Un élève qui mange bien apprend mieux.
(Photo: Moustapha Emeira)
En Haute-Egypte, la situation alimentaire des enfants est dramatique. Dans cette région du pays, 51 % de la population est incapable de satisfaire ses besoins alimentaires, soit 30 % des familles touchant moins de 170 L.E. par mois, selon le rapport annuel du Centre national de la mobilisation et des statistiques (Capmas).
Cinq gouvernorats, à savoir Minya, Fayoum, Béni-Soueif, Assiout et Sohag enregistrent un chiffre record de « démunis ». 61 % de leurs habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et l’analphabétisme atteint presque 39 %, selon l’indice du développement humain.
« Eduquer une fille, c’est éduquer une nation ». Mais en Haute-Egypte, elles sont nombreuses ces filles privées du droit à l’éducation ou qui rencontrent des difficultés à poursuivre leur scolarité. A Al-Gharqad, village près de Béni-Soueif, là où le désert rejoint les terres fertiles du Nil et où les montagnes se dressent, des traditions ancestrales commencent à faire de la place aux écoles. Des établissements scolaires accueillent désormais les filles, souvent exclues des salles de classe.
Sans le programme d’alimentation scolaire, Mariam Mohamad, 11 ans, pourrait être mariée. Ses parents, très pauvres, ont beaucoup de difficultés à nourrir leurs 10 enfants. S’ils ont permis à Mariam de continuer à fréquenter l’école communautaire, c’est parce qu’elle y reçoit un repas complet par jour avec des biscuits vitaminés à haute teneur énergétique.
Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations-Unies distribue aussi une ration mensuelle de 10 kg de riz par élève. « L’école est maintenant très intéressante. Non seulement j’apprends à lire et à écrire, mais aussi on nous donne des biscuits, et surtout du riz, ce qui rend ma mère très heureuse », lance Mariam, qui assure ne s’absenter de l’école que lorsque sa mère l’y oblige pour l’aider dans la lessive ou quelques travaux ménagers. Pour bénéficier de ces rations, les filles doivent au moins passer 80 % de leur temps à l’école. Le défi n’est cependant toujours pas gagné. « Une fille à l’école, cela n’aboutira à rien. Après tout, elle aura un jour un mari qui s’occupera d’elle », lance la mère de Mariam.
Combinant plusieurs niveaux en une seule classe, cette école, pas comme les autres, permet à celles qui n’ont pas les moyens ou qui ont été privées d’éducation de poursuivre leurs études gratuitement. A Béni-Soueif, cet établissement scolaire accueille les visiteurs avec une pancarte sur laquelle on peut lire : « L’enseignement est un droit aussi bien pour les filles que pour les garçons ». Dans la classe, une vingtaine d’enfants, dont une majorité de filles, fait cercle autour de deux enseignantes. L’emploi du temps quotidien à l’école est organisé autour des principes d’auto-apprentissage, de planification et d’évaluation. La salle de classe est répartie en zones d’apprentissage : mathématiques, arabe, culture générale, sciences et arts.
La mère de Rahma reçoit chaque mois un sachet de 10 kilos de riz soit environ 30 % de ses besoins mensuels.
(Photo: Moustapha Emeira)
Cette école communautaire, appelée aussi « amie des filles », fait partie intégrante des services éducatifs formels, mais les cours ne sont pas dispensés de manière traditionnelle, loin s’en faut. Ils sont organisés selon des horaires qui permettent aux enfants et aux filles, en particulier, d’aider leurs parents dans les travaux des champs et les tâches domestiques. Et pourquoi pas, puisque dans les familles démunies, envoyer les filles à l’école est un luxe, puisqu’elles se privent d’une paire de bras. Autrement dit, pour ces familles extrêmement pauvres, trouver de quoi se nourrir est la priorité pour leurs foyers.
Dans la classe, créativité, planification, résolution des problèmes ne sont plus de vains mots. Ils sont devenus une réalité. Ici, les enfants ne prennent pas de cours particuliers et ne pensent pas aux devoirs à la maison. Ils travaillent pendant les heures de classe individuellement ou en groupe. Les enfants rentrent chez eux laissant derrière eux les livres dans les casiers. L’atmosphère y est amicale, vivante et animée. Au moment de la distribution du biscuit, les rangs se forment. Des enfants qui ne puissent se passer de ce petit encas à cause de leurs conditions modestes. L’une des élèves saisit sa ration, commence à grignoter, mais veille à réserver une part pour son petit frère. « Nous sommes une famille très pauvre, et c’est à tour de rôle que notre père nous donne 50 piastres pour le petit-déjeuner du matin », lance-t-elle. Et d’ajouter : « J’aimerais que tous les enfants du monde puissent se nourrir correctement ».
