La campagne explique aux femmes que la mammographie ne cause pas le cancer.
Une atmosphère tendue pèse sur la salle. Le silence règne, tout comme l’attention des participantes, toutes des femmes. Cette session d’information et de dépistage est organisée par l’Association égyptienne pour la lutte contre le cancer du sein.
Nous sommes au siège de cette association caritative située à Choubra. Dans la salle, le silence glacial prouve qu’il s’agit d’un sujet sensible.
Des médecins et des spécialistes commentent un diaporama de photos sur le cancer du sein. Les explications sont longues et précises sur l’importance du dépistage sous ses trois formes : il doit continuellement faire l’objet d’une attention ; d’abord personnelle puis médicale si une anomalie est détectée et enfin, sur recommandation du médecin, il prend la forme d’un examen mammographique.
Abir Al-Morchedi, directrice des programmes des services communautaires à la Fondation égyptienne du cancer du sein (BCFE), sort un faux sein et apprend aux femmes comment le toucher pour détecter la tumeur. Les interrogations se multiplient … L’inquiétude est palpable … Le silence laisse entendre les battements de coeur …
« Quelqu’un souhaite une clarification ? Personne ? Alors, le médecin vous attend pour un examen clinique », assène Al-Morchedi. Malgré la méfiance des femmes, elles sont de plus en plus nombreuses à répondre aux appels de dépistage précoce lancés par la fondation.
« Nous avions prévu 45 consultations, mais nous avons reçu 55 femmes qui veulent faire ce dépistage. Par manque de temps et de moyens, nous ne pouvons que leur promettre un prochain rendez-vous », regrette Al-Morchedi. BCFE organise en ce moment une campagne intitulée Contribue au traitement, joue un rôle positif !.
« Nous nous rendons dans les usines, les ministères, les sociétés, les clubs … pour sensibiliser les femmes à l’importance du dépistage. Nous avons commencé en 2004. Depuis, nous avons remarqué un certain changement. Le cancer n’est plus cette honte dont les gens évitent de parler. Il n’est plus tabou. Les gens sont de plus en plus disposés à en parler pour en savoir plus », explique Dr Mohamad Chaalane, président de la Fondation du cancer du sein et professeur à l’Institut national des tumeurs.
Pour Chaalane, l’impact de la fondation est un succès avec notamment le dépistage de 3 000 femmes travaillant à la Société égyptienne des communications. Un dépistage a été aussi effectué pour les fonctionnaires des ministères du Logement et des Finances.
A l’association Dar Ahbab Al-Moety à Choubra, des femmes essayent d’engager la conversation. Elles s’encouragent mutuellement pour effectuer un dépistage. Quelques-unes se forcent à montrer qu’un tel test est tout à fait normal, surtout après 40 ans. Mais nombreuses sont celles qui voient les choses d’un regard pieux, considérant que seule la clémence de Dieu pourrait les sauver d’un tel mal.
« Etre atteint de cette maladie ou pas est notre destin, on ne peut pas y échapper. Mais Dieu a dit que toute maladie possède son traitement », répète Magda, directrice de l’association, lorsqu’elle sent que beaucoup des invitées au dépistage ne sont pas venues.
Car la peur de la chimiothérapie et de la radiothérapie est très présente chez les femmes et les empêche de venir faire un dépistage. « Je suis pharmacienne, il y a 3 ans que je voulais faire un dépistage. Mais, je n’ai décidé de le faire que lorsque j’ai vu une amie souffrir de cette maladie », raconte Somaya, en essuyant ses larmes.
Bien qu’elle soit pharmacienne, Somaya déteste la manière dépourvue d’amicalité des chirurgiens de renom qui prennent la malade comme un simple cas sans prendre en considération la psychologie des patientes. « Le soutien psychologique représente près de 80 % du remède au cancer du sein », estime Somaya.
Les mentalités évoluent
Un modèle de sein pour se faire examiner chez soi.
