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Mahallet Marhoum s'en sort

Dina Bakr, Lundi, 03 février 2014

Les centres de jeunesse manquent de moyens et d'infrastructures. Certains parviennent malgré tout à survivre, d'autres au contraire sont livrés à l'abandon.Reportage à Gharbiya et au Fayoum.

Mahallet Marhoum s
Les juniors de l'équipe de football sont aujourd'hui demandés dansde grands clubs. (Photo:Ahmad Aref)

A 100 km au nord du Caire, au gouvernorat de Gharbiya se trouve l’un des plus anciens centres de jeunesse celui de Mahallet Marhoum, du même nom que le village dans lequel il se trouve. Inauguré en 1961, ce centre se trouve au centre du village. A l’entrée, on peut voir une plaque de marbre, usée par l’érosion, sur laquelle on peut lire difficilement la date de son inauguration ainsi que les noms du président Gamal Abdel-Nasser et du ministre de la Jeunesse de l’époque, Mohamad Ahmad. Aujourd’hui, le centre témoigne d’un renouveau. Une atmosphère conviviale règne dans la salle principale qui grouille de monde. Filles et garçons, employés, éducateurs, parents et accompagnateurs sont présents, tous âges confondus de 3 à 60 ans, et tous semblent se connaître. La journée est scindée en trois, de 9 heures du matin jusqu’à minuit.

Malgré la modestie des lieux, il y a des joueurs qui ont remporté des médailles au championnat d’Egypte et face à de grands clubs comme Zamalek. Abdallah, 19 ans, s’est classé troisième au championnat national de lutte en 2013 face à un joueur de Zamalek. « On est le seul centre de jeunesse qui joue contre des clubs sportifs de grande renommée. On s’entraîne sérieusement malgré les moyens modestes », lance Abdallah.

En effet, ce centre rend service également à plusieurs villages voisins, Kafr Hema, Kafr Al-Arab et Mahallet Al-Namla. Il compte 5 000 abonnés. C’est à travers une petite porte de la salle d’accueil qu’on a accès au stade de football. Très concentré, le capitaine Ibrahim entraîne ses poulains. Il est connu pour son engagement envers eux. « Si un joueur n’arrive pas à acheter sa tenue de sport. Je la lui offre pour éviter qu’il ne soit complexé par rapport à ses camarades. Heureusement, je travaille dans deux clubs privés », dit Ibrahim affirmant que les moyens financiers ne doivent pas être un obstacle pour un joueur. Il confie qu’il y a des juniors très doués qui sont nés en 2000 et qui aujourd’hui, sont demandés dans de grands clubs comme Moqaouloun, Smouha et Wadi Degla.

Ibrahim exige que le joueur soit studieux à l’école, et il se permet même de vérifier les carnets scolaires de ses joueurs surtout en fin d’année. S’ils ont de mauvaises notes, ils ne peuvent pas continuer aux entraînements. Mahmoud, 10 ans, quatrième primaire, évite de jouer au football dans la rue. « Si mon entraîneur me voit jouer dans la rue, il pourrait me priver pour toujours d’entraînement. Il ne cesse de nous répéter que dans la rue on peut se faire mal ou être insulté par les autres, ce qui est inadmissible dans le sport », dit Mahmoud qui suit le conseil de son entraîneur.

Saïd, 15 ans, en troisième préparatoire, dit que c’est dans ce centre qu’il a appris que le football est un sport d’équipe et que si quelqu’un veut faire le fanfaron au stade, il ne brillera jamais. Un code d’éthique que les entraîneurs tentent d’inculquer aux jeunes footballeurs. Ils essayent de ne pas être agressifs en passant le ballon, cela s’appelle en football man to man. Les entraîneurs font tout pour inculquer l’esprit sportif aux joueurs surtout dans les jeux qui exigent de la force physique comme le judo et la lutte.

Dans une salle voisine, c’est le lieu réservé au sport féminin. Le karaté est le jeu dominant. Le hadj Ali, 45 ans, paysan, a décidé de ramener sa fille de 10 ans pour apprendre le karaté. Le fait que les filles pratiquent un sport de défense est tout nouveau dans ce village. Aujourd’hui, et avec la violence qui sévit dans le pays, les villageois veulent que leurs filles soient capables de se défendre lorsqu’elles sortent dans la rue. C’est dans la salle d’entrée que l’entraînement de karaté a lieu. Hadj Ali ne trouve aucun inconvénient à ce que l’entraîneur soit un homme. Toutes les filles portent le voile et les parents sont là pour observer le moindre geste de Ramadan, l’entraîneur, afin de s’assurer qu’il ne dépasse pas les limites. En effet, ce centre sert à la fois de club sportif, de lieu de rencontre pour les familles du village, mais aussi de lieu d’initiation pour les jeunes filles.

