Les gestes acrobatiques des serveurs de kochari épatent les clients. (Photo : Mohamad Mounir)
Le site TasteAtlas, qui permet de découvrir les spécialités culinaires dans le monde, a publié son classement annuel 2023. Il a classé Kochari Abou Tarek parmi les 100 meilleurs restaurants au monde pour ses mets typiquement traditionnels. « Nous sommes entrés dans le livre Guinness des records en 2017, après avoir préparé le plus grand plat de kochari au monde, pesant 8 tonnes », dit fièrement Tarek Youssef, le fils du propriétaire qui gère ce restaurant de cinq étages. Ce restaurant existe depuis les années 1990 au centre-ville. Devant les locaux, on peut toujours voir la petite charrette que possédait son père alors qu’il était encore adolescent. Il était venu du gouvernorat de Charqiya pour préparer et vendre le kochari dans la capitale. La charrette, avec ses éléments décoratifs aux couleurs vives, existe encore ; elle est considérée aujourd’hui comme un porte-bonheur pour Abou Tarek et ses enfants. « Cette charrette peut transporter environ 1 000 boîtes de kochari. Il arrive que lors des repas organisés par des ambassades étrangères, durant les manifestations sportives ou les fêtes sur la Côte-Nord, on nous demande de ramener la charrette pour apporter une touche d’originalité et créer une ambiance festive », précise-t-il. L’intérêt accordé aux détails et aux espaces pour accueillir plus de clients a fait de ce restaurant un lieu de prédilection pour les Egyptiens et les touristes. A l’intérieur, un membre du personnel parlant parfaitement l’anglais montre aux étrangers comment mélanger les sauces qui accompagnent le plat de kochari, afin de le savourer pleinement. Des photos et des vidéos défilent sur un écran avec quelques mots en arabe pour présenter les étapes de préparation de ce mets savoureux. L’odeur de l’ail embaume le lieu et donne l’eau à la bouche. Un tas d’oignons frits et dorés orne le comptoir. De grandes quantités de riz, de pâtes et de lentilles sont entassées. Un récipient rempli de pois chiches sert à garnir les plats de kochari. La scène attire de nombreux clients.
(Photo : Mohamad Mounir)
Un plat à la portée de tous
Abou Tarek n’est pas le seul spécialiste de ce plat populaire égyptien qui a toujours ses amateurs. Dans un seul quartier, on peut compter plusieurs restaurants de kochari éloignés les uns des autres d’une dizaine de mètres. Et même si les clients ne se bousculent pas, l’odeur du kochari titille les babines. Dans les quartiers populaires, les portions sont variables (petite, moyenne et grande boîtes). Les enfants peuvent même commander un sachet de kochari à seulement 5 L.E. bien que le menu n’inclue pas ce prix. Abou-Mohamad possède une gargote de kochari à Boulaq Aboul-Ela. A l’intérieur de son local, quatre tables sont installées pour ceux qui veulent manger sur place. Derrière se trouvent un frigo renfermant des bouteilles d’eau minérale, des boissons gazeuses, des desserts frais, ainsi qu’un comptoir entouré de cloisons de séparation en acier inoxydable et derrière lequel se tient le farchagui qui sert le kochari à chaque client. Il mélange le riz, les pâtes, les lentilles et les pois chiches avec des gestes acrobatiques, la meilleure manière d’attirer l’attention des passants. Parmi ses clients il y a ceux qui commandent tous les ingrédients du kochari, d’autres font des choix et demandent à ce qu’on leur ajoute ou retire l’un des ingrédients. Ainsi, il y a le kochari sans riz, nommé ala bondoq, sans pâtes, nommé Sada, sans oignons, khali ward, ou sans pois chiches, khali cham. La « daqqa » est toujours servie à table et à volonté. Sa recette traditionnelle est préparée à froid. Il s’agit de mixer quelques gousses d’ail, un piment fort et un petit poivron, auxquels on ajoute de l’huile d’olive, du cumin, du poivre noir, du jus de citron, du vinaigre et, à la fin, une petite quantité d’eau. Ce mélange est facultatif ; on l’ajoute au kochari pour ceux qui veulent en relever le goût. « On adore le kochari, mais on préfère le manger dans un restaurant, car son goût est différent de celui que l’on prépare à la maison. Il y a sûrement un secret dans la préparation de ce plat traditionnel ; je ne sais pas s’il s’agit des épices ou du mode de cuisson de la sauce. Pour moi, il est toujours agréable de casser la routine en allant manger du kochari dans un restaurant », dit Adam, 14 ans. Avec ses couleurs : le blanc du riz, le blanc cassé des pâtes, les lentilles brunes, les pois chiches de couleur jaune très clair, la sauce tomate rouge et les oignons frits à la couleur marron doré, ce bon mélange rend ce plat appétissant, joyeux et multicolore. « C’est le plat végétarien que je préfère », dit Maamoun, 20 ans, étudiant qui préfère manger le kochari dans les restaurants rapides.
