« Les rêves ne devraient pas avoir de plafond. L’impossible est accessible, c’est une question d’effort et de temps », dit Alexandra Kinias, fondatrice de l’initiative Women of Egypt (femmes d’Egypte) qui vise à autonomiser les femmes. Agée de 59 ans, celle-ci s’est lancé un défi : l’ascension du mont Kilimandjaro en Tanzanie, culminant à 5 895 mètres, le plus haut sommet d’Afrique et le quatrième plus haut sommet du monde. Son objectif n’est pas seulement de briser une barrière physique, mais aussi de défier les idées reçues de la société sur l’âge et la force. En d’autres termes, l’aventure de gravir le mont Kilimandjaro vise à briser les stéréotypes liés au vieillissement et à encourager les autres, en particulier les femmes, à suivre leur passion, quel que soit leur âge. « Je rêve depuis mon enfance de gravir le Kilimandjaro, mais à cause des préoccupations de la vie, j’ai dû reporter ce rêve. Des années sont passées et lorsque j’ai approché la soixantaine, j’ai décidé qu’il était temps de réaliser ce rêve », affirme Alexandra, membre des « Kiligyptian Women » (terme qui combine le mot Kilimandjaro et femme égyptienne). Selon elle, 60 ans, ce n’est pas la fin. Il est vrai que son corps lui rappelle sans cesse son âge. Mais elle se dit que si le physique l’arrête, elle se remet d’appoint et repart. Telle est sa vision de la vie. Son petit-fils lui a dit qu’il voulait se souvenir d’elle comme d’une « grand-mère cool ». Hyper-active, Alexandra raconte qu’elle a exercé de nombreux métiers. Diplômée en ingénierie de l’Université d’Alexandrie, elle a travaillé comme ingénieure mécanique, puis comme coach d’aérobic certifiée pendant 10 ans. Elle a participé à l’écriture du film Cairo Exit, a publié un roman et a ensuite travaillé comme enseignante d’écriture créative. Elle est aussi activiste des droits des femmes et elle a écrit de nombreux articles sur les questions de genre. « Les femmes peuvent pratiquer l’escalade aussi bien que les hommes. L’âge ne doit pas être un obstacle qui nous empêche de pratiquer une activité, de réaliser un rêve ou de se lancer dans une nouvelle aventure », souligne-t-elle.
Pour Dina Gamal Al-Dine, courir permet d’évacuer le stress et l’énergie négative.
Alexandra Kinias n’est pas la seule femme à ne pas laisser le compteur des années lui dicter sa conduite. Amani Khalil, 57 ans, fait partie de cette communauté de femmes qui pratiquent l’escalade en se connectant à la nature. Mère de deux fils mariés et marathonienne internationale, elle a participé à de nombreux marathons, dont les six les plus importants au monde : Tokyo, Londres, Berlin, New York, Boston et Chicago. A l’âge de 50 ans, elle était la première femme égyptienne de cette catégorie d’âge à terminer le triathlon Ironman à Barcelone en Espagne, le 2 octobre 2016. Elle a consacré 15 ans à l’aérobic et se concentre actuellement uniquement sur ses activités sportives. « Pratiquer le sport quotidiennement m’a beaucoup aidée à prendre soin de ma santé. J’ai gravi le mont Sainte-Catherine trois fois et j’ai également gravi trois sommets du Sinaï dans le cadre de mon entraînement pour l’ascension du Kilimandjaro », explique Amani, dont l’amour des montagnes s’est transformé en obsession. Si le mont Kilimandjaro est encore majoritairement un challenge masculin, de plus en plus de femmes s’y intéressent. Face à l’attrait de ce rêve, certaines se sont jointes à elles, formant ainsi un groupe de sept femmes, les « Kiligyptian Women », ayant des parcours différents mais partageant une même envie, celle d’atteindre ce sommet tant convoité. Chaque participante est responsable du financement de son propre voyage.
Dalia Al-Talawi est à la recherche d’un mode de vie meilleur.
L’aventure au féminin
En effet, depuis sa première ascension en 1889, le Kilimandjaro ne cesse d’attirer les aventuriers du monde entier. Tous les ans, ils sont plusieurs dizaines de milliers à venir s’y frotter … et souvent à se casser les dents dessus ! En septembre 1927, c’est Sheila MacDonald, alors âgée de 22 ans, qui avait escaladé le mont Kilimandjaro en Afrique, devenant ainsi la première femme au monde à atteindre le sommet de la montagne. Avant de le gravir, elle avait déjà escaladé des montagnes en Ecosse et dans les Alpes et avait atteint le sommet d’une montagne en Sicile culminant à 3 357 mètres. « L’ascension du Kilimandjaro n’est pas seulement une randonnée, c’est une aventure intérieure, un voyage au coeur de soi, pour soi. Une thérapie pour sortir du quotidien et des peurs qui, souvent, nous amènent à nous oublier en chemin », lance Nihal Saïd, ou Ninette comme l’appellent ses amis. Agée de 43 ans, elle a souffert d’un cancer très jeune. Après s’être remise de la maladie, elle a entamé un voyage de découverte de soi, à la recherche de la paix et du renouveau par le mouvement, et elle est devenue instructrice certifiée de yoga et de pilates. Elle s’est mise également à la course à pied. Selon elle, le choix du mont Kilimandjaro n’est pas le fruit du hasard, c’est une idée qui a été tellement étudiée pour plusieurs raisons. « Ce site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, il est le sommet le plus haut d’Afrique. Nous serons sur le toit de l’Afrique et l’un des plus grands volcans du monde. En plus, gravir un sommet, se dépasser pour l’atteindre, c’est avant tout gravir son propre sommet. C’est un voyage qui nous permettra de dépasser nos limites, nos croyances et nos barrières mentales », souligne cette combattante déterminée qui partira avec son équipe du Caire pour la Tanzanie à la mi-août.
