il suffiraitde peu pour que Hanaa, âgée de 9 ans, et son petit frère de 7 ans subissent le sort des enfants de la rue. A Ezbet Al-Ward, dans le quartier de Charabiya au Caire, ces deux enfants vivent seuls en l’absence d’adultes. Depuis 2 ans, Hanaa s’est accoutumée à gérer son quotidien après la séparation de ses parents. Elle fait la lessive, lave la vaisselle, prépare les repas, prend soin de son petit frère tout en poursuivant ses études. Sa mère qui s’est remariée vit dans une pièce exiguë située dans la même rue, et passe de temps à autre pour s’assurer que tout va bien, et ce, quand son second mari est absent. Ce dernier n’a pas accepté que les enfants de sa femme habitent avec lui. « J’ai un salaire dérisoire, je ne peux pas me permettre de prendre en charge des enfants d’un autre homme alors qu’il est encore vivant », se justifie-t-il. Quant au vrai père, il semble avoir complètement oublié sa progéniture. Après s’être remarié lui aussi, il n’a plus revu ses enfants. Ces petits subissent les conséquences de ce divorce et ils sont obligés de vivre dans la précarité. Pourtant, Hanaa ne baisse pas les bras. « Il faut avoir le courage de surmonter ses problèmes », dit-elle tristement. Mais Hanaa n’est pas seule à défier ces conditions de vie difficile. Elle suit attentivement les conseils d’une assistante sociale, qui prend en charge Hanaa et son frère. Membre d’une ONG, elle fournit les aides nécessaires : alimentaire, pédagogique, et surtout psychologique. Actuellement, cette assistante sociale représente la dernière bouée de sauvetage pour ces deux enfants qui résistent pour ne pas se retrouver dans la rue.
Cibler les enfants dont les conditions familiales sont déplorables, tel est le but de ce nouveau projet créé par le comité égyptien des villages des enfants (S.O.S). L’objectif étant d’agir au préalable pour éviter que d’autres enfants ne se retrouvent dans la rue fuyant les situations de précarité de leurs familles.
En effet, selon les chiffres de la direction générale de la défense civile en 2007, le nombre d’enfants de la rue était estimé à environ 3 millions. Une autre étude effectuée par l’association Hope Village — l’ONG pionnière qui oeuvre dans ce domaine — a montré que l’âge moyen d’un enfant des rues a baissé : au lieu de 13 à 15 ans dans les années 1980, ils sont aujourd’hui entre 7 et 9 ans. Cette même étude montre que 58 % des enfants des rues ont subi ce sort suite à des problèmes sociaux en premier lieu, mais la crise économique a amplifié ce phénomène. Des résultats qui vont de pair avec ceux d’une nouvelle étude effectuée sur le terrain par S.O.S. « On a constaté que l’exclusion familiale, l’absence totale du rôle du père, symbole de protection et de sécurité, la violence contre les enfants au sein de la famille et dans les établissements scolaires ainsi que la pauvreté extrême sont les causes principales du problème épineux des enfants de la rue », explique Manal Badr, coordinatrice du projet en Egypte.
Le nouveau projet S.O.S vise alors à sauver les enfants qui vivent dans la précarité ou qui ont de graves problèmes familiaux avant qu’ils ne rejoignent la rue. Un projet qui a pour ambition de trouver des solutions radicales pour mettre fin à ce phénomène et de clôturer définitivement ce dossier dans un délai qui ne doit pas dépasser 5 ans. « Ce nouveau projet créé par S.O.S a pour but de rendre ces familles plus autonomes. Nous oeuvrons par le biais de 575 programmes, et cela dans les quatre coins du monde. En Egypte, on se sert de 2 programmes. On a commencé notre action au Caire et à Alexandrie, les deux gouvernorats qui possèdent le plus grand nombre de bidonvilles. Là, on a pu réunir une base de données sur 3 000 familles. Mais on a commencé le travail avec 333 résidant au Caire et 70 autres à Alexandrie. 150 familles ont pu atteindre un statut stable et ne redoutent plus la rue pour leurs enfants », poursuit Badr.
La désintégration familiale et la violence, deux raisons majeures du problème des enfants des rues.
(Photo: Abdel-Hamid Eid)
(Photo: Abdel-Hamid Eid)
Seuls ou avec un seul parent
Mais qui sont ces familles ciblées en priorité ? Il existe des critères guidant ces ONG avant de faire leur choix. Ce sont souvent les enfants qui vivent seuls ou avec un seul parent (souvent la mère) qui sont inscrits sur la liste des priorités de ce programme. « On essaie alors d’aider la mère en lui offrant une formation lui permettant d’acquérir des compétences qui pourront lui ouvrir des débouchés sur le marché de travail ou alors en lui fournissant un soutien matériel y compris à ses enfants », confie Azza Abdallah, activiste qui oeuvre sur le terrain à Imbaba. Elle relate le cas d’une mère qui était sur le point de jeter ses enfants à la rue. Le père était chômeur et souffrait d’une hépatite C. La mère, illettrée, avait du mal à subvenir aux besoins de sa famille composée de 6 membres. Elle a même retiré son aîné de l’école pour le faire travailler chez un repasseur, afin de l’aider financièrement. « On a pu intervenir à temps, en aidant la mère à entamer son projet, vendre des jus et des boissons chaudes à quelques mètres de sa maison pour pouvoir prendre soin de ses enfants. Elle a même suivi des cours d’alphabétisation jusqu’à atteindre le cycle secondaire. Cette femme recevait également une aide alimentaire de la part de l’association du développement local qui oeuvre avec S.O.S. On a même aidé ses enfants à prendre des cours de soutien et à payer les frais de leurs scolarités. Aujourd’hui, cette femme est devenue autonome. Sa vie a complètement changé. Elle a pu restaurer sa maison, démunie de plafond. Son fils aîné a repris le chemin de l’école, il est en cycle secondaire, le cadet, en préparatoire, et les deux benjamins sont encore à l’école primaire », raconte Azza Abdallah.
