Il suffit de parcourir les rues du Caire pour constater que, dans cette ville, rien n’est fait pour faciliter les déplacements des personnes handicapées. Avec beaucoup de difficultés, Wahid, non-voyant, tente de repérer son chemin. Dans son périple quotidien, il compte sur l’aide des passants. L’un va l’aider à traverser la rue, un autre l’empêcher de tomber dans une bouche d’égout et un troisième le sauver d’une voiture lancée vers lui à toute allure. Dans certaines grandes villes du monde, les feux rouges peuvent être actionnés à l’aide d’un bâton électrique qui stoppe les voitures. Ce système permet aux aveugles non seulement de traverser la rue en toute sécurité, mais aussi d’avertir les automobilistes de leur présence. Mais cela n’existe ni au Caire, ni ailleurs en Egypte.
Selon l’Onu, 10 % de la population égyptienne est handicapée, soit 9 millions de personnes. Ce chiffre pourrait cependant être sous-estimé, car les études effectuées sur la population handicapée ne tiennent pas compte de certains handicaps, comme la paralysie complète. « L’absence d’informations précises les concernant nous empêche d’étudier leurs problèmes et de proposer des solutions », regrette Tareq Mohamad, membre de la Coalition des handicapés, qui estime que le nombre réel des handicapés en Egypte pourrait atteindre les 15 millions.
En dépit de leur nombre important, les personnes qui ne peuvent se mouvoir facilement ne bénéficient d’aucun aménagement urbain spécifique. « Un handicapé en Egypte est comme un détenu condamné à rester enfermé dans sa maison, assène Hassan Moustapha, président de l’association Basma pour les services aux handicapés et aux orphelins. Aucun coin dans la rue ne semble admettre notre présence ». Exaspérés de l’absence de prise en compte de leurs problèmes, les handicapés se sont mobilisés quelques mois avant la révolution du 25 janvier 2011. Ils ont organisé un sit-in devant le Parlement qui a duré 86 jours. « La rue a toujours témoigné de nos souffrances, c’est pourquoi nous l’avons choisie pour faire entendre notre voix aux responsables », explique Hicham, handicapé moteur qui fait ses courses en se déplaçant en chaise roulante. Il confie qu’il a du mal à monter et à descendre les trottoirs, car les passages en pente conçus pour les handicapés moteurs font défaut.
De fréquents accidents
« Nous sommes différents dans nos capacités, mais égaux en droits », tel est le slogan défendu par les handicapés.
Pour un handicapé, marcher dans la rue, c’est se lancer dans une aventure à haut risque, car celle-ci ne lui garantit même pas une sécurité minimale. Mais comme la plupart d’entre eux ne veulent pas rester enfermés, ils prennent des risques. Il n’est pas rare qu’ils soient heurtés par une voiture et se cassent un bras ou une jambe. « On nous fait sentir que nous sommes des citoyens de seconde zone ayant constamment besoin de l’aide d’autrui », reprend Hicham, qui tente de mobiliser la société à leur situation par l’intermédiaire d’une page Facebook intitulée « Ensemble pour soutenir les handicapés ».
Pour trouver des solutions à leurs nombreux problèmes, le Conseil national pour les handicapés a lancé une initiative portant le slogan : « Nous sommes différents dans nos capacités, mais égaux dans les droits ». Objectif : tenter d’améliorer leurs conditions de vie dans la rue. Selon Hala Abdel-Khaleq, secrétaire générale du Conseil, le gouvernement a accepté de baisser de 30 % les droits de douane imposés aux fauteuils pour handicapés. Une décision qui serait cependant insuffisante. « Près de 40 % des handicapés vivent dans la précarité et n’ont pas les moyens de s’offrir un fauteuil roulant, précise Hicham. De plus, il faudrait goudronner les rues pour faciliter les déplacements ». Le gouvernement a également décidé d’augmenter la pension des handicapés, de 120 L.E. à 400 L.E.
Bien que ces décisions améliorent un peu les conditions de vie matérielles des handicapés, de gros progrès restent à accomplir en matière de mentalités. « Il s’agit d’un problème culturel, pense Hassan Moustapha. La situation de l’ handicapé dans la rue reflète le comportement de la société. C’est une personne qui doit vivre dans l’ombre et jongler pour avoir accès à ses droits les plus élémentaires ». Moustapha aimerait pouvoir changer l’image de la personne handicapée dans la société et la convaincre que « c’est une personne qui a des besoins spéciaux. Pas un mendiant ».
Le chemin de l’intégration des handicapés dans la société est cependant encore long. Des membres de l’Association de réhabilitation et de protection des sourds-muets ont un jour entrepris de vendre dans la rue des brochures présentant leur langage gestuel, pour aider les personnes ordinaires à communiquer avec eux. Mais ils ont été victimes de rejet de la part de certains passants, raconte Tamer Salah, un membre de l’association : « On nous a pris pour des mendiants ou des escrocs ! Alors que nous voulions simplement briser ce mur du silence derrière lequel nous sommes enfermés ». Un mur de silence et d’hostilité, dont ne sont pas seulement victimes les sourds-muets ou les handicapés, mais toute personne porteuse d’une différence.
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