfant de sexe masculin », annonce-t-elle. Lorsque le médecin lui a ordonné de sortir de la salle de consultation en saisissant les résultats des analyses, Asmaa a compris qu’il s’agissait de quelque chose de grave. « Je n’ai jamais entendu que les nourrissons pouvaient être atteints d’une maladie aussi grave », lance-t-elle tristement. Cette maman s’est pliée aux besoins du traitement en restant aux côtés de son bébé, « son homme » qui, selon elle, va perpétuer le nom de son père.

D’après le Dr Youssef Madani, cancérologue, la leucémie infantile est le plus mauvais cas de cancer avec un traitement très difficile. « De la même manière, le neuroblastome nécessite une radiothérapie. On évite de l’utiliser durant les 3 premières années d’un enfant, car ce traitement réduit les chances d’avoir une croissance normale même après l’arrêt des traitements », explique Youssef Madani, en ajoutant que la radiothérapie tue les cellules de croissance dans le cerveau. Il précise qu’une tolérance maximale est exigée.

Pourtant, plusieurs facteurs donnent espoir : le taux de guérison de la leucémie atteint actuellement les 80 % après l’âge d’un an. En 1970, ce taux ne dépassait pas les 13 %. « La science évolue, les recherches actuelles préconisent un autre moyen de traitement, qui ne ressemble pas à la chimiothérapie et qui détruit toutes les cellules qui se reproduisent. Ce traitement ciblera uniquement les cellules cancéreuses. C’est la thérapie cible », conclut Madani. Des recherches scientifiques qui restent le seul espoir de ces parents accablés par cette expérience .

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