C’est à Ramsès ou Al-Chohadaa (les martyrs) que les trois lignes de métro cairotes se croisent. Fonctionnaires, étudiants, marchands ambulants et d’autres citoyens s’y rendent pour se diriger, ensuite, vers d’autres directions. Roqaiya Al-Seifi, brigadier et chef du département des droits de l’homme à la police des transports, trône sur les lieux. Elle tient entre les mains un détecteur de métaux pour découvrir tout objet suspect. Un chien policier à la robe noire lui tient compagnie, il attend ses ordres pour intervenir. « Près de 3 millions de passagers prennent le métro chaque jour. Nous sommes ici pour prévenir le harcèlement et les agressions, le tout sans perturber le fonctionnement du métro », explique Al-Seifi avec un léger sourire.
Porter l’uniforme ne l’empêche pas d’être légèrement maquillée et de porter plusieurs bagues. Fière de son travail et d’être une femme, elle fait partie de la toute première promotion de femmes officiers en 1983. « Je suis diplômée de la faculté de droit, je suis tombée un jour sur une annonce publiée par l’Académie de police qui demandait à recruter pour la première fois des jeunes filles pour une formation d’une année. Je me suis dit : Pourquoi ne pas devenir policière et avoir la chance de mettre en pratique mes années d’études en travaillant sur le terrain », se souvient Roqaiya Al-Seifi.
A l’époque, Roqaiya a eu du mal à convaincre ses parents qui ont toujours pensé que la place idéale pour la femme, c’est sa maison. Aujourd’hui, elle dirige 17 agents de police et sergents. « Ma mission est de détecter les comportements suspects. J’observe le comportement des passagers. Plusieurs passagères de la station de métro Saint Therese située à Choubra ont porté plainte contre le harcèlement dans le métro », explique-t-elle.
1980 : les débuts
C’est Abdel-Karim Darwich, directeur de l’Académie de police dans les années 1980, qui a eu l’idée de recruter de jeunes filles pour la première fois. Il a même créé un département pour les femmes. A l’époque, il venait d’obtenir son doctorat en gestion aux Etats-Unis. Il a vu comment dans ce pays les femmes pouvaient travailler dans la police. « Dans les années 1980, le tourisme était en plein essor et donc Darwich a décidé de recruter des femmes maîtrisant les langues étrangères pour montrer que l’Egypte n’exclut pas la femme », rapporte Ihab Youssef, président de l’association « La police et le peuple pour l’Egypte ». Les premières promotions de policières ont été dispatchées dans les secteurs du tourisme et dans les aéroports.
En effet, cela fait 30 ans que l’académie recrute des femmes dans différentes spécialités. Mais, durant ces 30 années, 400 femmes seulement ont été diplômées. « La mentalité de chaque responsable et sa vision du rôle de la femme ont eu un impact sur le recrutement de ces policières », déclare Hanane Abdel-Wahed, brigadier de police et responsable des relations publiques au sein de la police du tourisme et du patrimoine.
Par exemple, l’ancien ministre de l’Intérieur Abdel-Halim Moussa (1990-1993) a bloqué durant 3 ans le recrutement des femmes policières.
Cependant, l’année 2010 a été un vrai tournant. La participation des femmes, membres du mouvement du 6 Avril, aux manifestations contre le pouvoir, a attiré l’attention des responsables au ministère de l’Intérieur. Ils ont alors jugé nécessaire de recourir aux policières pour maîtriser les débordements des manifestations où il y a beaucoup de femmes. C’est en fait Ismaïl Al-Chaër, ex-directeur du secteur de la Sécurité du Caire, qui a proposé à l’ancien ministre de l’Intérieur Habib Al-Adely de faire travailler des femmes policières sur terrain.
Et c’est pour cette raison qu’au cours de la même année, l’Académie de police a procédé au recrutement d’une trentaine de jeunes filles diplômées de la faculté d’éducation physique pour devenir officiers de police.
25 janvier : des policières dans la rue
La présence des policières dans les moyens de transport rassure les passagères.
(Photo:Adel Anis)
Pendant la révolution du 25 janvier 2011, on pouvait voir pour la première fois des manifestantes et des femmes policières face à face. « J’étais présente à ces manifestations, pour réclamer le départ de l’ancien régime. J’ai vu des policières procéder à l’arrestation des activistes », relate Afaf Al-Sayed, activiste.