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Dans une pièce vétuste au plafond délabré et aux murs lézardés, Oum Hachem, chargée de la section réservée aux femmes et aux filles, insiste sur l’importance d’apprendre aux filles différentes astuces pour économiser le temps et l’argent. En écossant des petits pois, elle apprend aux filles à les disposer dans des sachets en plastique pour les conserver dans le congélateur. Cette méthode permet aux familles à faible revenu d’économiser de l’argent. « Acheter un kilo de légumes frais de saison à 4 L.E. est certainement meilleur que d’acheter un sachet de 400 mg de légumes congelés à 5 L.E. », explique Oum Hachem. « On append aux jeunes filles à gérer un foyer. On les initie à des travaux manuels tels que la broderie, la décoration des meubles, la plomberie et la peinture », explique Oum Hachem qui se fait aider par des spécialistes durant ses cours.

Am Hassan, plombier, donne également quelques cours de plomberie aux filles.

Ce centre est composé de 9 salles dont 4 seulement sont en service : la salle de bibliothèque, la salle d’entraînement de judo et de lutte, une troisième pour l’informatique et une quatrième pour les activités destinées au sexe féminin. Cette dernière salle est en service depuis deux mois et accueille 25 filles. « J’ai appris qu’il y avait une section pour les femmes par l’intermédiaire de ma voisine Abir dont la maman travaille au centre et qui nous apprend beaucoup de choses », confie Basmala, 16 ans,

Moyennant une petite somme (5 L.E. par an), les villageois ont accès à un service sportif satisfaisant. Cependant sur les 5 000 abonnés, 1 700 trouvent des difficultés à verser la modique somme de 5 L.E. C’est pour cette raison qu’une grande banderole annonce que celui qui va rembourser les anciens abonnements impayés profitera d’une réduction de 90 %. « C’est la honte si on exclut certains pour défaut de payement. Ici les relations sont étroites et tout le monde se connaît », explique Fawzi Al-Guindi, président du centre en ajoutant que la direction tente de surmonter les difficultés financières par différents moyens. En effet, le ministère de la Jeunesse consacre au centre 8 000 L.E. annuellement pour payer les activités. Mais, si le centre fonctionne, c’est grâce à quelques dons versés par certains hommes d’affaires du village et quelques habitants aisés. Un compte bancaire a été ouvert pour recevoir ces dons. « Ce centre est le seul en Egypte qui est abonné à plusieurs fédérations de sport comme le football, le judo, la lutte, la boxe, le karaté et le tennis de table », souligne Al-Guindi. La location des locaux qui dépendent des Waqfs s’élève à 1 400 L.E. par mois. « Depuis 2009, nous n’avons plus versé de loyer aux Waqfs. Notre priorité est de couvrir les dépenses des activités et de former les jeunes », dit le directeur du centre, Abdel-Nasr Al-Kafrawi.

De son côté, Khaled Abdel-Aziz, ministre de la Jeunesse, a promis aux responsables de ce centre de revêtir le terrain de foot de gazon artificiel pour profiter davantage de cet espace. « Les dépenses annuelles du centre s’élèvent à 134 000 L.E. Nous espérons être sur la liste des priorités du ministère, car les autres centres de jeunes situés dans les villes obtiennent une allocation de 70 000 L.E. par an et ils n’ont pas le quart de nos activités », affirme Al-Guindi en espérant que ce centre ne « sera pas oublié ».

Dans la grande salle, des réunions et des fêtes ont lieu. « Cette salle a même servi pour le vote du référendum. Et avant le vote, nous avions invité des professeurs de droit, originaires de notre village pour expliquer aux gens les articles de la Constitution », explique Mossaad, responsable de la bibliothèque, tout en dressant des morceaux de toiles multicolores pour dissimuler la moisissure qui recouvre les murs. Après le 25 janvier 2011, les gens ont une plus grande conscience et veulent comprendre ce qui se passe autour d’eux. Du coup, le rôle du centre est devenu plus important pour ces villageois.

Des moyens modestes qui n’empêchent pas le personnel de ce centre d’aller de l’avant et de faire en sorte qu’il continue à accueillir les jeunes de ce village. Kamal Abou-Chanab, entraîneur expérimenté au centre depuis une douzaine d’années, montre la moisissure qui suinte les murs de la salle d’entraînement qui est très froide l’hiver et trop chaude l’été à cause de la toiture construite de barreaux d’acier. Une partie du plafond laisse échapper la lumière et la pluie s’infiltre dans la salle. Des demandes ont été adressées au ministère afin d’avoir un tapis de lutte mais le centre n’a reçu aucune réponse. « On s’entraîne sur des tapis de judo qui ne sont pas de la même épaisseur et qui ne permettent pas un entraînement optimal pour la lutte », dit Abdallah, fier d’avoir réalisé un bon résultat au championnat surtout dans de telles conditions. Mohamad Farag, instructeur d’informatique, souhaite avoir des bourses gratuites du ministère pour enseigner aux jeunes le Photoshop et l’entretien, afin de réaliser l’objectif des centres de jeunesse, à savoir parvenir à l’épanouissement de la jeunesse et leur faciliter la tâche de trouver une offre d’emploi.

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