Un repas scolaire quotidien encourage les parents à envoyer leurs enfants à l’école et à les y maintenir. Il permet aux enfants de se concentrer sur leurs études plutôt que sur la provenance de leur prochain repas. Aux dires de Hoda Hassan, l’une des enseignantes de la classe unique, la formule du programme d’alimentation scolaire est simple : attirer les enfants démunis à l’école en leur offrant à manger.
Car un élève au ventre vide n’a, ni la force, ni la motivation d’apprendre, ou comme le dit le vieux proverbe : « Ventre affamé n’a pas d’oreilles ».
L’énergie nécessaire
Si scolariser c’est doter un village ou une région des établissements nécessaires à l’enseignement, à quoi sert-il de construire des écoles si les enfants qui vont les fréquenter n’ont pas l’énergie nécessaire pour apprendre ? C’est fort de cette idée que le PAM distribue des biscuits enrichis en micronutriments aux élèves. « Comment voulez-vous qu’un élève qui n’a pas pris de petit-déjeuner suive avec attention les explications du maître ? On ne peut pas s’attendre à un miracle de la part de ces enfants. Leurs notes ne peuvent être que catastrophiques. Mais offrez-lui un repas et le voilà aussitôt plus alerte, plus performant », affirme Hoda Hassan.
La ration à emporter stimule la scolarisation des filles, car les parents identifient les avantages immédiats de les envoyer à l’école. « Auparavant, si une famille avait deux filles et un garçon, seul ce dernier était envoyé à l’école, alors que les filles accompagnaient leurs mères au marché pour vendre des légumes ou aidaient leurs pères dans les travaux champêtres. Maintenant, les familles envoient tous leurs enfants à l’école, car chacun va ramener 10 kilos de riz à la maison », se réjouit l’enseignante.
Combinant plusieurs niveaux en une seule classe, Al-Gharqad est une école pas comme les autres.
(Photo: Moustapha Emeira)
Fatma Anouar, une mère de 45 ans venue chercher ses deux filles, Rahma et Chahd Kheidr, à l’école, repart avec 2 sacs de riz. « A la maison, nous sommes tous au chômage, les choses vont mal et nous avons besoin de cette aide », témoigne-t-elle. Ce projet a prouvé que si ces enfants ont le ventre plein, ils peuvent étudier et pourront plus tard aider leurs familles à gagner assez d’argent pour s’offrir à manger.
Sur les murs de la classe, les rêves des élèves sont inscrits. Chourouq, médecin. Menna, ambassadrice. Aya, enseignante. Mahmoud, chanteur ... « Je voulais tellement aller à l’école, surtout en voyant les autres enfants y aller », lance Mahmoud. « Le biscuit que je mange chaque jour à l’école et la ration de riz à emporter ont stimulé mes parents. Ils n’ont plus à se tracasser pour trouver de quoi nous nourrir, mes soeurs et moi, puisqu’ils savent que nous recevons de quoi manger. Sans cela, je serai obligé d’aller travailler dans les champs », explique Ahmad, tout en se rappelant les journées difficiles qu’il passait à récolter le blé et le maïs. Un travail épuisant contre 30 L.E. par jour, qu’il devait remettre à son père.
Aujourd’hui, les parents d’Ahmad et Mahmoud n’ont plus à subir de dépenses indirectes pour les envoyer à l’école. Le plus important est que ces enfants ont aujourd’hui droit de rêver à un avenir meilleur .
La malnutrition entraîne des problèmes de croissance
inférieure à la normale, 7 % souffrent de faiblesse et d’anémie et 6 % sont en sous-poids. 11 % des décès des enfants sont dus à la malnutrition : tels sont les résultats du rapport effectué par le Centre d’informations et de soutien de prise des décisions concernant la faim et le manque de nutrition en Egypte.
Nombreuses sont les familles qui sont dans l’incapacité de fournir à leurs enfants un repas équilibré, nécessaire à leur croissance. Rawya Lachine, diététicienne et responsable santé des écoles d’Héliopolis, explique que la malnutrition est la cause principale d’une croissance insuffisante et provoque un manque de concentration chez les enfants, et par conséquent, un retard scolaire. Une situation sur laquelle le PAM se penche.
Le nanisme est aussi un phénomène inquiétant. Il apparaît au cours des deux premières années de l’enfant et est dû à diverses causes, comme l’insuffisance thyroïdienne, hypophysaire ou digestive, à des troubles de l’ossification ou du métabolisme. « Chez les nains, les os ne se développent pas normalement, et donc l’enfant ne grandit pas par rapport à son âge », explique Dr Lachine, tout en ajoutant que les normes internationales prévoient qu’un enfant doit grandir de 2 cm par an. Ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’enfants égyptiens qui souffrent aujourd’hui de malnutrition. Au lieu de grandir, certains se tassent de plusieurs centimètres. Ceci est dû, d’après Lachine, à la malnutrition ainsi qu’aux mauvaises habitudes alimentaires qui se sont répandues au cours des 20 dernières années .
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