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Mon maillot, mon identité

Dina Darwich , Samedi, 12 août 2023

Du bikini au burkini, en passant par tous types de maillots répondant aux nouvelles tendances, les plages offrent un véritable spectacle avec toute une variété de tenues de bain. Mais au-delà de ce spectacle, le choix du maillot reflète des choses bien plus sérieuses.

Mon maillot, mon identité

Qui dit été dit plage et qui dit plage dit défilé de maillots. Dans les stations balnéaires d’Egypte, un beau spectacle s’offre aux yeux. Les femmes qui se pavanent en maillots de bain avec chacune son propre style. Et il y a de tout : les maillots de bain une pièce, échancrés à l’avant ou à l’arrière, les trikinis (croisement entre un maillot de bain 1 pièce et un bikini), les bikinis, les tankinis 2 pièces (short haute taille et débardeur avec manches courtes ou longues) et les burkinis (maillots islamiques avec bonnet), le choix des femmes voilées qui veulent elles aussi profiter de la mer et qui ne veulent pas se cantonner dans les plages et piscines réservées exclusivement aux femmes.

Si dans les pays occidentaux, le port du burkini a soulevé un tollé, en Egypte, le maillot de bain islamique, bien que largement répandu, provoque toujours la polémique : bien que ce ne soit pas officiellement déclaré, l’interdiction du port du burkini est officieuse, ou dans certains complexes touristiques huppés du Caire et certaines stations balnéaires où le burkini est mal vu. Il y a deux ans, les réseaux sociaux avaient déclenché un débat acharné suite à la publication d’une vidéo montrant une jeune fille en pleurs, fille d’un médecin de renom, disant qu’elle a été interdite d’accès à la piscine d’un complexe car elle portait le burkini. « J’ai vécu 10 ans au Canada et je n’ai jamais été persécutée parce que je portais le hijab. Au contraire, tout le monde respectait mes convictions religieuses », disait-elle dans une vidéo qui a recueilli des milliers de vues dès sa publication, appelant à défendre les droits vestimentaires des femmes voilées, la liberté de se baigner en burkini et profiter de la mer comme toute autre femme.

Le bikini, maillot à scandale

Bien avant la polémique sur le burkini, c’est le bikini, créé il y a 77 ans, qui faisait scandale. On se souvient toujours de la célèbre chanson de Dalida « Itsi bitsi petit bikini », sortie dans les années 1960 et qui racontait la pudeur d’une jeune fille craignant de se montrer avec son petit bikini.

C’est Micheline Bernardini, une danseuse au Casino de Paris, qui a porté le premier bikini inventé par Louis Réart en1946. Le jour où cette femme est apparue au bord d’une piscine vêtue d’un maillot de bain 2 pièces, le bas en forme de triangle bien échancré et un haut sans bretelles, tout le monde était choqué. On était loin de penser que ce sulfureux bikini allait devenir l’emblème d’une génération qui rêve de liberté et veut assumer son corps. Nombreux étaient ceux qui n’auraient pas cru que cette première apparition du bikini changerait à jamais la mode balnéaire des femmes. Lors de son apparition, le bikini était jugé indécent, même dans les pays occidentaux.

Maillot classique, bikini, trikini, tankini, burkini, les femmes, aujourd’hui, ont l’embarras du choix. Chacune a ses propres raisons et ses propres arguments pour opter pour tel ou tel modèle. Les unes veulent être « in » et porter le maillot dernier cri, les autres veulent mettre en valeur la beauté de leur corps ou encore le cacher, par conviction religieuse. Ce qui a fait prospérer le marché des ventes des tenues de plage. « Le maillot est une tenue tout comme d’autres tenues, de soirée, de sport, de sortie, etc. L’important pour moi, c’est qu’il soit à la mode, bikini ou maillot une pièce, échancré ou pas, cela n’a pas d’importance pour moi. Ce qui m’attire particulièrement, c’est la fashion », affirme Mahitab, une femme de 35 ans qui travaille comme directrice des ressources humaines. Et d’ajouter : « Comme je fréquente les belles plages de la Côte-Nord surnommée Al-Sahel Al-Cherrir (ou la vilaine Côte-Nord — terme ironique faisant allusion à la cherté de la vie et au luxe des complexes touristiques), alors je dois porter les marques de maillots les plus tendance. Ici, on fréquente la crème de la société et les stars. C’est comme si c’était à la Côte d’Azur ! », dit Mahitab, dont l’avis est bien plus audacieux que celui de Ola. Celle-ci affirme qu’avant de choisir son maillot, elle doit respecter certains critères. « D’abord, cela dépend de la plage ou la piscine où je vais. Qui sont ceux qui la fréquentent ? Des gens conservateurs ou plutôt libéraux ? Autre critère, le maillot doit être adapté à ma morphologie. Je préfère le maillot de bain une pièce pour camoufler mon ventre. C’est la tenue parfaite pour se baigner dans toutes les plages, car à mon avis, le bikini est réservé pour les stations balnéaires où les femmes voilées sont peu nombreuses. Et comme je ne peux pas me permettre d’avoir un maillot pour chaque plage, car leurs prix sont élevés, pas moins de 1 000 ou 1 500 L.E. même pour les marques locales, alors je me contente d’une pièce », avance Ola, une jeune femme de 30 ans qui travaille dans le e-commerce. Quant à Lobna, dentiste de 26 ans, elle a une préférence pour les maillots de bain discrets pour éviter d’attirer les regards. Un avis soutenu par Farida, 28 ans, comptable et mère de deux enfants, qui n’aime pas les maillots échancrés dans le dos ou bien ceux qui laissent apparaître la poitrine. Car entre les deux extrêmes, il y a aussi les maillots plus réservés, à demi-manche ou avec une petite jupe qui cache les hanches.