Ce qui explique pourquoi, après la révolution, ces policières ont été pointées du doigt tout comme leurs collègues hommes. En effet, l’image de la police a été ternie et le peuple critique ceux qui portent cet uniforme. La police est devenue l’ennemi du peuple.
« Je me souviens que, pendant le couvre-feu qui a suivi la révolution de 2011, tous les citoyens restaient enfermés chez eux. Un matin alors que je me rendais à mon boulot, il fallait que je passe par un point de contrôle, un homme barbu, qui faisait partie d’un comité populaire à l’époque, a contrôlé ma carte d’identité et m’a traitée de traîtresse », se souvient Hanane, brigadier de police. Très choquée, elle s’est contentée de lui dire merci tout en poursuivant son chemin.
Howaïda, lieutenant, qui travaille à l’Union sportive de la police, confie que les conditions politiques particulières que traverse le pays en ce moment ont mis les femmes policières sous le feu des projecteurs.
Sara Yéhia, médecin et sous-lieutenant et dont le père était dans la police, est fière malgré tout d’exercer ce métier.
« J’ai vu comment mon défunt père, qui était un officier de police, veillait à la sécurité des gens. Durant mon enfance, alors que nous vivions dans la même maison, je ne le voyais presque pas. Il nous a appris que la sécurité des citoyens passait avant tout », rapporte Sara Yéhia.
Convaincu de l’importance du rôle de la police dans la société, son père l’a même encouragée à s’inscrire à l’Académie de police, après qu’elle eut obtenu son diplôme de médecine. Et ce n’est pas la seule raison : le ministère de l’Intérieur offre plusieurs avantages entre autres, assurance médicale, salaires adéquats, primes, congés payés pour suivre des études supérieures, ce qui n’est pas le cas des fonctionnaires des autres institutions de l’Etat.
Regagner la confiance des citoyens
Des femmes médecins sont également engagées par la police.
(Photo: Magdy Abdel-Sayed)
Aujourd’hui, la situation est en train de changer. Les policières, tout comme leurs collègues, tentent de regagner coûte que coûte la confiance des citoyens. D’après Hassan Abou-Taleb, directeur de l’Institut régional d’Al-Ahram, la présence des policières dans ce secteur embellit l’image de la police, ternie lors de la révolution du 25 janvier.
D’après Abou-Taleb, avoir de plus en plus de policières en contact direct avec la population est une manière de montrer que l’Egypte respecte les droits de l’homme et l’égalité des sexes.
Il rappelle l’article 47 du code pénal qui stipule qu’une femme doit être fouillée par une femme comme elle.
Nasma, étudiante à la faculté de commerce, pense que la présence de ces policières a brisé la barrière de la peur et de la timidité. « Il m’est plus facile de demander un renseignement à une policière. Par contre avec un homme, je me sens moins à l’aise », précise-t-elle.
A Assiout en Haute-Egypte, à l’entrée d’une mosquée, Howaïda est en mission. Elle est chargée de fouiller les femmes qui assistent à la prière du vendredi. Maha, elle, assiste à une séance de sensibilisation dans une école publique à Charqiya (gouvernorat situé à l’est du Delta). Tenant entre les mains deux panneaux de signalisation, elle explique aux élèves leur signification. Maha saisit une montre et explique aux enfants les gestes à suivre rapidement en cas de danger. « Ces cours visent à initier les enfants aux notions de la protection civile. L’objectif est d’atteindre toutes les tranches d’âge dans les écoles et collèges. Ces séances montrent le rôle de la police dans la rue », révèle Maha.
Aujourd’hui, la police a créé un département spécialisé dans les droits de l’homme ainsi qu’une unité pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Cette unité a recruté des femmes officiers.
De même, un protocole de coopération avec le Conseil national de la femme a été signé. Une chose est sûre : la présence de ces femmes dans la rue se fait de plus en plus remarquer. Si, pour certains, c’est un moyen d’embellir l’image de la police, pour d’autres, c’est une preuve de l’évolution du statut de la femme dans la société. « Nous avons tant revendiqué l’égalité entre les deux sexes. Nous espérons que le rôle de ces policières sera plus concret. Je propose qu’elles soient présentes dans tous les secteurs, y compris les commissariats de police. C’est l’occasion pour le ministère de l’Intérieur de prouver qu’une réforme est en train d’avoir lieu au sein de cette institution », conclut Afaf Al-Sayed.
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