Plus de 40oC au Caire, bien plus en Haute-Egypte, pics de chaleur même à la Côte-Nord … L’Egypte, comme bien d’autres pays du monde, subit une canicule sans précédent. Cette année, le bilan n’est pas encore connu, mais en 2015, lors de la dernière canicule qui a frappé l’Egypte, 21 personnes ont trouvé la mort à cause de la chaleur. Le sujet est sur toutes les lèvres. Les débats s’embrasent, comme le climat, sur ledit « dôme de chaleur » qui surplombe la région. Les experts en météorologie le comparent à un couvercle qui emprisonne la chaleur dans une marmite et empêche la vapeur de se dégager. Et dans cette casserole nous sommes censés mener notre train de vie. « C’est tout bonnement l’enfer », répète-t-on tous, à l’unisson. Mais pour certains qui doivent travailler au grand air, c’est un défi de plus, une lutte au quotidien contre cette chaleur excessive. Ce sont les ingénieurs, les maçons, les agriculteurs, les vendeurs ambulants, qui travaillent à l’extérieur. Ou encore les pompiers, les boulangers et d’autres exposés à de fortes chaleurs. Et pour ces gens-là, toutes les astuces sont bonnes pour se préserver contre cette chaleur caniculaire.
Plus une goutte d’eau dans la gourde de Abdel-Rahman, qui ne cesse de s’hydrater à longueur de journée. Cet ingénieur civil de 25 ans arrive sur le chantier à 6h pile. Un horaire qu’il doit respecter scrupuleusement après avoir été victime d’une insolation l’année dernière, ce qui l’avait obligé à garder le lit pendant deux jours. Cette année, il a voulu prouver à ses ouvriers qu’il n’est plus le jeune homme imprévoyant. Il a donc décidé de prendre quelques mesures pour éviter que son équipe ne s’expose aux pics de chaleur. « On commence le travail très tôt pour finir avant la mi-journée. A 15h par exemple, l’asphalte bouillonne, les briques chauffées par les rayons du soleil et transportées sur les épaules par les ouvriers irritent la peau, les échelles métalliques sur lesquelles nous grimpons brûlent les mains. On perd beaucoup d’énergie durant les heures de grandes chaleurs », explique Abdel-Rahman Salama, qui prend soin de s’hydrater en buvant au moins 5 litres lorsqu’il est sur chantier, porte une casquette sur la tête, une chemise ample au lieu d’un t-shirt moulant et un sous-vêtement en coton sous son jean pour absorber la sueur.
Le rapport de l’OMT assure que les femmes sont parmi les tranches vulnérables qui vont être influencées par le changement climatique. (Photo : AP)
Les maçons eux aussi s’hydratent régulièrement. Les tâches deviennent plus pénibles à faire au fil de la journée qui s’achève souvent dans la souffrance. Mais pour alléger ce lourd fardeau, le jeune ingénieur réorganise les tâches. Les ouvriers se relayent : quelques-uns travaillent tandis que d’autres font une petite pause, et inversement. Autre astuce : celle de décaler les horaires, c’est-à-dire travailler le soir ou commencer tôt le matin pour profiter le plus possible de la fraîcheur, ou alors prendre des pauses supplémentaires et plus longues aux heures les plus chaudes de la journée, comme le confirme Salama. « Je me douche entre les services. Je rentre chez moi pour me reposer ou je prends une petite boisson bien glacée durant les moments de pause pour augmenter mon taux de sucre dans le sang, combattre la fatigue et éviter la déshydratation », explique-t-il.
Selon un rapport publié dans le magazine Nature Sustainability, l’exposition à des températures supérieures à 40oC peut être mortelle, surtout si l’humidité est élevée et donc le corps n’est plus capable de se refroidir à une température qui maintient ses fonctions normales. La température normale du corps humain se situe entre 36 et 37,5 degrés, au-delà, c’est la fièvre. « Lorsque la température dépasse les 39oC, elle provoque un stress thermique dans le corps, entraînant un coup de chaleur qui peut être fatal. L’exposition à la chaleur peut exacerber l’hypertension artérielle, les maladies cardiaques et les maladies rénales. Elle provoque également une perte de concentration et une fatigue accrue », explique le cardiologue Faisal Mourad. D’ailleurs, les paumes de la main deviennent moites à cause de la chaleur, entraînant un risque accru d’accidents de travail, comme le montre une étude parue fin 2021 : au-dessus de 30oC, le risque passe de 5 à 7 %, à plus de 38oC, il passe de 10 à 15 %. « A partir de 39,4°C, les températures sont considérées comme dangereuses pour l’homme, et extrêmement dangereuses à 51°C. Les seuils les plus élevés ont été initialement définis par rapport à certains environnements de travail (les chaudières par exemple ou bien les boulangeries) et n’ont guère été observés jusqu’à présent dans l’atmosphère extérieure », poursuit le cardiologue.
Des métiers plus exposés que d’autres
Ragab Harbi est vendeur ambulant de foul, falafel et frites. Il est installé devant une gargote où il a placé son réchaud et une grande poêle pleine d’huile. L’odeur de ses falafel embaume l’air et fait couler la salive des passants. Devant son fourneau qui dépasse les 200 degrés, son visage est dégoulinant de sueur. De temps à autre, il prend une gorgée d’eau, essuie son front machinalement puis se dépêche pour préparer le maximum de sandwichs. « Tout doit être prêt avant 9h, car après, il fait trop chaud pour moi. J’arrête le travail à 13h pour rentrer dormir jusqu’au coucher du soleil, puis je reprends mon boulot pour préparer les fèves dont la cuisson peut durer 8 heures », souligne-t-il.