Hala, 40 ans, guide touristique, ne craint pas la maladie. Son père a été touché par un cancer du foie. Il n’a pas survécu longtemps à la maladie car le dépistage s’est fait tardivement. Sa mère a combattu pendant 4 ans un cancer de l’utérus, alors que Hala était encore enfant. « J’effectue des examens médicaux de manière régulière. Je suis à travers Internet toutes les informations médicales qui décrivent les différentes formes de la maladie et je regarde les horaires des campagnes de sensibilisation et de dépistage ».
Hala garde en mémoire le cas de ses parents et a appris que plus la détection du cancer est précoce, plus les chances de guérison sont grandes. Mère de 2 enfants, elle ne peut se permettre de négliger sa santé. Ses souvenirs d’enfance lui rappellent trop les souffrances qu’elle a endurées à cause de la maladie de sa mère.
Mes soeurs et moi, nous étions encore des enfants et ma tante paternelle venait essayer les vêtements de ma mère sans nous aider à la maison », raconte-t-elle. Cette expérience prématurée a amplifié chez elle le sentiment de la nécessité de dépister la maladie le plus tôt possible.
Nachwa, 55 ans, reste clouée sur sa chaise après la conférence. Elle ne veut pas bouger de sa place pour effectuer le dépistage. « Si je suis atteinte d’un cancer, je risque de perturber le mode de vie de mes enfants. Ma fille est fiancée et mon fils passe le bac. Je pense rester sans consultation médicale jusqu’à la fin du mois de mai ».
Khadiga, une des assistantes de la fondation, a réussi à la convaincre que c’est pour l’amour de ses enfants qu’elle doit effectuer cet examen médical : c’est ainsi qu’elle pourra demeurer en bonne santé auprès de ses enfants.
Dans la salle du dépistage médical, Hanan, une bénévole, remplit les formulaires des femmes présentes. Les informations sont importantes pour le diagnostic : âge, statut social, passé médical, moyens contraceptifs, tabagisme et hérédité. Avec un ton calme et un visage souriant, elle remplit les formulaires en rassurant les participantes. Fatma Ismaïl, professeur d’arabe pour les analphabètes, a ramené ses élèves dont l’âge varie entre 20 et 70 ans pour effectuer un dépistage. « Ma vocation de professeur pour adultes m’a appris que la sensibilisation est importante pour sortir de toutes sortes de crise. J’ai dû faire plusieurs cours pour réussir à convaincre une dizaine d’élèves d’effectuer ce dépistage », avoue Fatma Ismaïl. Elle a d’abord lu les brochures de la fondation sur le cancer du sein puis a fait comprendre à ses élèves que le taux de guérison pouvait atteindre 98 %.
Si le concept de maladie « maligne » ou « féroce » n’existe plus chez les femmes, il a fallu pas mal de temps pour rompre la barrière du silence et de la peur. Les médias accueillent davantage de personnes qui ont réussi à guérir de la maladie. Pendant le dernier mois du Ramadan, le feuilleton Les Noces de Laïla a traité ce sujet et a montré que le dépistage précoce avait sauvé l’héroïne, qui s’est, par la suite, mariée et a mené une vie conjugale normale.
« Je me souviens très bien qu’il y a près de 10 ans, j’étais accueilli dans un talk-show très connu à l’époque avec une personne qui a survécu au cancer. Au début, les présentateurs ne voulaient pas qu’elle apparaisse à l’écran en prétextant qu’il n’y avait pas assez de chaises mais j’ai refusé. J’ai insisté car les téléspectateurs devaient la voir », raconte Dr Chaalane. Il avance qu’à l’époque il était mal vu de faire parler des personnes ayant survécu au cancer. Mais petit à petit, les médias ont commencé à traiter ce sujet, notamment en donnant la parole aux médecins.
Budgets insuffisants
« Je suis venue pour saisir ce dépistage gratuit. Il me faut au moins 700 L.E. pour aller chez un médecin et faire une mammographie », confie Iman, 50 ans, divorcée. Iman touche la retraite de son père défunt qui s’élève à 900 L.E. par mois. Il lui est impossible d’aller ailleurs car elle a un frère au chômage qui vit avec elle dans le même foyer. « Si je perds ma vie, mon frère n’aura pas d’argent pour vivre, j’ai eu la pension de mon père car je suis divorcée, mais lui, il n’a pas le droit de toucher cette somme. Il doit travailler, mais il ne bouge pas », regrette Iman.