Le kochari est un plat qui convient à tous les goûts. (Photo : Mohamad Mounir)
Nourriture des dieux
En effet, le kochari est un plat typiquement égyptien. Son histoire remonte à plus de 3 500 ans. D’après l’historien Manetho Al-Samanoudy, les lentilles noires et l’orge étaient au départ les ingrédients de base du kochari. Le riz a remplacé l’orge après sa découverte. « Dans des poteries exposées au Musée de l’agriculture, on a trouvé des restes de kochari. A la place des pâtes, il y avait de la makhrouta, sorte de pâtes constituées de farine, d’eau et de sel et coupées en lanières que l’on mélangeait aux légumineuses », explique Samira Abdel Kader sur sa page Facebook qui présente une documentation de la cuisine égyptienne. Elle rejette complètement toute hypothèse prétendant que le kochari est d’origine indienne. L’ancien nom du kochari était « kocheir », qui signifie la nourriture des dieux. Un mélange de protéines végétales et de féculents qui permettent de se rassasier sans alourdir l’estomac.
Aujourd’hui, il s’agit d’un plat idéal pour ceux qui veulent économiser de l’argent ou devenir végétariens, mais les nutritionnistes prodiguent des conseils sur sa consommation. « Les trois composants qui sont les lentilles, les pâtes et le riz doivent être servis de manière équilibrée. Une moitié de portion pour les lentilles, un quart pour le riz et le dernier quart pour les pâtes. Ces portions modérées doivent être accompagnées d’une belle salade verte qui rehausse la valeur nutritive pour en faire un repas complet », décrit Linda Gad, nutritionniste. Elle ajoute que les lentilles et les pois chiches sont des protéines végétales qui prolongent la durée de la satiété. De nombreuses personnes ont remplacé les protéines animales par des alternatives végétales en préparant des recettes économiques. Mais attention ! Côté diététique, les 160 grammes de kochari équivalent à 270 calories et les 480 grammes à 870 calories. Par ailleurs, la protéine végétale ne compense ni la vitamine B12, ni le fer contenu dans la viande rouge. « Les protéines végétales n’ont pas la même valeur nutritive que les protéines d’origine animale ; il faut donc consommer de la viande ou du foie de volailles une fois par semaine pour éviter les carences en vitamines », précise la nutritionniste.
Alors que ce plat était à la portée de tout le monde, il connaît aujourd’hui une hausse de ses prix. Les prix des produits alimentaires (riz, pâtes, lentilles, pois chiche) ont augmenté après la guerre en Ukraine. Ainsi, le prix d’un kilo de lentilles noires est passé de 30 L.E. il y a un an à 49 L.E. aujourd’hui, tandis que le kilo de pois chiche est passé de 25 L.E. à 124 L.E. et ce, sans compter les variations dont témoigne le prix du riz. En parallèle, la consommation des légumineuses a augmenté de 20 % pour compenser la hausse des prix de la viande, des volailles et du poisson.
Et malgré cette hausse des prix, le kochari reste roi sur la table. Chaque femme tente de le préparer à sa manière pour le rendre plus délectable.
Certaines surfent sur la toile pour chercher les secrets de sa préparation dans les gargotes et les restaurants. Les vidéos de cuisine pullulent sur Internet montrant des recettes de chefs cuisiniers qui excellent dans la préparation de ce mets traditionnel.
Chérine, femme au foyer, est arrivée à trouver le goût du kochari qu’elle apprécie tant. Elle n’hésite pas à partager certaines astuces comme le fait d’enrober les oignons dans de la farine de maïs et de les faire frire dans de l’huile végétale. Puis, elle récupère quelques gouttes de cette huile pour faire cuire le riz qu’elle mélange aux lentilles. Ensuite, elle verse une petite quantité d’huile dans une marmite, qu’elle met à chauffer à feu doux puis verse de la sauce tomate fraîche et l’assaisonne avec un mélange d’épices comme la coriandre, le cumin et le piment fort qui est indispensable. Le goût final du kochari dépend du dosage de chaque épice. Quel délice !
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