(Photo : AFP)
Idem à une boulangerie située dans le quartier d’Héliopolis. « Ici, la température dépasse de 15oC celle de l’extérieur. Et comme je dois rester devant le four pour faire cuire au moins 2 800 galettes par heure, je dois sortir 10 minutes chaque heure pour reprendre mon souffle, tout comme le nageur qui sort sa tête de l’eau pour respirer. Je pense que le brumisateur est utile dans notre métier pour humidifier un peu l’atmosphère. Le problème est que nous ne pouvons pas décaler les horaires de travail, car les clients ont besoin de pain toute la journée », avance Emad, boulanger de 50 ans, qui ajoute que les défis du métier sont plus grands durant l’hiver, car la différence entre les températures extérieure et intérieure risque de provoquer des maladies pulmonaires. « Et si on étouffe en été, on souffre aussi durant l’hiver », assure-t-il.
Autre figure de la rue, Yasser Ibrahim, un chauffeur de poids lourd de 35 ans. Sur un parcours quotidien qui dépasse les 1 000 km entre Le Caire et la Haute-Egypte, il assure que sa journée sous cette chaleur torride est la recherche continuelle pour trouver une zone d’ombre, surtout que les trajets sont longs. « Parfois, je suis contraint de parcourir des centaines de km pour trouver où me rafraîchir, boire quelque chose de frais, prendre un repas ou faire un petit somme. Mais les défis du métier ne s’arrêtent pas aux besoins du chauffeur et de son assistant, il y a ceux du véhicule, dont il faut surveiller la température du moteur sur le tableau de bord et s’assurer de la sécurité des pneus qui ne doivent pas être gonflés au maximum pour éviter qu’ils n’éclatent à cause de la chaleur excessive ».
Les boulangers doivent s’installer devant des fourneaux dont la température dépasse de plus de 15oC au minimum la température ambiante. (Photo : Mohamad Moustapha)
En effet, l’augmentation du stress thermique lié au réchauffement climatique va conduire à des pertes de productivité à l’échelle mondiale qui équivalent à 80 millions d’emplois à temps plein en 2030, selon un nouveau rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Ce qui correspond à des pertes économiques de 2 400 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Le secteur qui va être le plus durement touché, à l’échelle mondiale, est l’agriculture. Le secteur de la construction sera lui aussi fortement impacté. D’ailleurs, selon la même source et toujours dans le contexte du dérèglement climatique et de la précarité énergétique, les charges du foyer pèsent de plus en plus lourd sur les épaules des femmes. Le changement climatique crée un cumul de crises et de handicaps qui touchent particulièrement les populations les plus défavorisées ou les plus vulnérables. Et, parmi ceux qui seront les plus touchés figurent beaucoup de femmes et les familles monoparentales dont environ 80 % sont dirigées par le sexe faible.
A chacun ses astuces
Oum Gasser en est un exemple. Divorcée depuis une dizaine d’années, cette vendeuse ambulante s’occupe seule de ses quatre enfants. Elle dit que pour éviter de se faire draguer ou d’être victime de harcèlement dans la rue, elle tient à porter une écharpe noire sur la tête et une tenue ample de la même couleur pour ne pas attirer l’attention des hommes. « Cette couleur absorbe les rayons du soleil qui se transforment en chaleur. Le mouvement des ventes a lieu souvent le matin. Je m’installe à proximité d’un parc public fréquenté par les familles durant les vacances d’été, et je n’ai pas d’autres choix, car il faut nourrir mes enfants et survivre dans cette jungle qu’est la rue », explique Oum Gasser. Mais pour pouvoir supporter la chaleur torride, elle a trouvé sa petite astuce. « Vu que je ne peux pas utiliser un parasol, afin de ne pas attirer l’attention des municipalités, je verse de l’eau sur ma tête, et toutes les heures,je me dirige vers le robinet public qui se trouve dans le parc pour ramener gratuitement de l’eau potable, car une bouteille d’eau minérale vaut 5 L.E., cela veut dire que j’aurais besoin de 10 L.E. par jour, soit 300 L.E. par mois, une somme que je préfère garder pour ma famille », dit-elle.
Le secteur agricole et celui de la construction sont ceux les plus touchés par les vagues de chaleur. (Photo : Reuters)
Mais se protéger n’est pas toujours évident. « Utiliser des crèmes solaires pour se protéger des rayons ultraviolets fait l’objet d’ironie aussi chez les ouvriers. Pour eux, une crème solaire, c’est une affaire de femmes, de personnes délicates, pas d’hommes, et surtout de maçons », confie l’ingénieur civil Salama. Des mentalités qu’il est temps de changer. Tout comme l’urgence d’une action climatique : sans réduction significative des émissions de gaz à effet de serre comme le CO2, trois personnes sur quatre risqueront de mourir de causes liées à la chaleur d’ici 2100, d’après une étude publiée par Nature Climate Change.
Modifier les horaires de travail et de pauses en fonction de la météo, avoir recours au télétravail quand c’est possible, choisir les vêtements et les équipements adéquats, etc. Autant d’alternatives qu’employeurs, et surtout employés, appellent de leurs voeux. En attendant les actions à même de sauver la planète et les humains, chacun prend son mal en patience et s’arrange à sa manière.