Un autre cas, celui de Hanan. Veuve depuis 4 ans, elle avait du mal à élever ses deux enfants. La maigre retraite de son mari (145 L.E.) ne suffisait même pas pour les nourrir en pain seulement, et ses enfants s’apprêtaient à quitter l’école pour chercher du travail. Avec l’aide de l’ONG, cette femme a pu surmonter toutes les difficultés. Elle prépare des plats savoureux chez elle, qu’elle livre à domicile. Ses deux enfants l’aident lorsqu’ils ont du temps libre. C’est grâce à des salons organisés par l’association qu’elle a fini par commercialiser ses plats. Aujourd’hui, elle affirme avoir des clients dans tous les quartiers du Caire. Sur son portable, elle reçoit les commandes. Son business ne cesse de s’étendre, car elle prépare des mets traditionnels. « Je suis arrivée à tripler mon revenu. Je gagne 400 L.E. par mois en plus de la retraite de mon mari. Ce travail à domicile me permet de joindre les deux bouts tout en prenant soin de mes enfants », dit Hanan. « J’ai également suivi des stages de pédagogie programmés par l’association spécialement pour les parents, afin de mieux comprendre cette progéniture en période d’adolescence, une période critique où les enfants sont avides de liberté et peuvent dévier à n’importe quel moment et se retrouver dans la rue », confie-t-elle.
Le projet de S.O.S travaille sur le terrain selon un processus rodé. Il s’agit d’établir un partenariat avec 6 ONG. « On a choisi également des femmes éduquées dans les différents quartiers et qui habitent près des groupes ciblés. Elles ont suivi une formation dans le domaine de la recherche pour nous aider à réunir des informations sur les causes et les problèmes qui peuvent être étroitement liés au dossier des enfants de la rue », explique Manal Badr. Le projet offre le soutien matériel et technique aux ONG, afin d’aider les mères chefs de familles à être plus aptes à affronter les problèmes les plus difficiles. Celles-ci assistent à des stages dans différents domaines leur permettant de comprendre et de prendre en considération les différents besoins de leurs enfants qui varient d’une période à une autre. « On observe et on évalue également les résultats de chacune de ces associations. Un délégué de S.O.S visite les familles de temps à autre pour s’assurer que les enfants ciblés ont pu obtenir l’aide alimentaire nécessaire, s’assurer que leurs frais de scolarités ont été payés et qu’ils bénéficient des cours particuliers afin qu’ils ne quittent pas l’école », explique Manal Badr.
Vie plus attrayante au foyer
Le projet tente également de rendre la vie quotidienne de l’enfant plus attrayante au foyer pour éviter l’attraction de la rue. Chaque enfant, bénéficiant des services de ce projet, doit participer à une activité artistique (chorale, théâtre, ballet ...) ou une activité sportive. Par ailleurs, les enfants âgés de 17 ans peuvent participer aux conseils administratifs des ONG, afin que leurs voix parviennent aux responsables de ces associations.
Au niveau des ONG, le projet collabore avec ces dernières pour élaborer un plan de travail sur le terrain en précisant un délai de mise en oeuvre tout en contrôlant les différentes étapes et en évaluant son action. « Bien que l’on fournisse aux ONG partenaires des aides financières, on les encourage à devenir autonome. Et cela en les guidant dans des projets qui pourraient leur rapporter une marge de gains. D’ailleurs, on offre des emprunts sans intérêts à quelques familles menacées. Cette somme, une fois remboursée à l’association, passe d’une famille à l’autre de manière périodique, afin que chaque famille améliore ses conditions de vie. Par ailleurs, on est en train de former des réseaux d’ONG qui collaboreront pour défendre les droits de l’enfant et pour mobiliser l’opinion publique sur cette cause », assure Badr.
Mais ce projet, qui a 5 ans d’âge, rencontre des obstacles qui risquent de le faire échouer. « On tente d’implanter le concept du service contre celui du travail, puisque notre objectif est le développement des familles. Notre plus grand problème est la présence de quelques associations qui présentent des services à titre gratuit, sous l’appellation charité. Celles-ci détruisent nos efforts. Car les familles ont tendance à bénéficier d’une assistance sans se donner la peine de travailler », conclut Dina Réda, responsable d’une ONG .
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