Le budget du ministère de la Santé, près de 2 milliards de dollars, ne suffit pas pour répondre aux demandes de dépistage précoce du cancer. Selon les propos du Dr Chaalane, l’année dernière, les Etats-Unis ont déboursé 11 milliards de dollars pour le traitement du cancer du sein.
C’est le moment du dépistage clinique, Dr Chérine Khalil, spécialiste de la médecine communautaire, change de gants pour chaque patiente. Les femmes balbutient des versets du Coran. Elles gardent les yeux fixés sur le visage du docteur Chérine Khalil pour y déceler une expression rassurante. Elles ne veulent entendre qu’une seule phrase :« C’est bon, vous n’avez rien ».
Une consultation chez le médecin représente déjà la moitié du chemin. « Vous êtes invitées à aller faire gratuitement une mammographie pour être sûres que vous n’avez besoin d’aucun médicament ». C’est ainsi que Dr Chérine conseille aux femmes de ne pas se contenter de l’examen clinique (palpation), une mammographie doit avoir lieu tous les 2 ans après 40 ans. Les femmes ressortent en tenant des coupons de la fondation pour aller faire gratuitement la mammographie.
Les mutations sociales et une prise de conscience ont permis de faire une croix sur les superstitions : il ne suffit plus de ne pas parler de la maladie pour ne pas tomber malade … .
Sois positive et brise les tabous !
La Fondation égyptienne pour le cancer du sein a organisé une campagne intitulée Be Part of the Cure (espoir pour le dépistage précoce du cancer du sein). Cette maladie est la plus répandue parmi les femmes arabes et égyptiennes. 33 % des femmes qui subissent un traitement à l’Institut national de cancer sont atteintes d’un cancer du sein. « Il y a 10 ans que nous lançons ces campagnes. Au début, le problème était de retrouver la patiente après le rapport final de la mammographie. Je me suis longuement disputé avec les assistantes car elles n’avaient pas suffisamment de détails sur la malade », remarque Dr Mohamad Chaalane, président de la Fondation égyptienne du cancer du sein.
La campagne ne s’arrête pas au dépistage. La fondation fait un suivi de la malade et offre des brochures qui expliquent les étapes du traitement ainsi que les maux, les métamorphoses corporelles et les symptômes apparents au niveau du bras adjacent au sein atteint. « On propose à la femme un nouveau mode de vie qui convient à sa maladie pour une guérison complète », souligne Dr Chaalane, précisant que la fondation organise des réunions de groupe pour que la patiente ne se sente pas seule.
« Je suis vraiment content quand je vois des élèves du secondaire qui viennent participer au marathon pour soutenir leurs mamans malades », se souvient Dr Chaalane.
Même les habitants de la Haute-Egypte sont plus sensibilisés à la maladie. « Je suis allée faire un dépistage dans un hôpital public au centre-ville. Cela fait 3 mois que je fais l’aller-retour entre Ménoufiya, où j’habite, et cet hôpital, et la consultation n’est pas encore finie », relate Samiha, une villageoise. Pourtant, si elle est vraiment atteinte du cancer du sein, son état pourra facilement se détériorer. Selon le rapport de l’Agence internationale des Nations-Unies pour les recherches du cancer publié en 2014, le dépistage précoce peut aider à la guérison de 25 % des cas atteints de cancer.
Il faut discuter de cette maladie en public afin d’améliorer les résultats de la guérison. En plus, les femmes doivent prendre en considération les changements dans la couleur, le toucher, ou la forme du sein ou du mamelon pour consulter le médecin. De même, 80 % des lésions des seins peuvent être des pathologies mammaires. 90 % des tumeurs qui sont découvertes d’une manière précoce peuvent être traitées avec un grand succès.
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