Faire avancer la cause de la parité filles-garçons est l’objectif de Joumana Attiya.
Cependant, ce périple exceptionnel mérite une grande préparation en amont, tant sur le plan physique que sur le plan organisationnel. Choix de l’itinéraire, obtention des permis, réservation des camps, préparation du matériel d’expédition, composition des équipes, autant d’éléments indispensables au bon déroulement du trekking. L’ascension du Kilimandjaro est loin d’être une promenade de santé, ce sommet emblématique culminant à 5 895 mètres ne s’improvise pas.
Pour Alexandra Kinias, l’âge ne devrait pas être un obstacle à l’aventure.
Il existe de différentes routes qui varient en difficulté. Mais il suffit d’être en bonne santé et en bonne forme physique pour être capable d’atteindre le sommet ! L’itinéraire choisi par l’équipe des Kiligyptian Women est le Lemosho, long de 42 km, et il leur faut 8 jours pour atteindre le sommet. « Le défi de l’ascension réside non seulement dans la distance parcourue, mais aussi dans le terrain accidenté et l’altitude. A mesure que l’on gagne en altitude, l’oxygène dans l’atmosphère diminue, ce qui peut provoquer des nausées, de la fatigue et des maux de tête. En plus, le climat se transforme de manière spectaculaire, passant de tropical au début de l’ascension à arctique au sommet. Cela signifie que sur une période de huit jours, on passe des forêts tropicales aux températures glaciales. Le Lemosho donne alors plus de temps au corps pour s’habituer à l’altitude. Cette voie permet de contempler des vues panoramiques imprenables et d’admirer la tranquillité sur les sentiers », argumente Safaa Nazir, la plus jeune de l’équipe. Agée de 30 ans, elle travaille dans une banque et prépare sa thèse de doctorat. Safaa est une passionnée de course à pied et a participé à plusieurs marathons. Pendant la pandémie de Covid-19, elle s’est tournée vers l’escalade des montagnes et a découvert la sérénité de l’alpinisme, des sommets escarpés des montagnes de la mer Rouge aux montagnes du sud du Sinaï.
Nihal Saïd cherche à être une source d’inspiration pour les femmes qui pensent que le mouvement est une thérapie.
La découverte de soi
Safaa Nazir croit que « la plus grande aventure de la vie commence par un seul pas et à chaque pas, nous avons la capacité à découvrir nos limites et à façonner notre destinée ». Pour elle, ce voyage est un réel défi sportif, physique et un challenge mental important. Il lui permettra d’expérimenter ses capacités souvent insoupçonnées, de renforcer son état d’esprit et de faire grandir sa confiance en elle-même. Idem pour Joumana Attiya, 37 ans, qui, elle, va escalader le mont Kilimandjaro pour faire avancer la parité filles-garçons. Une cause qui lui tient à coeur. Elle a toujours vécu deux vies parallèles : l’une pour son travail et l’autre pour son développement personnel. Elle a obtenu un magistère en administration des affaires de l’Université de Leipzig en Allemagne et elle travaille comme responsable de l’apprentissage et du développement dans une banque. Joumana n’en est pas à sa première ascension. Cette aventurière a escaladé les monts Sainte-Catherine, Rumhan, Om Chammar, Jabal Chayeb Al-Banat et autres. Ce défi a une signification spéciale pour elle.
Quant à Dalia Al-Talawi, 53 ans, le mont Kilimandjaro lui apporte une énergie folle et le contact avec la nature y est extraordinaire. « Cette immersion totale au coeur de la nature m’offre une diversité de paysages époustouflants et grandioses. C’est un voyage mémorable dans l’immensité », affirme Dalia qui a étudié l’économie et décroché un magistère en gestion. Avant de quitter l’Egypte à cause du travail de son mari, elle dirigeait une société de conseil dans le domaine de la formation. Lorsqu’elle a commencé à déménager d’un pays à l’autre à cause du travail de son mari, la seule chose qu’elle n’a pas arrêté de faire durant toutes ces années était le sport et l’exercice.
L’escalade du mont Kilimandjaro est, pour Safaa Nazir, un défi sportif, physique et un challenge mental important.
Et ce, contrairement à Dina Gamal Al-Dine, ingénieure de pétrole, qui a commencé à faire de l’exercice à l’âge de 40 ans pour briser la routine de la vie. « Lorsque j’ai commencé à courir, je ne savais pas comment parcourir 100 mètres, mais j’avais la ferme détermination de continuer parce que je sentais à chaque pas que je me débarrassais de l’énergie négative qui était en moi », confie-t-elle. Pour elle, courir permet d’évacuer le stress et l’énergie négative. « L’escalade du mont Kilimandjaro nécessite une très bonne forme physique et mentale en plus de l’endurance. Il faut s’entraîner en parcourant de longues distances à pied. Cependant, il n’y a pas d’exercices spécifiques pour s’adapter à l’altitude et à la baisse des niveaux d’oxygène », affirme Dalia qui vient de fêter ses cinquante ans et qui souhaite ajouter l’ascension du Kilimandjaro à son palmarès et prouver que l’âge n’est pas un obstacle pour partir à l’aventure. « Chacun a son propre Kilimandjaro. Soyez courageux pour conquérir le vôtre. Si vous avez un rêve, vous devez le protéger et travailler durement pour le réaliser. C’est la seule et unique façon », conclut-elle en espérant vivre une belle expérience.
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