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Femmes, réfugiées et battantes

Dina Darwich , Mercredi, 06 mars 2024

Elles sont femmes et elles sont réfugiées. Et elles mènent une lutte continue pour atteindre l’autonomie économique, mener une vie décente et s’intégrer dans la société égyptienne. Focus sur ces parcours difficiles mais réussis à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars.

Femmes, réfugiées et battantes
Selon les chiffres, quelque 9 millions d’immigrés et de réfugiés vivent en Egypte dont 49,6 % des femmes.

« La guerre, pour moi, c’était à la fois une fin et un début. La fin d’un certain nombre de choses mais aussi un nouveau départ. Il est vrai que ma vie dans mon pays est finie, cependant, il me reste 18 ans de souvenirs et une nouvelle expérience qui a commencé », confie Nour, une réfugiée syrienne de 28 ans. Malgré les défis et le poids de l’exil, Nour porte en elle une part de son nom qui signifie « lumière » en arabe. Son expérience réussie donne de l’espoir à beaucoup d’autres femmes qui partagent avec elle le même sort, celui de réfugié, dû aux nombreux conflits acharnés, aux conditions socio-économiques, aux changements climatiques et à bien d’autres facteurs qui poussent au départ.

L’histoire de l’exil de Nour ressemble à celle de bien d’autres femmes. Pour elles, le temps s’est arrêté après qu’elles ont quitté leur pays d’origine, leur famille et leurs amis, laissant derrière elles toute une vie. Certaines n’ont pu rien emporter lors de leur voyage en Egypte. Certaines sont parties seules, mais Nour a eu la chance d’être accompagnée de sa mère, non seulement vers l’exil, mais aussi dans sa recherche d’elle-même. « C’était comme si je rêvais, ou plutôt comme si je faisais un cauchemar. Au départ, je me suis laissée attendre que la vie passe sans études, sans argent, sans rien. Mais ma mère n’a pas accepté qu’on sombre dans le désespoir. Elle a décidé de me donner la chance de poursuivre mes études coûte que coûte, surtout que j’avais quitté la Syrie quelques semaines avant les examens de bac. Elle m’a donc inscrite dans une école ici en Egypte », raconte la jeune femme. « Il n’y a rien de plus beau qu’une rose en plein désert. Si tu parviens à la réussite une seule fois, tout changera. C’est ce que me disait ma mère. Un conseil qui m’a donné un élan malgré notre condition difficile. Des paroles qui sont ancrées en moi et qui me poussent à toujours aller de l’avant malgré les difficultés », se rappelle Nour.

La jeune femme est arrivée en Egypte en 2013. Un an plus tard, Nour a commencé à faire du bénévolat auprès de diverses ONG et agences des Nations-Unies pour aider les réfugiés et ce, en travaillant comme animatrice auprès des enfants des réfugiés. Après avoir eu son bac, et malgré les obstacles et les difficultés financières, Nour s’est inscrite à la faculté de droit. Elle a suivi des stages en pédagogie et a fait une formation spécifique pour pouvoir aider et gérer les enfants réfugiés. Aujourd’hui, Nour a créé une crèche qui accueille des enfants égyptiens, syriens, soudanais … Un espace sans frontières, sans barrières où les petits apprennent à vivre ensemble.

L’expérience de cette jeune réfugiée est devenue une expérience modèle qui a été publiée sur le site officiel du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) pour envoyer des ondes positives à la communauté des réfugiés en exil.

Des expériences disparates

Selon les chiffres du HCR, l’Egypte accueille environ 473 000 réfugiés et demandeurs d’asile de 62 nationalités. Depuis octobre 2023, les Soudanais sont devenus les plus nombreux, suivis par les Syriens et un nombre plus restreint de ressortissants du Sud-Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie, du Yémen, de Somalie et d’Iraq. Mais ces chiffres sont ceux des personnes enregistrées auprès du HCR. Les chiffres réels dépassent ces estimations d’autant plus que beaucoup de réfugiés vivent dans le noir. D’après le ministre de la Santé et de la Population, Khaled Abdel-Ghaffar, quelque neuf millions d’immigrants et de réfugiés vivent en Egypte, ils sont originaires d’environ 133 pays, dont 49,6 % sont des femmes. Ces réfugiés représentent 8,7 % de la population égyptienne. 56 % d’entre eux résident dans cinq gouvernorats : Le Caire, Guiza, Alexandrie, Daqahliya et Damiette. 60 % d’entre eux vivent en Egypte depuis au moins 10 ans.

Et derrière chacun de ces millions de migrants il y a une histoire de lutte, une expérience humaine unique, celle d’une vie faite de hauts et de bas. Des histoires de réussite aussi. Et, à l’instar de la jeune Nour, certaines réfugiées ne rêvent pas de rentrer chez elles. Un bon nombre d’entre elles ont entamé une nouvelle vie et ont prouvé leur force et leur résilience.

