La mode a toujours forgé le mythe d’un monde parallèle, optimiste et radieux, où fusionnent luxe et plaisir. Mais la mode, ce n’est pas que du bling-bling, du glamour et du rêve. Ce n’est pas que de l’ostentatoire et du superficiel. Elle peut aussi porter une cause. Et aujourd’hui, c’est celle de la Palestine.
Si ces derniers mois, quand on parle de la Palestine, une pléthore d’images nous vient à l’esprit, celles d’une terre noyée dans les souffrances et d’un peuple qui continue d’endurer quotidiennement des conditions humanitaires épouvantables avec des scènes d’horreur qui laissent très peu de place à l’espoir et au rêve, il est donc plus que jamais urgent de défendre non seulement la cause de la Palestine, mais aussi son patrimoine. Une communauté créative de stylistes s’y attèle. Ils puisent dans la culture palestinienne pour donner vie à leurs créations. Une tendance mode originale qui leur donne à la fois volonté et détermination. Une force douce adoptée pour s’adresser à un monde sourd aux cris d’un peuple qui lutte pour affirmer son identité.
Le designer égyptien Mohamed Nour a entamé la nouvelle année avec un message fort en lançant sa collection « Hurra », qui signifie (libre), en solidarité avec la Palestine. Condamnant les atrocités commises par l’occupation israélienne, Mohamed Nour s’est servi des nouvelles technologies pour présenter sa collection, comme il l’a imaginée. Il en a même peaufiné les moindres détails, afin que le monde n’oublie jamais l’horreur israélienne. Dans les créations de Nour générées par l’Intelligence Artificielle (IA), la collection comporte différentes robes pour femmes voilées et non voilées où le symbole culturel de la résilience est introduit de manière moderne. « J’ai commencé à concevoir la collection Hurra après le déclenchement de la guerre actuelle qui m’affecte profondément. Comme tout le monde, je voulais soutenir les Palestiniens de Gaza. Mais à ma manière, c’est le design. J’ai utilisé l’IA pour produire les images qui ont été présentées au public. Le but est non seulement de faire circuler un message d’espoir et de tracer un sourire sur les lèvres, mais aussi d’inciter celui qui ne connaît pas l’histoire de ce peuple à fouiller, afin d’apprendre davantage, et d’illuminer l’opinion publique, et ce, pour préserver la cause palestinienne », explique le styliste Mohamed Nour, soucieux de créer des tendances de mode ethnique dont il puise les lignes dans le patrimoine culturel des peuples. « J’ai étudié l’héritage culturel palestinien et j’ai été très impressionné par le keffieh palestinien ou hatta, comme l’appellent les habitants de Gaza, cette écharpe traditionnelle devenue un symbole de la lutte du peuple palestinien depuis la grande Révolution palestinienne en 1936, et après la Nakba en 1948 », explique Nour. Et d’ajouter : « Le hatta palestinien porte dans son design plusieurs messages. Les lignes s’entrecroisent comme les filets de pêche, les lignes droites représentent les voies commerciales desservant la région, et enfin les lignes onduleuses portent deux significations : les branches d’olivier, arbre propre à cette région, et les vagues de la mer. De quoi cultiver l’inspiration. Après avoir étudié cet héritage, j’ai essayé de mettre ceci en oeuvre selon les dernières lignes de mode internationales, et cela apparaît dans les coupes des modèles et dans la silhouette finale de la pièce. J’ai réalisé toute la collection en noir et blanc, d’abord pour préserver l’identité du style palestinien, et ensuite parce que le noir et le blanc sont très en vogue dans les tendances de mode de l’année 2024 ».
Une collection par Dar Noora qui défendent l’identité palestinienne.
Le keffieh, un châle, une histoire …
Loin du monde arabe, en novembre dernier, le designer néerlandais d’origine marocaine Aziz Bekkaoui a fait bouger l’eau stagnante. Ce styliste continue de se démarquer par ses créations s’inspirant de l’histoire et de la culture arabo-musulmanes pour présenter des collections hors du commun. Pour Aziz Bekkaoui, cette dernière collection présentée à l’occasion de l’Amsterdam Fashion Week a pour but de raconter l’histoire du militantisme et de sensibiliser les gens à la cause palestinienne. Une mission difficile dans ce pays où la présence sioniste ne passe pas inaperçue. Dans sa dernière collection intitulée Keffieh, Bekkaoui a créé des formes diverses et variées de châles, de sacs et d’autres modèles dans lesquels l’héritage culturel palestinien est présent et mis en valeur, notamment le keffieh. Ce styliste a voulu montrer le rôle de la coiffe traditionnelle dans la lutte contre l’injustice, et surtout faire
découvrir l’héritage culturel palestinien aux Pays-Bas et au monde entier. Il a créé de nouveaux modèles très en vogue, en y ajoutant quelques détails dans plus d’une pièce, présentant, par exemple, un morceau de châle s’entrecroisant dans plus d’une pièce vestimentaire.
Le keffieh est ainsi devenu la pierre angulaire de ses créations de sacs et de ses nouveaux styles vestimentaires. Il a aidé le créateur à diversifier ses modèles, en combinant l’ancien et le nouveau. Comme dans une robe avec des manches conçues avec ce tissu et avec un châle à nouer autour du cou. « Pour moi, cette matière textile n’est pas seulement un morceau de tissu, mais elle doit raconter quelque chose, car il y a une histoire qui lui est attachée. Le keffieh est une pièce qui nous parle depuis des siècles. Ce tissu a un pouvoir énorme lié à la tradition et à l’artisanat. C’est un symbole bien plus fort qu’un drapeau », rapporte-t-il au site Middle East Eye.