Le burkini est ainsi devenu une tendance. Il répond lui aussi à l’effet mode, avec des marques plus ou moins chères, des originaux et des copies, chaque modèle reflétant un choix de pudeur, mais aussi une appartenance à une certaine classe sociale.

Le choix est bien plus restreint pour Mariam, une étudiante de 23 ans. « Je suis voilée et donc le burkini est mon seul choix. Au moins, ça me permet de jouir du plaisir de la mer tout en respectant mes convictions religieuses. Lorsque j’ai décidé de porter le voile, mon plus grand souci était de trouver le maillot de bain qui me convient pour profiter de la mer. Le choix n’était pas grand. Aujourd’hui, il existe des marques égyptiennes. La styliste Hadia Ghaleb fabrique des maillots de bain très chics pour les voilées et même pour les femmes non voilées. Des pièces aux couleurs chatoyantes fabriquées avec des tissus de qualité et des accessoires tout à fait assortis permettant de se démarquer et d’avoir l’apparence élégante. Il existe même des filles non voilées et des stars comme Héba Magdi qui ont opté pour cette tenue vestimentaire au bord de la mer », confie Mariam, en ajoutant qu’un burkini coûte souvent plus cher que le bikini, car il est fabriqué de plusieurs pièces et son prix peut parfois atteindre les 8 000 L.E.

Le burkini, de l’utilité au business

Depuis son apparition il y a une vingtaine d’années, le burkini a largement évolué. Sa création est attribuée à une Australienne d’origine libanaise, Aheda Zanetti, et remonte à 2004. Une démarche à la fois utilitaire et commerciale. Depuis, nombre de maisons de mode se sont lancées dans la conception de nouveaux modèles qui allient hijab et beauté. Après elle, de nombreuses marques internationales s’y sont mises. Des créateurs de mode égyptiens aussi. Injy El Bassiouny, directrice de la maison Kaftan Egypt, dit qu’ils ont commencé à fabriquer des burkinis en 2019, alliant élégance et confort et fabriqués avec des tissus résistants, légers et à séchage rapide tout en garantissant une protection solaire. « Nos produits ont encouragé les femmes, y compris les non voilées qui n’aiment pas porter de maillots de bain dénudés, à en acheter, surtout qu’il existe une grande variété. Allant du burkini islamique au tankini 2 pièces portées avec short haute taille et débardeur, manches courtes ou longues, jusqu’au burkini avec burqa pour les femmes qui portent le niqab (voile intégral). On veut offrir à chaque femme la possibilité de profiter de la mer tout en respectant ses croyances religieuses, surtout que notre slogan est Enjoy Your Summer (profitez de votre été) », dit-elle.

Le burkini est ainsi devenu une tendance. Il répond lui aussi à l’effet mode, avec des marques plus ou moins chères, des originaux et des copies, chaque modèle reflétant un choix de pudeur, mais aussi une appartenance à une certaine classe sociale. « Je me sens plus à l’aise en burkini, et en même temps, je respecte les normes sociales, surtout que les plages que je fréquente accueillent des estivants de différentes cultures et couches sociales. Beaucoup ne sont pas tolérants vis-à-vis des maillots de bain laissant apparaître le corps », estime Monica, étudiante. D’autres femmes sont allées plus loin ; c’est le cas de Karima, femme de ménage, originaire d’un village au Fayoum. Résidant au Caire depuis une vingtaine d’années, elle a connu les sorties dans les clubs cairotes et se baigne à la piscine d’un club populaire où elle est membre. Elle a composé son propre maillot burkini d’un marché populaire qui convient à ses moyens, loin des grandes marques : pantalon moulant, une robe ample qui arrive jusqu’aux genoux, un bonnet de bain pour couvrir sa chevelure et une burqa pour cacher son visage. « Récemment, on a commencé à fabriquer des maillots pour les femmes qui portent le niqab. Une tenue que l’on peut trouver uniquement en Egypte et dans les magasins de monaqqabat (les femmes qui portent le niqab) », confie Karima, qui a acheté son maillot à 300 L.E.

Mais même cette tenue de plage qui couvre tout le corps ne fait pas l’unanimité. Iman, 48 ans, refuse de nommer le burkini comme maillot islamique ou maillot « charïe ». « Ce terme n’existe pas dans notre religion. Le fait que des femmes musulmanes pratiquantes fréquentent des plages mixtes et portent le burkini va à l’encontre de l’essence même des enseignements religieux, c’est un manquement au respect de la pudeur et à l’intimité corporelle. Le burkini est moulant, il montre clairement les rondeurs du corps. L’islam appelle les croyants à éviter les lieux où la nudité est omniprésente. En portant un burkini, les femmes peuvent respecter dans une certaine mesure une règle, mais en bafouer une autre », dit-elle sur un ton ferme.


Depuis son apparition il y a une vingtaine d’années, le burkini a largement évolué. Sa création est attribuée à une Australienne d’origine libanaise, Aheda Zanetti, et remonte à 2004.

Le maillot est-il devenu donc une question sociale ? Un sujet politique ? Tout porte à croire que oui. Selon la sociologue Nadia Radwan, « si le burkini est censé permettre aux musulmanes pratiquantes de ne pas être privées du plaisir de la mer et de la baignade, il revêt aussi une connotation politique : certains le fustigent pour l’image qu’il donne de la femme, d’autres le défendent pour des raisons politiques plutôt que de défendre le droit des femmes de se baigner librement ».

Et la polémique de continuer. Tout comme les modes qui apportent chaque été les nouvelles tendances …

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