Pour ce qui est des femmes, qu’elles soient immigrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile, elles constituent en effet un groupe très varié en ce qui concerne la nationalité, la tranche d’âge, le statut, la formation et les facteurs qui les ont poussées à quitter leur pays d’origine. Les chances inégales, auxquelles ces femmes ont fait face dans leur pays d’origine aussi bien que dans les pays hôtes, concernant l’accès aux ressources, à l’éducation, à la protection, à la justice et au marché de travail, ont un impact sur leur expérience migratoire. L’image paraît sombre, les réfugiées tournent souvent dans un cercle vicieux de pauvreté, se contentent d’emplois modestes et sont victimes de xénophobie. Mais pour celles qui ont réussi à devenir économiquement indépendantes, l’histoire est tout autre.

Braver les défis

Dans le quartier populaire de Hadayek Al-Maadi, de nombreuses familles soudanaises se sont installées depuis des années fuyant la guerre et la pauvreté. Trois familles soudanaises, dont Békhita et son époux, partagent un trois pièces. Depuis des années, Békhita travaille comme femme de ménage avec un salaire de 6 000 L.E. Son mari, lui, chauffeur de taxi, gagne 4 000 L.E. Le couple tente de s’accommoder pour affronter les difficultés du quotidien. Le mari de Békhita garde souvent leur bébé pendant que sa femme part au travail. « Au Soudan, on n’apprécie pas beaucoup que les femmes travaillent. Les hommes pensent qu’elles doivent s’occuper des enfants et des tâches domestiques. La situation est différente ici. Personnellement, je pense qu’on doit partager les responsabilités », témoigne Mohamad qui essaye de préserver leur petit nid en Egypte malgré les conditions économiques difficiles. Mais tous les couples exilés ne sont pas aussi soudés que ce couple-là. Fatma, une compatriote de Békhita, raconte que nombreuses sont celles qui deviennent soutien de famille non sans difficultés. « Parfois, les maris ne trouvent pas de travail et vivent très mal ce bouleversement des rôles. Cela peut les rendre déprimés, voire violents et certains couples finissent par se séparer », explique Fatma.

Ces expériences, malgré les difficultés, rendent les femmes plus fortes, plus aptes à faire face aux vicissitudes de la vie et à s’adapter aux changements. Ce que Ilham, refugiée syrienne de 51 ans, considère très positif. « Si je regagne mon pays, je ne serai plus femme au foyer comme auparavant. Ici, j’ai pris des responsabilités, j’ai gagné une expérience, j’ai fait une carrière et je suis devenue plus sûre de moi-même », confie Ilham qui gère un atelier de confection. Aujourd’hui, son mari, qui a perdu l’usine dont il s’occupait de la gestion à Damas, l’encourage dans son projet et ce, bien qu’il souffre de dépression.

Et si les couples se trouvent obligés de s’unir dans cette nouvelle terre pour affronter le quotidien, certains facteurs les incitent à devenir plus flexibles pour adopter de nouvelles conceptions afin que le train de vie roule. Ce qui leur donne du courage, d’autant plus qu’à l’exil, le poids des traditions n’est plus le même, surtout que les sociétés sont souvent les préservateurs de ce que l’on attend de chacun des deux sexes. « Ici ma communauté est faite de mes trois compatriotes natives du Burkina Faso, je ne connais qu’elles. Nous nous retrouvons pour échanger les histoires, les conseils et le soutien » explique Manjou, femme de ménage. Bref, pas de temps pour échanger les critiques et les préjugés stéréotypés.

A leur arrivée, la plupart de ces femmes se voient contraintes d’accepter des métiers modestes, au bas de l’échelle professionnelle. Mais nombreuses sont celles qui ne baissent pas les bras et qui se battent pour évoluer. Karima, une femme de ménage éthiopienne, a rejoint un atelier de couture destiné aux réfugiées pour acquérir de nouvelles compétences.

Et ce n’est pas tout. Certaines ONG tentent à leur tour de tendre la main à ces réfugiées. Le projet « Malazi » (mon abri), lancé en 2018 par le Centre égyptien pour le multiculturalisme, avec le soutien de l’Union européenne, a été un moyen pour offrir aux réfugiées et aux demandeuses d’asile une formation qui leur permet de trouver une opportunité de travail, d’autant que les expériences positives des femmes syriennes dans le domaine culinaire ont fait grand écho. « Cuisine des femmes réfugiées » est ainsi née visant, d’une part, à fournir à ces femmes des moments de détente et, d’autre part, à leur apprendre à cuisiner à la manière égyptienne et ce, afin de leur fournir des compétences différentes, de les rassembler pour échanger des recettes, des ingrédients et parfois des ustensiles.

Une révolution que ces femmes courageuses mènent en silence pour sortir du cocon qui leur était initialement destiné et s’émanciper. « Les femmes sont souvent les premières à réagir à une crise, que ce soit dans leur patrie ou dans le pays hôte, elles jouent un rôle primordial dans la refondation de leur communauté », explique Dr Hala Mansour, professeure de sociologie à la faculté de lettres de l’Université de Aïn-Chams. Et de conclure : « Ceci est paradoxalement dû à la manière dont les familles, surtout dans les sociétés orientales, élèvent leurs filles à devenir responsables et ce, depuis leur âge tendre. La femme s’entraîne très tôt à devenir autonome. Ainsi, l’expérience de l’exil est le moment qui mobilise en elle une énergie intérieure, surtout qu’il s’agit pour elle d’une question de survie, pour elle et pour les siens ».

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