Selon le styliste égyptien Youssef Spahi, ce n’est pas la première fois que la mode interagit avec l’actualité. La mode est un miroir de ce qui se passe autour de nous. Et la politique s’est immiscée dans plusieurs grandes maisons de couture. « Il ne s’agit pas seulement d’un moyen d’expression, mais aussi d’un outil influent pour préserver l’identité palestinienne, l’histoire de ce pays et son patrimoine architectural et culturel que l’Etat hébreu et le monde occidental tentent d’anéantir », explique Spahi.
La double bataille des stylistes palestiniens
Or, si Bekkaoui et Nour n’ont pas raté l’occasion de réagir à la guerre actuelle, il existe des stylistes palestiniennes qui tentent de faire entendre la voix de ce peuple depuis bien longtemps, et ce, malgré tous les remous. Alors qu’elle vit sous l’occupation israélienne, la styliste Hind Hilal a dû mener une autre bataille pour créer sa marque. Malgré l’absence d’opportunités de formation dans le domaine de la haute couture en Palestine, le manque de ressources, la concurrence avec les marques israéliennes sur le marché du travail et le retard imposé par les checkpoints, cette architecte a pu surmonter tous les défis et créer ses premiers modèles. Sa collection reflète à la fois force et féminité. « Etre créative tout en vivant sous l’occupation est un défi quotidien. Créer quelque chose d’authentique avec peu de possibilités et pour avancer plus loin est devenu ma façon de résister et d’exister en tant que Palestinienne, et surtout comme styliste, malgré les limites », a déclaré Hilal à l’Agence Médias Palestine.
D’autres stylistes puisent dans leurs souvenirs d’enfance pour mettre en relief leurs créations avec des paysages, des sons et des expériences pour créer leur collection. C’est le cas de la maison de couture de renom Dar Noora, dont la créatrice Noora Khalifeh laisse défiler les mémoires dans la vieille ville d’Al-Qods pour créer une collection palestinienne classique avec une vision moderne en faisant travailler des femmes sur place. « Ce sont des couturières qui travaillent à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem. Sans elles, mes collections de Dar Noora seraient incomplètes. Une belle opportunité pour découvrir différents styles vestimentaires et étendre une activité de mode palestinienne unique », confie Noora, propriétaire de cette maison de couture, contactée par l’Hebdo via WhatsApp. Noora, qui se déplace entre Ramallah et Jérusalem, assure que sa maison de couture compte environ 200 femmes qui effectuent leur travail dans les territoires occupés. Pour elle, c’est sa façon de résister. « Dans le passé, nos grands-mères tentaient de lancer des messages à travers leurs habits pour montrer leurs souffrances. Certaines portaient des robes en broderie en forme de barreaux de la prison pour montrer que leurs enfants sont détenus. D’autres portaient des broderies qui représentent la mosquée d’Al-Aqsa, le drapeau palestinien ou bien d’autres symboles ou éléments de notre terre », affirme Noora. « La mode est, en fait, un langage silencieux à travers lequel de nombreux messages peuvent être transmis, et c’est ce que nous faisons à Dar Noora, régénérer les éléments et les symboles de nos grands-mères qui reflètent nos souffrances et nos aspirations », avance Noora, tout en assurant que beaucoup d’artistes mettent actuellement, à côté de leur signature, le slogan Free Palestine, symbole de solidarité et moyen de préserver la cause.
Mohamed Nour s’est servi de l’IA pour présenter sa collection comme il l’a imaginée.
Un patrimoine, une identité
Selon Lina Hamawy, sociologue palestinienne, Israël tente à tout prix de falsifier l’histoire de la Palestine en détruisant son patrimoine et son héritage culturel. Affirmer son identité palestinienne en dévoilant les vérités est un moyen de s’imposer. « Les collections qui ont aujourd’hui recours aux symboles palestiniens comme le keffieh ou le tatriz (broderie) prouvent que nous existons encore. Depuis longtemps, nous luttons pour notre cause par différents moyens, utilisant soit la poésie, la littérature ou le cinéma, et donc la mode ne va pas faire exception », dit-elle.
Une vague de créativité qui ne cesse de prendre de l’ampleur à travers le monde. Il suffit de citer que des personnes connues ont soutenu cette tendance. La politicienne américaine Rashida Tlaib portait une robe palestinienne au moment de prêter serment au Congrès américain. De son côté, la reine Rania de Jordanie, connue par son élégance et son goût raffiné, est apparue portant un caftan bleu avec broderie aux points de croix palestiniens signé par la maison de couture Dar Noora qui combine la mode contemporaine et le « tatriz » traditionnel palestinien. La réalisatrice Farah Nabulsi, nommée aux Oscars, et les soeurs mannequins Gigi et Bella Hadid se sont fait remarquer en portant des vêtements palestiniens ou le keffieh, afin de souligner leur identité culturelle et d’attirer l’attention sur la cause palestinienne.
Ce mouvement vestimentaire n’est pas simplement un phénomène de mode, mais plutôt une volonté de s’exprimer, de prendre position et de faire en sorte que cet héritage culturel ne soit pas emporté par le vent. Une petite victoire ? Sans doute. Chaque point de croix dans cette broderie constitue un triomphe, car cela permet d’aider les autres à suivre les traces de ce peuple et à prêter l’oreille à la version racontée par les vrais habitants de cette terre.
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